Rose : le marégraphe

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"Il faut y aller !"

- Non !

- Ah si ! Il faut y aller. Tu l'as promis !

- Non ! Embrasse-moi.

- Je ne peux pas. Je ne suis plus là. Tu ne te souviens pas, j'ai laissé les clés sur le meuble de l'entrée. C'était il y a un mois. Lève-toi maintenant ! Il faut y aller."

J'ouvre enfin les yeux. Je suis effectivement seule dans le lit. C'est un lit pour deux et depuis quelques semaines, je dors au bord d'un abîme. Je peux tomber à tout moment. J'ai certainement plusieurs chutes à mon actif. Comment suis-je revenue de mon côté du lit ? Je l'ignore. Il faut se lever. J'ai promis. J'ai promis de ne pas me laisser aller. Je l'ai promis à tous ceux qui voulaient bien m'entendre. Je l'ai dit à Nathalie, Elise, Cécile, Linda. Je l'ai dit à la terre entière si ça se trouve. Un chagrin d'amour n'est pas une fin en soi. Il faut juste se lever et marcher. J'ai été autorisée à pleurer à chaudes larmes pendant quelques jours. Je me suis recroquevillée sur mon canapé et j'ai laissé parler ma souffrance. Cela ne suffisait pas. J'ai pleuré devant à peu près tous les objets du quotidien : mon écran d'ordinateur, une tasse à café, sous la douche, devant la télé éteinte. Je suppose que j'ai épuisé le forfait-larmes autorisé. Pourtant je pleure encore. Inconditionnellement. Je pleure l'absence, le silence, l'habitude et le temps qui passe. Ce ne sont pas de grosses larmes qui coulent sur mes joues. Elles sont fines et discrètes. Mon chagrin suinte désormais et je ne sais toujours pas l'apaiser. Evidemment, Elise l'a su. Son passé a refait surface. Elle s'est souvenu de cette blessure de l'abandon qu'elle a mis tant de temps à combattre. Elise n'a pas beaucoup de temps. Elle est chef d'entreprise, a trois enfants et des dettes. Pourtant, elle est venue me voir et elle m'a parlé de son chemin. Le message était clair : prendre soin de soi pour s'aimer davantage.

Alors j'ai promis.

J'ai promis de sortir de chez moi. J'irai marcher au bord de la mer. J'habite à Marseille et je dois prendre trois correspondances avant d'arriver au bord de l'eau. Mais j'ai promis. J'irai donc marcher pour créer le mouvement. Celui là même qui me permettra de prendre conscience de mon existence. Fastoche. C'est le jour J. J'ai parlementé avec l'absent pour rester au lit. L'absent étant absent, rester au lit un dimanche matin n'a plus aucun sens. J'ai déjeuné. Longtemps. Retarder l'heure du départ. Etendre du linge, changer les draps, refaire ma penderie. Grapiller des heures et réaliser qu'il sera bien trop tard pour sortir. L'horloge est de la partie. Les minutes se bloquent soudain. Le temps ne passe plus. Il n'est pas si tard ! Sors ! J'ai enfilé un short et un tee-shirt, préparer un sac à dos en y mettant une bouteille d'eau et une barre de céréales que l'absent avait oubliée. Un livre. Des lunettes aussi. Puis de la crème solaire... L'horloge m'observe.

Dégage !

J'ai pleuré dans le bus. Des petites larmes. Puis je me suis engagée sur la corniche Kennedy. L'absent me parlait. Nous venions souvent nous promener le soir. Il me racontait toujours les mêmes choses. L'absent aimait que les souvenirs et les anecdotes soient racontés. J'étais capable de savoir ce qu'il allait dire en passant devant le vallon des auffres ou le l'anse de la fausse monnaie. Ses histoires faisaient toujours leur petit effet les premiers jours mais j'ai vite appris à ne plus les écouter au fil du temps.

Aujourd'hui, je suis attentive. Je l'écoute me parler de l'utilité scientifique du marégraphe qui abrite un appareil de mesure permettant de déterminer les altitudes à partir du niveau de l'eau. j'ai même des questions. Je cherche l'absent. Le marégraphe et moi sommes liès à jamais. Nous espérons son retour afin qu'il nous raconte son histoire, Lui et moi savons combien il est important de mesurer chaque jour la moyenne des niveaux, rester attentifs aux variations afin d'éviter les ras de marée et les pressions atmosphériques.

Le marégraphe et moi partageons le même repère : le niveau zéro.

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