Lola : cœur contre cœur

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Je suis en tablier, en train d’aligner les biberons, lorsque la porte s’ouvre. Hide fait son apparition, l’air sombre. Il porte encore sa tenue de travail, un tissu de coton tenugui roulé et noué sur son front, enserrant ses cheveux de jais. Quand il est habillé comme ça, je le trouve terriblement sexy.

— Tu rentres tôt, aujourd’hui.

— J’ai dû fermer plus tôt, grogne-t-il en réponse.

À voir sa tête, je renonce à lui demander pourquoi. Je sais que c’est dur pour lui, cette nouvelle vie.

D’un coup d’œil circulaire, Hide s’assure de l’absence du bébé.

— Où est Taichi ? me demande-t-il en s’allumant une clope.

— Chez les Yasugōchi.

— Je préfèrerais en demander le moins possible à ces gens, dit-il en recrachant sa fumée. On leur doit déjà beaucoup. Et on va bientôt déménager.

Depuis quelques jours, Hide se montre particulièrement froid avec la fille de Mme Yasugōchi. Je crois qu’il ne l’apprécie pas, et je ne sais pas trop pourquoi. Mais Hide est ainsi. Il a ses têtes.

— C’est Miyako qui le garde, lui précisé-je pour le rassurer.

Hide me jette un regard oblique. Je suis sûre qu’il trouve louche la facilité avec laquelle j’ai accepté Miyabi.

— Je me suis fait à l’idée, tu sais, ajouté-je en essuyant mes mains. Que Miyako fasse partie de ta vie pour toujours.

Ses bras puissants enserrent ma taille.

— Lola. Arrête.

Sa voix grave et rauque me fait fondre malgré moi. Mais j’essaie de rester ferme.

— Je sais que c’est la conception de la famille chez les yakuzas, qu’il faut héberger tout le monde, aider la veuve et l’orphelin, surtout quand il s’agit de l’ex-famille du parrain. Que c’est mon rôle de grande sœur de recueillir les chats blessés…

Lola.

Je me tais, happée par son regard sombre. Hide me fait face, plus beau, plus viril que jamais, dépouillé de ses appendices de mafieux. Quelque chose se serre au fond de mon ventre, quelque chose qui était en sommeil depuis des mois. Comme un petit monstre qui, s’éveillant d’un long sommeil, baille et découvre qu’il a faim.

Merde, j’ai besoin de l’avoir en moi. Maintenant.

Les yeux de Hide glissent sur ma taille, enserrée par les lanières du tablier. J’ai du mal à perdre le poids de la grossesse, surtout du ventre et des seins. Il doit trouver que je me laisse aller. Lui, par contre... Il a beau avoir arrêté la baston, il est plus athlétique que jamais. Avec cette chemise roulée sur ses bras puissants, déboutonnée au col, laissant apercevoir ses clavicules sculptées et sa peau hâlée...

Je souffle, chassant quelques mèches collées par la sueur de mon front d’un revers de main.

— Heureusement qu’elle est là, tu sais. Miyako. Sans elle...

Hide ne dit rien. Mais je le vois se positionner derrière moi. Ses bras entourent mon corps, me tirent contre lui. Ses lèvres se posent dans mon cou. L’odeur salée de sa peau, de sa chevelure, avec le léger parfum d’after-shave mêlée à celui de sa sueur musquée, liquéfie immédiatement mes entrailles.

— Hide... Qu’est-ce que tu fais ?

Je sens ses mains sur mon ventre. Et sa queue, raide comme une matraque, qui vient presser contre mes fesses.

— J’ai envie de toi, me répond-il d’une voix caressante, chargée de désir.

Je sens mes cuisses s’ouvrir un peu plus. Mais c’est trop tôt. Je me souviens encore de la douleur, et j’ai peur. Peur que cette cicatrice qui me fait si mal chaque fois que je vais aux toilettes se déchire, que mon périnée ne tienne pas.

— Je peux pas, Hide.

— Je sais.

Il dépose un nouveau baiser sur ma nuque - effleurant au passage ma peau de ses dents - puis s’éloigne, me laissant en feu. Je l’entends ouvrir un placard, sortir un verre. Ça non plus, je n’y ai plus droit. Pas tant que j’allaiterai.

Je me retourne. Il relève ses yeux noirs sur moi, levant un sourcil interrogateur, braquant ce regard irrésistible sur le mien.

Je le veux tellement.

— Oh, et puis fuck... T’es pas obligé de me pénétrer, hein ?

— Non, je suis pas obligé de te pénétrer. Même si j’en meure d’envie.

Je sens mon entrejambe pulser douloureusement.

— Tu peux peut-être, mais pas là...

Il repose son verre. Puis me prend la main.

— Viens, dit-il en me conduisant vers la chambre.

*

Allongée nue sur le ventre, le corps recouvert d’huile, je laisse Hide me masser. Il a allumé des bougies parfumées, tamisé la lumière et fermé la porte. Il me pétrie les pieds, appuyant sur les points douloureux avec la pression de ses doigts puissants : c’est divin.

— T’avais vraiment besoin de te détendre, observe-t-il. Tes muscles sont tous raides.

Je ne m’étais pas rendue compte que mon corps était si las.

Ses mains remontent sur mes jambes. Lorsqu’elles atteignent me fesses, j’ai le réflexe de me raidir, de tenter de me soustraire. À chaque fois que son pouce effleure mon sillon fessier, je tressaille. Est-ce qu’il va me prendre maintenant ? Sera-t-il brutal ? Il n’a pas pénétré une de femme depuis un an… J’ai envie de lui, mais j’ai toujours peur. Et finalement, l’occasion ne vient pas. Mon corps se referme. Lui, ou moi, on a raté le train. D’ailleurs, il n’insiste pas. Depuis le début, Hide a ce sixième sens, une compréhension quasi-chamanique de mon corps. Même quand notre relation était un rapport de soumission plutôt déséquilibré, c’était ce qui rendait le sexe avec lui si bon.

Ses mains remontent. Elles se posent sur mes hanches, le bas de mon dos. Finalement, il pose un coussin dessus, s’y assoit. Et masse mon dos de ses mains fortes, expertes. Il me masse vraiment : ce n’est pas une petite caresse en passant, une petite sonnette effleurée vite fait pour signaler qu’il va entrer. C’est ça que j’aime chez lui. Il fait tout à fond. Ce sera peut-être un prélude à l’amour, ou peut-être pas. Mais il est en train de reconquérir mon corps, geste après geste.

Je me ramollis, comme une motte de beurre laissée près d’une source de chaleur. Mon soleil, c’est lui. Cette énergie qu’il a… Comment est-ce qu’il fait ? Il vient de passer une année entière entre quatre murs, à subir des traitements inhumains. Des gens ont essayé de le tuer. Il a dû se battre. Il s’est pris une balle, deux fois. Il est tombé dans une rivière glacée. Mais rien de tout cela n’a entamé sa force, sa détermination. Il est toujours là, droit, à soutenir sa famille. Au Japon, on dit qu’il y a deux sortes d’hommes : ceux qui font tapisserie, les « murs » ou « volets » de la maison. Et il y a les autres, plus rares, qui servent de pilier central. Hide est de ce genre-là. Un pilier central.

Un sacrément gros pilier, me dis-je en sentant son érection massive appuyer sur mon dos.

Je me retourne, croise son regard, le soutiens. Sentir son corps contre le mien me fait cet effet. Celui d’être une gazelle entre les pattes d’un tigre. Un tigre qui sait faire les pattes de velours quand il faut.

Je me redresse à demi, attrape ses lèvres entre les miennes. J’ai faim de lui. Je m’accroche à ses épaules, saisis ses cheveux noirs. Il m’entoure de ses bras, me serre très fort. La passion nous consume. Plus que jamais, pour moi, c’est quelque chose qui vient du cœur, redescend dans mon ventre : je sens cette chaleur en moi, comme un four, qui menace de faire sortir des flammes à tout moment. Un élan comme un cheval lancé au galop. Et cette fois, je monte sur le cheval. J’attrape sa crinière au vol. Je grimpe sur son dos.

Nul besoin de mots. Nos corps, nos bouches, nos yeux parlent pour nous. Tout cela lui transmet un message silencieux.

Je suis prête, disent-ils. Tu es prêt.

Pas besoin de plus. Il le sait lui aussi, il le sent. Puis finalement, il s’enfonce en moi. Lentement, précautionneusement.

J’attends la douleur, mais elle ne vient pas. Seulement la douceur, la chaleur, le plaisir, et un immense amour. Pour la première fois depuis un an, nos cœurs battent à l’unisson, calmes et profonds comme le ressac, la rythmique ancienne et primaire du brasier insatiable dans nos bassins. Mes seins écrasés contre son torse, nos peaux mouillées, nos souffles croisés, nos doigts entremêlés. La saveur d’iode et de sable de sa peau fouettée par le vent de l’océan. Le parfum et les arômes de notre amour. Tout ce que je croyais avoir oublié.

Tout est là. Nos deux cœurs enflammés, la connaissance instinctive que nous avions l’un de l’autre : rien n’a bougé.

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