Chapitre 85 : La sécurité

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— Erwann est en garde-à-vue.

Quentin relève la tête. Manuella vient de sortir de la salle de bain, où elle se brossait les dents, prête à aller se coucher. Ils viennent de rentrer au domicile nantais de Gwendoline et Erwann, sur les hauteurs de la Jonelière. Après leur soirée cinéma et le fastfood dans lequel ils se sont tous les trois régalés, ils sont revenus à vingt-deux heures au bercail, pour permettre à Emma de se reposer. C’est un soir de semaine et elle a école le lendemain. Ses bâillements successifs ont convaincu les deux tourtereaux de la ramener au plus vite à la maison pour la mettre tôt au lit, avant qu’elle ne s’endorme pas d’épuisement n’importe où. D’autant qu’ils n’étaient pas contre profiter d’un peu de temps en tête à tête tous les deux après s’être consacrés à leur baby-sitting imprévu.

Tenant encore son portable dans la main, Manuella relit à voix haute le message que Gwendoline lui a envoyée après vingt heures :

« Pour non-respect des horaires imposées par sa surveillance électronique, Erwann doit rester en garde-à-vue cette nuit. Le Tonquédec arrivera à Brest demain à la première heure, pour intervenir en sa faveur. Je vais bien. Je rentre à la villa et vais me coucher de bonne heure. Trop d’émotions en une seule journée. Je te raconte tout demain. J’espère que vous avez passé tous les trois une excellente soirée et qu’Emma n’a pas abusé de sa liberté. Bonne nuit les amoureux. Gwen. »

— Bon. Au moins, tout à l’air sous contrôle, constate Quentin en hochant la tête. C’est moi ou ils aiment jouer avec le feu tous les deux ?

— Tu rigoles ? Ce sont deux allumettes ces deux-là.

— Pour ma part, tu pourras lui répondre que j’ai passé une super soirée avec deux super nanas. Et je suis d’autant plus ravi qu’elle n’est pas encore terminée.

Déstabilisée par son regard intense, Manuella jette son portable sur le lit et vient se coller à lui, attirée par l’odeur suave et musquée de son eau de parfum. Elle lui demande s’il reste dormir là ou s’il compte repartir à Crozon pour assurer l’ouverture de son studio le lendemain. Il lui confie qu’il a prévu de passer la nuit ici, auprès d’elle, car il n’envisage pas de repartir sans avoir pu profiter d’un moment d’intimité à ses côtés.

— Ce ne sera pas trop juste ? s’enquiert-elle.

Il la rassure aussitôt en lui certifiant qu’il sera dans les temps. S’il quitte l’appartement à sept heures, il sera présent pour l’ouverture de sa boutique à onze heures tapantes. En moto, ça roule toujours très bien sur ce trajet, précise-t-il. Comme elle semble sceptique, il lui demande si elle désire également le voir rester auprès d’elle cette nuit.

— Évidemment, quelle question ! Tu en doutes ?

— Je ne veux pas m’imposer.

— Et moi, je ne veux pas que tu prennes de risques ou que tu sois fatigué sur la route. En vérité, je dois avouer que je serais heureuse si tu dors là.

Elle baisse timidement le regard, embarrassée par cet aveu. L’inquiétude que Manuella manifeste à son encontre touche pourtant beaucoup Quentin, qui devine à travers ses confessions que leurs sentiments naissants sont réciproques. Il est ému par l’attitude protectrice de sa compagne, pleine d’attentions à son égard, ce qui est une réelle nouveauté pour lui. Cela fait bien longtemps qu’il n’a pas laissé quelqu’un veiller sur lui et prendre soin de lui, en dehors d’Erwann, très récemment. Pourtant, il réalise à quel point cela fait du bien de se sentir choyer par autrui, surtout si cette personne a des yeux couleur lagons et la peau aussi douce que du papier de soi. En retour, Manuella le regarde de ses grandes prunelles bleues, enchantée de voir les efforts qu’il est prêt à faire pour elle.

Tous les deux se sont installés dans la chambre occupée habituellement par Manon-Tiphaine, tandis qu’Emma dort un plus loin dans la sienne, tout juste aménagée à sa convenance. L’adolescente surfeuse détestant l’atmosphère de la ville, vient si rarement en ses lieux, que son empreinte n’apparaît pratiquement pas dans la pièce. Les murs sont dépouillés de décoration. Le dressing ne contient que quelques affaires, probablement trop petites, et le bureau semble aussi inutile que les étagères quasiment vides. Seul le lit a été récemment changé et sent bon la fraîcheur d’une parure de draps tout juste lavée.

— Manon ne vient presque plus ici, constate Quentin en jetant un regard circulaire autour de lui.

— La villa est quand même plus sympa, surtout pour une jeune fille qui préfère le grand air.

Quentin confirme ses propos et ajoute qu’il ne pense pas qu’Erwann et Gwendoline vont garder l’appartement comme lieu de vie pour l’avenir. Il suppose qu’ils vont tous émigrer vers la presqu’île pour y loger à temps plein. Il est évident pour lui qu’ils ne peuvent pas continuer à vivre séparément sur le long terme.

— C’est dommage, Nantes est une chouette ville pleine d’animation, objecte Manuella. Ce serait d’ailleurs l’idéal pour y monter un studio de tatouage.

— J’y ai déjà réfléchi. Je me verrais bien ici, pour agrandir mon enseigne. J’ai beaucoup de contacts dans le milieu et de nombreuses opportunités pour m’implanter en centre-ville.

Surprise par cette dernière déclaration, Manuella le questionne pour savoir s’il envisage sérieusement de venir travailler là.

— Pourquoi pas ? lui rétorque-t-il, avant d’argumenter en faveur de cette hypothèse.

Il met en évidence que c’est un coin très sympa et que si Erwann décide de quitter cet endroit, il pourrait lui racheter son grand duplex. Il désigne la chambre dans laquelle ils se trouvent, au rez-de-chaussée, comme celle qu’il destinerait à son fils, lorsqu’il le recevra les week-ends ou durant les vacances scolaires. Puis évoque les deux autres suites qui auraient, selon lui, également leur utilité. Manuella rougit sous le feu de son regard lorsqu’il lui déclare ces derniers mots, lourds de signification. Pense-t-il comme elle ? A-t-il imaginé un instant que la suite parentale serait la leur et que la chambre occupée par Emma pourrait être celle d’un futur enfant ? Leur futur bébé ?

— Tu es fou, dit-elle, gênée.

Elle baisse à nouveau les yeux. Il attrape doucement son menton et redresse son visage pour plonger dans son regard océan. De la pulpe de son pouce, il caresse ses lèvres généreuses, dont il souligne les contours parfaitement dessinés.

— Fou de toi, peut-être, pour le reste... La folie est quelque chose qui me plaît. Une vie sans folie ne serait pas très intéressante. On s’y ennuierait, non ?

Elle opine du chef, ce qui ramène en avant ses longs cheveux bruns détachés. La perspective d’une vie trépidante aux côtés de cet homme lui met des papillons dans le ventre. Elle adorerait se laisser aller à rêver à un futur radieux, à mettre en route cette famille qu’il a l’air de demander, à prospérer dans son activité en l’aidant à développer son commerce. Toutes ces possibilités semblent lui tendre les bras plus que jamais auparavant, comme si cela était soudain réalisable après des années d’infortune. Et si Quentin était celui qui lui permettait de construire une vie joyeuse et abondante, pleinement épanouissante ? Ce dernier lui sourit tendrement et lui caresse à présent la joue, parcourant du bout des doigts les contours harmonieux du visage de sa chérie. Pour ne pas casser cet instant calme, il se met à murmurer :

— Je voulais te confier quelque chose au sujet de Manon.

Elle arque un sourcil impeccablement épilé, silencieuse, mais attentive.

— Je crois qu’elle a un peu le béguin pour moi.

Manuella se mord la lèvre, compréhensive, et lui demande comment il s’en est rendu compte. Quentin se met à pouffer de rire dans le cou de sa partenaire en se remémorant le choc qu’il a eu en découvrant la jeune fille à peine habillée dans son lit. Il lui raconte les faits qui se sont déroulés cette nuit-là.

— C’est ma filleule. T’imagine ma gueule quand je l’ai trouvée ainsi en pleine nuit ! J’ai tout de suite pensé à Erwann. Elle venait presque de signer mon arrêt de mort vis-à-vis de lui.

Il raconte qu’ensuite, heureusement, la jeune fille a fini par accepter de partir. Un problème persiste cependant. Elle a l’air très éprise de son parrain, même si, à cet âge-là, Quentin reconnaît que les sentiments sont exacerbés. Il ne cesse de se dire qu’il vaudrait mieux qu’il s’éloigne d’elle quelques temps. Crozon est tout petit et Camaret tient dans un mouchoir de poche. Venir vivre à Nantes serait un bon compromis, et ce, pour des tas de raisons, ajoute-t-il avec un air mutin. Pour que la jeune fille ne le croise pas toutes les cinq minutes et qu’elle ne les voit pas ensemble à longueur de temps, Manuella et lui, ce qui ne serait vraiment pas l’idéal pour l’oublier.

— Et puis, je me rapprocherai de toi, ce qui nous évitera d’être toujours obligés de faire la route pour se retrouver.

La commissure des lèvres de Manuella se relève, dessinant ce sourire malicieux qu’il adore. Elle reconnaît que, concernant l’adolescente, ce serait effectivement préférable d’agir ainsi. Pourtant, sa voix se fait incertaine quand elle ajoute :

— Pour nous deux, ne vaut-il pas mieux ne pas faire trop de plans sur la comète, de peur de tomber de haut et de s’écraser en cas d’échec ?

— Lors de notre première virée à moto, tu as eu peur derrière moi ?

— Non.

— Il nous est arrivé quelque chose ?

— Non plus.

— Si mes souvenirs sont bons, tu t’es laissée guider presque les yeux fermés.

— Je ne dirais pas le contraire.

— Alors, je suis sûr que pour la suite, tu peux m’offrir la même confiance. Avec moi, je te promets que tu seras toujours en sécurité.

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