Ce jour là
J'ai tout perdu.
Je n'y peux rien. Ce n'est pas ma faute.
C'est arrivé comme ça après avoir fait un pas de trop dans une direction que je croyais sans danger. Je n'ai rien fait de mal, rien d'impardonnable ou d'irréversible. J'ai juste dit ce qui n'allait pas. J'ai osé avouer ce sentiment de lassitude que je ressentais depuis quelques temps. Je lui ai avoué ma tristesse de le voir s'éloigner et de ne plus être sa priorité. J'espérais qu'il m'écoute, qu'il m'entende et me voit à nouveau. Qu'il comprenne que cette crise d'autorité était avant tout un acte désespéré. Il aurait compris parce qu'il m'aimait tellement que l'idée de me perdre lui serait insupportable. J'espérais qu'il ait encore la force d'avancer avec moi, de trouver des solutions, des instants magiques qui allaient effacer cette colère. Me faire rire. Comme toujours. M'embrasser. Comme avant.
Alors nous aurions avancer à nouveau, ensemble, en laissant derrière nous cette crise. S'en éloigner le plus vite possible pour ne plus entendre ses cris et ses pleurs. Courir ensemble main dans la main le plus loin possible de cette journée qui avait failli nous mettre en danger. S'arrêter enfin, essoufflés, fatigués, le cœur endolori mais finalement heureux d'avoir résister, d'avoir su nous battre côté à cote pour protéger notre couple.
Nous aurions appris à l'oublier ne retenant que son absolue évidence : nous ne pouvions être séparés. Nous serions devenus, aux yeux de tous, dans la mémoire de chacun, unis et immortels.
Je n'ai pas crié. Au fond, j'étais soulagée que la bataille se termine enfin. J'ai croisé mon reflet dans le miroir. Je ne me reconnais pas. Mes yeux et ma bouche sont déformés par la colère et l'usure. Je suis laide.
Au fond, j'arrive à comprendre son envie de partir. Voila pourquoi il ne disait rien. Voici les raisons de ses absences. Il voyait à travers moi le sabotage méthodique du temps, le chemin unique vers la veillesse. Nous avions connu tant d'épreuves ensemble, surmonter tant de chagrins. Sans doute celle ci était celle de trop. Vieillir ensemble. Pour de bon. Baisser la tête sous le joug et se résigner. Sans doute avait il eu un sursaut de vie qui l'obligeait à fuir comme si casser nos liens pouvait rompre le charme maléfique. Loin de moi il ne vieillira plus, il se sentira plus léger. Il fallait couper ce lien, franchir à nouveau la ligne rouge pour pouvoir respirer enfin.
Je l'ai supplié de m'embrasser. Nos lèvres se sont rejointes et ce fut un baiser sec sans plus aucune saveur. Un baiser atrophié. Un baiser usé. La porte s'est refermée. Je n'ai pas vu son regard. Je ne saurais jamais s'il pleurait.
Je suis désormais seule au milieu du néant. Je glisse au sol. La souffrance devient si forte que toutes mon énergie vitale se concentre sur mon coeur brisé et l'oblige de battre encore. Pour l'oxygène, mon corps n'a rien prévu. Je me recroqueville sur le sol. Je pleure enfin. Je sanglotte et les coups de poignards que je reçois font sortir un râle de ma gorge. Je n'ai plus de forces. Je crie son nom. Je voudrais le voir encore et le supplier de me prendre dans ses bras afin de calmer mon angoisse. Je ne bouge pas. Je souffre tellement.
Les heures passent. je m'habitue au silence. Et, au bord de l'abîme , dans le souffle chaud du désespoir, je suis prise de vertiges. C'est douloureux une vie qui bascule.
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