Adresse à l'avenir
Ceci pour qui envisagerait un jour de reprendre le combat.
Il est dit que l’Histoire est écrite par les vainqueurs. Nous avons été vaincus. Ceux qui furent nos adversaires, bien que nous ayant défaits, se taisent. Que nous reste-t-il, sinon la parole ? Et la vie.
Vous êtes ce qui reste de nous, nos enfants. Pour vous, en cet aujourd’hui qui m'est un avenir lointain, rien ne rappelle ce qui fut. Les traces sont effacées, les ruines enfouies. Même la mémoire des deuils s’est estompée. Les cœurs ont pleuré, puis séché leurs larmes, le temps a passé.
Nous avons choisi le combat et nous l’avons perdu pour vous laisser la vie. Si vous prêtez aujourd’hui attention à notre histoire, si vous en avez la possibilité, c’est que nous ne nous sommes pas trompés. La paix sera notre récompense posthume. Et votre cadeau quotidien.
Cette trêve que vous partagez est fille directe de notre défaite.
Dans des temps très anciens, le chef d’un peuple vaincu disait de ses vainqueurs « Quand les Romains ont tout détruit, ils appellent ça la paix. » Nous ne savons plus ce que pouvait désigner le terme de Romains, mais ils avaient raison.
Aujourd’hui, je l'espère, vous parcourez la planète sans heurts ni frontières. Rien n’arrête vos pas, sinon la fatigue du jour ou le coucher du soleil. Les promesses de l’aube vous font traverser la nuit. Vous vivez de la générosité du sol et de la richesse des rencontres. La peur du manque comme la peur de l’autre ont déserté vos consciences. Vos curiosités sont joyeuses, joueuses, et ne s’encombrent pas de confrontation ou de jalousies. Jouir de tout, avec tous, est votre seul moteur. Ce qui vous est naturel ne l’a pas toujours été. Il a fallu trancher.
Pour cela nous avons eu besoin d’aide. Nous l'avons attendue, longtemps. Lorsque nous l'avons enfin reçue nous ne l'avons pas reconnue.
Ils sont arrivés lorsque nous pensions être à notre apogée.
Illusion du processus évolutif : chaque étincelle de vie consciente se voit comme la plus belle pousse du buisson, la plus avancée. Oubliant que l’insignifiante bactérie voisine émarge aussi, comme tous ses contemporains, au titre de bourgeon le plus évolué de sa petite branche.
Ils sont arrivés comme un orage sur notre arrogance.
Nous n’avions pas de nom pour ce qui nous tombait du ciel. Certains les ont traités de pieux, de poireaux, de blafards, de suppositoires… Le mépris, la raillerie, le dégoût qui éclataient dans ces mots ! Nous ne savions pas décrire ce qui avait traversé l’espace pour venir à notre rencontre. Vous les connaissez, vous vivez à leurs côtés, vous les appelez Voisins. Aujourd’hui vous n’en avez plus peur.
Aujourd’hui n’est que l’enfant d’hier. Or, nous avons eu peur.
Ils sont tombés comme une pluie de dards et se sont fichés dans le sol. Par milliers, tout autour de la planète. Ils n’ont tué ni blessé quiconque. Rien n’a été détruit, ni même endommagé. Mais ils ont perturbé notre puissance, brouillé notre fragile harmonie. Ils ont mis à jour notre faiblesse.
Pourtant, nous avions de quoi être fiers.
Pouvez-vous imaginer ce qu’était l’Humanité d’alors ? Vous expérimentez aujourd'hui ce qui n’était pour nous qu’une utopie invraisemblable. De la même façon notre quotidien vous serait plus qu’étranger : inconcevable. Pourtant cela fut, un temps, et il n’en reste rien, pas même le souvenir.
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