Pour vous
Pour la plupart ils devenaient fous. Tous s’entre-tuaient, tous mouraient, et d’autres les remplaçaient. C’était follement inutile, mais follement nécessaire. Homme contre homme, frère contre frère, feu contre feu. Irréversible, fou et inutile.
Ne nous méprisez pas pour cela.
Au contraire, rappelez-vous ce que vous devez à ceux qui sont morts en ce combat.
Quand vous regardez un nouveau paysage sans vous demander à qui appartient ce pays et quelles sont ses lois.
Quand vous croisez des inconnus sans vous demander s’ils vous veulent du mal, ou pire.
Quand vous prenez place à une table sans vous demander combien cela va vous coûter et si vous pourrez payer.
Quand vous mangez, buvez, respirez, sans vous demander quel polluant pourrait vous empoisonner.
Quand vous contemplez votre avenir sans vous demander ce que vous devez faire pour vous en sortir.
Ce que vous vivez a pris racine dans leur mort à tous et vous les avez oubliés.
Vous avez oublié que leur folie pourrait être la vôtre. Leur agressivité, leur fureur, leur puissance, tout ce pourquoi ils avaient été choisis.
Vous l’avez oublié parce qu’ils ont succombé. Il ne reste plus rien d’eux en vous. Tout ce qui avait poussé la race humaine jusqu'ici, tout ce qui l’avait fait courir contre elle-même, toujours plus vite, jusqu’au gouffre. Toute cette part de nous, de vous, a succombé.
Ce n’était pas un tour du destin. Ils sont tous morts parce que nous les avons trahis.
Oui, trahis !
Constatant que les morts ne décourageaient pas les vivants, nous les avons poussés à se dépasser. Nous ne combattions pas nous-mêmes : nous décidions, dirigions, ordonnions. Et nous voulions que cela s'arrête, définitivement.
Quand nous avons compris que tout était perdu nous aurions pu cesser le combat. Mais nous avons trahi.
Comme tout traître, nous avons saisi l’occasion. Si nous voulions survivre en tant qu’espèce, il nous fallait trahir ceux que la mort – la leur ou celle de l’ennemi – ne freinait plus. Nous avons laissé les tueurs continuer. Nous les avons appelés, encouragés même.
Il en sortait de partout comme des furieux d’une tranchée. Une image ancienne que vous ne pouvez pas saisir. Les horreurs de la guerre semblaient les révéler à eux-mêmes. Loin d'écouter leur peur, ils la niaient et affichaient une combativité au moins égale. Cette détermination de kamikaze, nous l’avons utilisée comme marqueur infaillible. Pour les éliminer.
Vous voulez combattre ? Allez-y !
Vous avez besoin d’armes encore plus puissantes ? Les voici !
Il vous faut un entraînement plus poussé ? Une hiérarchie plus solide ? Des récompenses plus brillantes ? Des drogues plus fortes pour anéantir la peur, la fatigue et vos derniers doutes ? Servez-vous et battez-vous !
Battez-vous pour nous. Mourrez pour nous… Disparaissez, pour nous.
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