Deuxième jour
Favre se réveilla à l'aube et prit son petit déjeuner seul, alors que Charlène dormait encore d'un sommeil lourd et artificiel. Lorsqu'il fut prêt à partir, il attendit Marta en allumant la télévision pour suivre le journal télévisé du matin. "Son" carambolage tenait la une. Il n'en tirait aucune fierté particulière ; il était conscient que l'intérêt des téléspectateurs pour cette affaire s'évanouirait au moindre nouveau fait divers, aussi insignifiant soit-il. Pour les médias et le grand public, l'importance d'un événement se confondait souvent avec sa nouveauté.
Quelqu'un sonna au portail. Il éteignit le poste et fit un détour par la chambre pour déposer un baiser sur le front de Charlène. Elle avait les yeux ouverts mais ne cilla pas. Favre ne s'en formalisa pas ; elle ne réagirait pas avant quelques heures, quand s'estomperaient les effets des médicaments qui l'aidaient à s'endormir. Malheureusement, il n'y avait aucun remède efficace contre les souvenirs qui l'assaillaient sans cesse. Ni contre la rage qui l'habitait alors dans ces moments-là ; une rage qui, immanquablement, allait s'exprimer dans la journée, quand lui serait loin de la maison. Loin d'elles.
Il échangea quelques amabilités d'usage avec Marta dans le jardin, sans volonté manifeste de faire durer la conversation. Leur vie n'avait pas radicalement changé depuis la veille : sa femme était toujours en état de choc, et le fils de la vieille polonaise, lui, déjà en état d'ébriété à cette heure matinale. Il était inutile de s'étendre tous les matins sur leurs misères respectives. Favre prit congé en esquissant un salut militaire désinvolte et s'engouffra dans sa voiture.
Avant de démarrer, il relut encore une fois les notes qu'il avait laissées sur le siège passager. Il mettait un point d'honneur à ne plus rapporter de travail chez lui, comme ce jeune lieutenant qu'il avait été, motivé, ambitieux, tenace, et père d'une petite fille. Ne lui restait désormais que sa ténacité. Il alluma la radio et prit la route.
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