V
Ailia
***
Le temps défile lentement
Je ne sais pas où est le passé
Il y a longtemps
Père m’a sauvé
Il s’en revient
Je vais revoir le Malin
Reconnaîtra-t-il la fille
Que j’ai été
Qu’il aime embêter
Un membre de ma famille
Qui n’est pas mon père
C’est juste un frère
Comment sourire au frère ?
Il saura me le dire mon père.
***
– Comme ça ma fille, tu es parfaite.
Je lui proposais mon bras pour sortir de notre carrosse. Sa robe évasée d’un rouge pastel parée de perles miroitantes, glissait délicatement sur ses jambes lactées rehaussées de chaussures portant la même teinte de l’amour. Son buste se resserrait de broderies complexes – des fleurs de lys peut-être – puis laissait d’épanouir le tissu de nouveau cachant sa poitrine et couvrant légèrement ses épaules reliées à une cape de la même étoffe étoilées.
Le Music Hall s’élevait devant nous, dans une austère indiscrétion, lumineux et festif. La foule attendait dehors, désireuse d’entrer dans ce monde de plaisirs inavouables, une allée mettait en valeur les invités de marque qui n’avaient pas à patienter, bien entendu, nous en faisions partie.
Le bruit des talons d’Ailia, frappant contre la pierre, calma la décadence de ce beau monde qui regardait dans notre direction.
– Oh ! Le comte de Rutthers !
– La rumeur était bien fondée, il est venu…
– Qui est ce magnifique rubis qui l’accompagne ?
Nous pénétrâmes dans le Music Hall, nos pas effleurant la place Retribution, suivis des voix de la petite noblesse qui aimait déjà parler de nous.
Tu es à moi.
Une immense salle de bal, plongée dans le noir, s’ouvrit à nous. Des chandeliers parés de larmes de cristal répandaient une douce lumière pour créer une ambiance presque chaleureuse – si on oubliait les activités illégales de l’organisation – elle devait avoir retrouvé sa stabilité financière pour pouvoir mettre un budget visiblement conséquent dans cette soirée de réouverture. Avaient-ils trouvé une nouvelle petite fille, pour proposer son corps juvénile au plus offrant ? Un frisson de dégoût parcouru mon échine. Ailia le remarqua et serra un peu plus mon bras contre sa poitrine.
Il y avait un étage. J’en conclus que l’escalier central servirait de scène, pour cette fois, une plateforme au centre de l’escalier servirait certainement à la mise ne scène pour présenter les corps et les produits : l’espace était réservé. Il devait y avoir des chambres pour se livrer au sexe sans retenue, ils avaient vraiment pensé à tout. Accoudées à la rambarde, des filles de joies faisaient des signes aguicheurs aux clients : une rentrée d’argent toujours bénéfique, si elles travaillaient pour eux.
– Non mais vous avez vu cette pimbêche ? Elle accapare déjà l’homme le plus riche des lieux !
Visiblement la noblesse féminine s’indignait bien plus de la beauté de ma fille que de la présence des putains.
Je ne savais pas que cela me foudroierait ainsi. Ailia était tellement magnifique que plus aucune autre ne trouvait grâce à mes yeux. J’essayais de les regarder et de leur trouver la beauté qui me sautait aux yeux d’habitude, mais rien. Ma fille m’avait bel et bien prit ma vue. Je l’aimais terriblement.
***
Nous nous étions installés confortablement à l’une des tables. Ailia me servit une coupe de champagne et se tint à mes côtés, légèrement collée à moi. Ses grands yeux fixaient l’animation de la salle, imperturbable. Je savais qu’elle cherchait son frère ou un visage de son passé, tandis que les bulles de l’élixir de fête pétillaient dans ma bouche souriante.
Comment agir en conséquence de notre venue ici ? Je commençais à douter de ce choix. Ma fille avait quelque chose en tête, j’en étais certain. Il ne restait plus qu’à ne pas la brusquer. Elle avait besoin de mon aide pour accomplir son idée : peut-être mettre fin aux jours du directeur de l’organisation ?
– Ma chérie, que désires-tu ce soir ? m’hasardai-je à lui demander, pour peu qu’elle souhaite se livrer à son père.
Elle me regarda le visage toujours aussi figé et marqua un temps de pause avant de me répondre en plaçant sa main sur la mienne.
– Vous faire un présent, père. J’ai besoin de retrouver quelque chose que j’ai laissée à l’organisation, ils doivent l’avoir encore.
Une chose qu’elle a laissée, qu’elle voudrait me donner en cadeau ? Qu’est-ce que ça pouvait bien cacher. Si elle ne le trouvait pas elle serait sûrement très déçue, la pauvre. Elle continuait à scruter le moindre visage sans en louper un seul.
Elle se leva d’un coup.
Cela faisait quelque minute qu’elle se terrait dans le mutisme et la concentration, et ce brusque mouvement me fit tressaillir de surprise.
– Ailia ! Qu’est-ce qui se passe ?
– J’ai trouvé.
Elle avança sans même me lancer un regard, ses longs cheveux ondulant à sa suite. Elle était déterminée. Personne ne pouvait prévoir ce qui allait arriver, pas même moi. Elle m’abandonna là et s’éleva vers la lumière, forte et scintillante.
Reviens-moi vite, mon ange.
Ailia se présenta devant un homme d’âge mûr et s’inclina devant lui, tenant les pans de sa robe dans les mains. L’homme était grand et avait les cheveux gris et plaqués élégamment en arrière – ça me coûte de l’avouer –. Il affichait un air sévère. Mais il invita Ailia à prendre un verre au buffet avec lui, je les vis s’y rendre.
Le sourire de ma fille.
Me fendit le cœur.
Elle lui souriait et riait à ses paroles. Je remarquais que l’homme semblait un peu plus aimable. Ailia l’avait détendu visiblement. Mais qu’est-ce qu’elle fabriquait ? Et qui était cet homme ? Son frère ?!
Enfin, elle se blottissait contre lui parfois et il regardait sa gorge avec insistance – quel calvaire – puis, ils montèrent les marches de l’escalier central.
Non. Elle n’allait quand même pas…
Ne la touche pas !
Je me levai à mon tour pour me frayer un chemin parmi les convives. Je devais aller l’arrêter. Je me rapprochais de plus en plus. Un homme me bouscula, en relevant la tête, je les vis, au milieu de l’escalier, là où les marches laissaient une plateforme semblable à une scène que j’avais observée auparavant. Elle était parée d’un tapis rouge sang. Le couple dansait à la lumière d’un chandelier.
On ne voyait qu’eux. Ma fille, dont la beauté et le visage ravi, enchantait la salle, et sa robe nous éblouissait. J’aurais voulu être son cavalier ce soir-là, réellement.
Quand la valse eut fini, l’homme leva la main d’Ailia comme une victoire.
– Mesdames et messieurs, ce soir, moi, le chef de l’organisation j’ai l’honneur de vous présenter une invitée de marque !
Hein ?
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