Lettre du 27 octobre 2020
A vous, rien qu'à vous,
Ce n'est pas la première fois que j'écris à quelqu'un d'isolé, à quelqu'un qui a besoin de mots, besoin d'ailleurs. Comme je commence cette lettre, la sensation est différente. Pourtant, comme par le passé, je raconte un peu de mes aventures.
Ce matin, le ciel du Sud est bouché, et il pleut. La pluie est nécessaire. Elle est nécessaire à la vie, même si elle empêche beaucoup de choses, même si elle rend nos activités désagréables pour un moment. Face à la rareté de la pluie, dans le Sud, deux réactions sont possibles. Soit on peste et prie pour le retour du grand beau temps, soit on s'en accommode en se disant que les jardins vont reverdir après un été brûlant.
J'ai choisi la seconde option. Notre parcelle de terre est en friche cette année. Il n'en ressortira pas grand'chose, mais ce petit rien, nous allons l'utiliser. Dans notre jardin, poussent allègrement moutarde blanche et chrisanthèmes sauvages, luzerne et mauves. En cette fin de saison, à l'approche de l'hiver, nous avons décidé de tondre ce reliquat de printemps et de l'entasser en prévision des plantations de l'an prochain.
Aujourd'hui, j'ai reçu une offre de travail. Je ne dirais pas une offre d'emploi, car je suis à mon compte. Je travaille à mon rythme depuis deux ans. J'ai décidé d'abréger ma carrière d'officier de la Marine, pour faire autre chose de ma vie. Aujourd'hui, je n'ai pratiquement plus de revenu, mais je suis tellement plus.
Je suis mère, je suis coach et je suis ici en train de vous écrire.
J'ai écrit partout où j'ai navigué. Pas tous les jours, mais avec suffisamment de régularité. Cette activité m'a permis de me maintenir à flot sur toutes les mers du Nord, où l'âme a vite fait de se noyer.
Je me souviens ainsi des fjords de Norvège. Du roc, partout, posé à même la mer. Toutes les nuances de gris et de bleu se mêlaient les unes aux autres dans les premières lueurs du matin. A l'abri de ces boyaux de navigation, le navire trouble le calme de la surface dans un mouvement lent et hypnotique. Aux heures creuses de la journée, ces instants m'étaient des plus précieux. A d'autres saisons, les fjords sont plus accueillants, plus lumineux, et le bleu de l'eau tranche immédiatement avec la rocaille autour.
Sur la mer Baltique, le brouillard est plus épais qu'ailleurs, et vous prend au dépourvu. Dans les passes protégeant Copenhague, un matin, il nous a masqué tout repère. Les vigies postées sur les extérieurs entendaient à peine les cloches posées sur les bouées du chenal. Cette sensation de coton persiste et ne s'estompe que plusieurs heures après l'accostage.
Plus près des côtes des Etats Baltes, l'étrangeté de la brume m'a aussi marqué. Le silence s'était imposé, à peine dérangé par le ronronnement du moteur. Dans les halos formés par nos feux de navigation, soudain passa une silhouette. Un oiseau, mais pas un oiseau de mer. Une chouette, probablement une effraie. Quelques heures plus tard, à la proue, un rapace s'était posé. Une autre chouette. Le lendemain, nous devions nettoyer les restes de leur repas, qu'elles avaient laissé à la proue, et sur le mât de la gueuze. Des passereaux qui nous accompagnaient depuis quelques jours, nous n'eûmes aucune nouvelle.
Ainsi, les yeux grands ouverts, j'ai collecté mes souvenirs, pour les mettre sur papier. Aujourd'hui, je les partage avec vous, avec d'autres, avec un public d'inconnus.
Aujourd'hui, j'ai reçu une offre de travail. Je vais m'y investir, mais ce que je souhaite vraiment, dans les semaines à venir, c'est être là, en train de vous écrire.
En espérant avoir fait voyager votre imagination,
AE
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