Les petits mots (titre provisoire)

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Trouver un lieu réconfortant dans lequel je pouvais disparaître. J'avais besoin de sortir de chez moi pour me rendre dans un endroit familier qui me connait si bien que je ne serais pas obligée de cacher ma peine. Je me suis engouffrée dans le centre commercial où nous avions l'habitude de nous rendre, direction l'étage, destination la librairie.
Le magasin est désert. Lorsque nous sommes venus nous installer à Marseille, nous étions comme des enfants un jour de Noël. Nous étions stupéfaits face à l'immensité du lieu, l'abondance et l'originalité des articles, le bruit et les couleurs. Nous avions habité trop longtemps dans les montagnes où il faut se contenter du nécessaire et vivre au rythme des saisons. La vie ralentit en automne et s'accélère au printemps. Ici, les saisons n'existent pas et tout nous semblait démesuré. Ce réaction et notre émerveillement nous faisaient rire.
Aujourd'hui, l'endroit me paraît vide presque à l'abandon. Je remarque de nombreuses devantures fermées par un rideau de fer. Il règne un silence de mort. A l'étage, la librairie est déserte. Je me dirige vers le rayon des loisirs. J'ai envie de reprendre le dessin, une passion longtemps enfouie qui se réveille soudain. Je cherche un livre qui pourrait parfaire mon apprentissage. J'ai surtout envie de rencontrer quelqu'un à cet endroit précis. L'idée me traverse comme une bouffée d'espoir. Je la chasse. Elle revient. Je me lance alors dans un combat imbécile entre ma conscience et mon désespoir
« Laisse-toi une chance ! On ne sait jamais.

- Arrête !

- Mais tu ne sais pas.

- Qui te dit que quelqu'un ne t'attend pas là à cet instant précis ?


Je souris mais je m'aperçois que j'ai accéléré le pas.


Le rayon est désert. Les livres sont rangés sans aucune logique. Ceux qui m'intéressent sont en bas du rayon. Je ne m'abaisserai pas pour l'apprentissage du dessin des fleurs en pastel. Je suis déçue que ce rayon qui devait m'apporter autant d'alternative soit aussi pauvre. Je me dirige vers les articles de papeterie. Si le dessin est un art que je partage, l'écriture est celui que je cache. Personne ne doit savoir que je noircis régulièrement les dix premières pages de cahiers tout neufs qui finissent dans un tiroir. Le dessin est plus concret, plus rapide à prendre forme. Je maitrise le trait et les ombres. Seuls mes yeux sont vides, privés de toute émotion. Je m'obstine. J'éclaire ou j'assombris l'iris, accentue les traits, courbe les sourcils mais les yeux restent vides.


Quant à l'écriture qui fut longtemps mon terrain de prédilection, je l'ignore. Je n'ai plus d'histoires, plus d'émotions et surtout plus personne à qui écrire. Pourtant, j'achète un cahier et un stylo. Je sens sous mes doigts les aspérités du papier et cela me réconforte. J'écrivais par pulsion, par amour parfois, toujours avec le désespoir que l'on m'oublie sur le chemin. Je déversais sur du papier tout ce que je n'arrivais pas à contenir sagement au fond de moi. Je couchais avec une écriture régulière, sans pudeur, l'enthousiasme d'une nouvelle rencontre, ma passion pour l'être cher, mon désespoir de le voir s'éloigner, mon chagrin puis ma solitude.


L'absent n'est pas sensible à mes écrits. Il ne comprenait pas très bien les raisons pour lesquelles je déballais autant de sentiments contradictoires. L'absent était pudique. Il lui arrivait parfois de m'écrire une lettre. Ses mots sonnaient justes. D'une beauté incontestable,ils s'harmonisaient aussi avec le papier. Tout était aligné : les mots, les lignes et les sentiments. Je me suis sentie vide, privée d'inspiration. Je n'ai plus écrit. J'ai posé ma plume et j'ai cessé d'écouter toutes ces déflagrations qui quelquefois me submergeaient. Je passais à autre chose. J'exécutais des tâches ordinaires, raisonnables, attendues et désespérement dictées.


Je m'asseois à la terrasse de mon glacier préféré. Je regarde la chaise vide face à moi et les sanglots se forment dans ma gorge. Nous venions si souvent déguster une glace après nos promenades. L'endroit à quelque peu changé. Il règne une tension presque palpable. Je cherche la patronne. Elle n'est plus là. Autrefois, elle circulait au milieu des tables avec une efficacité de métronome, prenant les commandes et les encaissements. A l'affût des tables libres, elle installait alors des nouveaux clients assoiffés et leur glissaient une carte dans les mains pour repartir prestement vers une autre table. J'aimais l'observer. Elle ne souriait jamais, s'attardait peu auprès des clients. D'un claquement de doigts, elle chassait le vendeur de roses ou le mendiant qui tentait sa chance auprès des touristes. Concentrée sur la réussite de son commerce, elle oubliait la joie de l'accueil , le charme d'une conversation, obstinée à servir dans des coupes colorées des montagnes de douceur.

L'ambiance est désormais nonchalante. A certaines tables,des clients s'impatientent, d'autres s'en vont mécontents. J'observe les jeunes hommes postés à l'entrée du magasin. Ils dénotent avec le lieu. Ils ont gardé leurs lunettes de soleil, des tatouages encerclent leurs bras aux muscles saillaints, un tee shirt blanc moule leurs pectoraux. Ils parlent entre eux. Les querelles liées au manque d'organisation sont fréquentes. Leur voix est grave, le verbe est haut, les désirs des clients secondaires. Ils dégagent une telle virilité que je ressens comme un décalage avec l'endroit. Toute la journée, ils prennent les commandes et servent des coupes de glace aux noms romantiques. Entendre clamer à l 'unisson, ces chevaliers modernes, le nom des commandes me fait intérieurement mourir de rire :
'une ritournelle et une farandole ! Une douceur des îles ! Une Sissi ...


Je sors mon cahier. Les mots se déversent sur le papier. Ils titubent, se cognent, se bousculent et se couchent enfin. Un texte prend vie avec ses rondeurs, ses nuances et ses ombres.
Les belles rencontres ne sont pas toujours celles que l'on croit. Elles ne sont pas toujours faites de sang et de chair. Elles n'ont pas toujours un visage. Elles n'en sont pas moins belles tant qu'elles sont inattendues.
Ce jour là, personne n'est venu me tendre la main et consoler mon chagrin. C'est une amie plus vieille, plus chère qui est venue s'installer à ma table. Elle m'apporta des mots que je coucha sur une feuille, guidée par sa bienveillance.

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