Chapitre 7 : La Dame et le Monsieur
- " Qu'attends-tu de moi ?" Allons, Stevy. Serait-ce si invraisemblable que je sois juste venue te saluer ?
Je retins un gloussement puis répondis, impassible.
- Tu souhaitais donc simplement me dire bonsoir, c'est cela ? Quelle sollicitude ! Je t'en remercie.
Le visage d'Amy m'apparaissait avec clarté à travers le rétroviseur intérieur, si bien que je ne manquais pas la moindre de ses réactions. Son sourire décomplexé m'indiqua que ma réplique avait fait mouche, mais cette fois, je ne me contenterai pas de miettes. Je comptais bien lui soutirer la moindre parcelle de vérité.
- Navrée de ce qui est arrivé à ton père, je n'ai pas été très présente dernièrement, mais je suis libre maintenant.
Cette fois, je ris à gorge déployée, m'étouffant presque au passage. Ce n'est que lorsque ma quinte passa que je pus lui rétorquer :
- Je ne savais pas que nous avions ce type de relation.
Comme à son habitude, elle ignora ma remarque et poursuivit avec enthousiasme.
- À présent, je suis libre, je n'ai plus la moindre obligation !
Elle m'interrogea ensuite sur ce que j'avais ressenti lors de mon voyage en avion. Perplexe, je m'affalai davantage sur mon siège.
- J'ai fait un drôle de rêve pendant le vol, c'est curieux puisque d'ordinaire, je ne me souviens jamais de ce genre de chose.
Sans prêter attention à mes explications, Amy esquiva habilement un chauffard qui fonçait dans notre direction. Une belle démonstration, puisqu'en plein brouillard, il m'aurait été impossible d'accomplir pareille prouesse. Elle semblait ne faire qu'un avec le véhicule, qui n'était plus que le prolongement de son corps.
- Tu es bonne conductrice, lui fis-je remarquer.
- Pourtant, je n'ai pas mon permis, dit-elle, langue tirée.
Nous roulions depuis une vingtaine de minutes. La densité urbaine sommes toute relative de PeakVille, laissait progressivement place aux espaces ruraux propres à la périphérie de la ville. Ma chauffeuse n'avait pas dit mot depuis l'incident routier. Pas plus qu'elle n'avait répondu à mes questions sur ses motivations, ou la nouvelle mission. Soudain, elle brisa le silence.
- Je vais t'expliquer ce que nous allons faire ce soir, tu sauras tout une fois la tâche accomplie.
- Est-ce moi où tu te répètes ? Amy, serais-tu en train de te payer ma tête ?
Elle arrêta la voiture et me fit face. Insensible aux hurlements colériques des automobilistes à notre suite. Je m'attendais à ce qu'elle me convainc par un subtil mélange de charme et de rhétorique, comme elle avait su le faire par le passé, mais c'est son petit doigt qu'elle pointa vers mon nez.
- Ton doigt.
- Tu plaisantes ?
- Ce n'est pas un piège.
- Là n'est pas la question...
Elle n'en démordait pas. Gêné, je me prêtais au jeu. À peine mon auriculaire s'était-il accroché au sien qu'elle s'écria.
- Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer !
Sur ces mots, elle reprit le volant, visiblement satisfaite. Quelle valeur accorder à la promesse d'une démone ? Probablement aucune, mais je ne pouvais cacher mon hilarité. Je me redressai et tentai ma chance à nouveau.
- Qui comptes-tu éliminer cette fois. Un voleur, un trompeur, un violeur ?
- Nous allons kidnapper un enfant.
Une fois de plus, je manquai de m'étouffer. Dans quel bourbier allait-elle encore me fourrer ?
- C'est un tueur en série lui aussi ? plaisantai-je à demi, craignant sa réponse.
Elle me répondit cette fois sur un ton plus autoritaire, qui ne laissait que peu de place à la répartie.
- Fais-moi confiance.
La route était dégagée, ma conductrice en profita pour accélérer, dépassant un instant les 250 km/h avant de s'arrêter brusquement.
- On est arrivé ! s'exclama-t-elle mélodieusement.
Sans palabrer davantage, Amy s'échappa de l'habitacle et inspira profondément ce que j'appellerais "le bon air de la campagne."
Nous nous trouvions à proximité d'une ferme. La bâtisse principale, certainement la demeure du propriétaire, était entourée d'enclos en tout genre. Je peinais à distinguer quoique ce soit, mais j'entendais couinements, hennissements, bêlement et piaillement, ce qui ne me laissait nulle doute sur la nature agricole du lieu. Amy se mit soudain à sauter en direction de la maison, comme si elle souhaitait éviter je ne saurais quel piège, m'extirpant ainsi de mon analyse.
- Fais attention Stevy, il y a de la boue partout.
- Génial... soufflai-je en empruntant maladroitement le sentier tracé par ma partenaire.
Nous passâmes à côté d'un chien profondément endormi et survécurent à l'odeur infecte émanant des porcs.
- Je sais que je t'ai dit que je voulais aller "n'importe où", mais on aurait pu trouver mieux tu ne penses pas ? Bon sang ! Pourquoi ont-ils placé l'enclos des cochons si proche de leur foyer ? L'odorat leur fait défaut, ce n'est pas possible.
- Dis-donc, tu es une petite nature en fait, s'esclaffa Amy
Elle n'était nullement contrariée par les effluves nauséabondes. Plus nous approchions de notre destination, plus elle se faisait discrète.
- Doucement, nous y sommes presque.
Accroupis à quelques mètres seulement de la porte d'entrée, nous laissâmes nos regards vagabonder à travers la fenêtre du fermier. L'intérieur était éclairé, nous pouvions admirer ce qui devait être le salon du propriétaire.
- Que fait-on ? demandai-je, peu à l'aise dans cette position.
- Rien, on attend.
Il nous fallut patienter une bonne demi-heure avant qu'un événement ne se produise, je m'étais assis, le dos contre la façade de l'infrastructure quand Amy m'interpella, un brin d'excitation dans la voix.
- Steve, regarde. Le voilà !
Le jeune garçon fit irruption dans la pièce, il marchait à pas de loup pour éviter d'être entendu. Vêtu d'un pyjama rayé, sa petite tête blonde me revint en mémoire à mesure qu'il s'approchait de nous.
- C'est l'enfant de l'avion, remarquai-je. Il se faisait sermonner par ses parents.
- Et il est sur le point de faire une bêtise.
Amy avait vu juste, le garnement s'empara d'une chaise et la positionna devant un long placard. Il s'en servit pour atteindre la poignée, inaccessible autrement. En équilibre, il ouvrit le meuble puis s'empara d'un bocal à confiserie dissimulé dans une forêt de spiritueux. Nougats, chocolats, pâtes de fruit, réglisses, les pupilles du bambin scintillèrent à la vue de ces délicieuses friandises. Peut-être fusse la gourmandise qui lui fit perdre son emprise ou bien les bruits de pas qui fragilisèrent son bras. Toujours était-il que l'enfant avait lâcher le précieux récipient. Ce dernier, malicieux, entama son interminable chute. Il tournoyait, étincelant à la lumière de l'unique ampoule de la pièce, avant d'éclater dans un fracas infernal, projetant bonbons et éclats de verre à plusieurs mètres de distance. Le planché en était infesté. Paniqué, le garçon s'affairait à nettoyer. Il lui fallait tout ranger avant que...
- Qu'est-ce que t'as encore foutu petit con ?! D'abord la scène dans l'avion et maintenant ça ?
Alcoolisé, Mickael s'approcha de son fils, ceinture à la main. Les yeux humides, celui-ci formulait de vaines justifications.
- Pardon papa je n'ai pas fait exprès, j'ai eu peur... Et... Et...
******
Papa est encore en colère après moi, il a bu. Maman m'a dit qu'il n'est pas lui-même quand il a bu. C'est maman qui m'a autorisé à prendre les bonbons, mais je ne peux pas le dire à papa. Pardon papa, pardon. Je n'ai pas fait exprès.
- Mickael ! Stop ! C'est moi qui lui ai dit d'aller prendre les bonbons.
Maman est là. Retourne dans la chambre maman, papa n'est pas lui-même.
- T'en as pas marre de saper mon autorité ?! Il me manque de respect à cause de toi ! Vous me prenez pour un clown, c'est ça ? Je vais vous montrer qui c'est, le clown !
- Mickael, qu'est-ce que tu fais ? Lâche moi ! Mick...
Qu'est-ce que c'était ? plus de bruit, maman et papa ne se disputent plus ? Je peux rouvrir les yeux ? Pourquoi maman est au sol ? Elle ne bouge plus. Papa non plus ne bouge plus. Maman ?
- Maman !
Elle saigne de la tête, elle ne va pas bien.
- Dans ta chambre Mike ! C'est pas vrai, Judith relève toi ! Je t'ai à peine touché bordel !
- Mais maman...
Pourquoi maman est tombée ? Je ne peux pas aller me coucher. Je vais l'aider ! Lâches moi papa, maman. Il faut aider maman, elle ne va pas bien ! Non ! Papa, qui sont ces gens derrière toi ?
- T'es qui toi ?
Papa s'est fait frapper, il saigne lui aussi. Un monsieur l'a frappé.
- Salut mon chérie, regarde moi. Comment tu t'appelles ?
Une dame est apparue, elle m'empêche de voir papa. Comment va papa ? J'entends du bruit mais je ne vois rien. La dame est jolie, presque autant que maman. Elle a les yeux tout rouges. Elle a une belle voix. J'ai chaud, j'ai envie de dormir...
******
Le gosse semblait s'être calmé. De toute évidence, le charme d'Amy opérait aussi sur les enfants. L'homme qui me faisait face, en revanche, était fou de rage. Désorienté, les traits tordus par la colère et l'anxiété, Mickael se remettait du coup que je lui avais administré. Clairement, il en avait vu d'autres. Ses yeux, rougis par l'alcool, me ciblèrent. C'est à cet instant que le phénomène se reproduisit.
- Je l'ai à peine touché, pourquoi ? C'est pas ma faute ! Je voulais pas... Pourquoi ?
Ses lèvres étaient closes, il n'avait pas parlé. Une fois de plus, j'entendais les pensées profondes de mon interlocuteur. L'état de ce dernier compliquait toute tentative de dialogue, il lui fallait extérioriser sa frustration et j'étais le cobaye parfait pour ça, bien !
J'esquivai le premier assaut. Ses coups, d'une puissance inouïe, n'avaient pas la vivacité de ceux du calligraphe. Ils étaient téléphonés et ralentis par son état d'ébriété. J'utilisais le mobilier à mon avantage, restant toujours hors de portée des frappes de mon imposant opposant.
- Enfoiré, arrête de bouger !
Déchaîné, le mastodonte se saisit de la table qui nous séparait et l'envoya valser à l'autre bout de la pièce, manquant de peu Amy et le petit et détruisant au passage une partie de la déco'. Je fus surpris qu'il ne m'ait pas directement envoyé la table en plein visage. Vraisemblablement, il souhaitait me vaincre à main nue. Sans échappatoire à exploiter, je fus finalement victime de sa poigne. Il me projeta au sol à plusieurs reprises avant de me plaquer violemment contre le placard. Les bouteilles de liqueur tombèrent les unes après les autres, souillant le sol de leur contenu. En grande difficulté, je parvins tout de même à en saisir une en vol pour l'écraser sur le visage de mon assaillant. Il hurla de douleur tandis que je m'avançai péniblement en sa direction, le dos endolori. Poignard en main, je m'élançai, profitant de sa visibilité réduite. Non pas pour le tuer, mais pour le mettre définitivement hors d'état de nuire. La lame, virevoltante, sectionna ses tendons. Son sang se mêla à l'alcool et le géant s'écroula, en larmes.
- Merde ! Sors de chez moi. Partez, tous !
Amy nous rejoignit, le jeune Mike dormait sur ses épaules. Elle toisa rapidement mon adversaire.
- Qu'attends-tu ? Tues-le. Le garder en vie ne nous apportera que des ennuis.
Je n'avais moi aussi que mépris pour cet homme, mais je n'étais pas encore devenu un vulgaire tueur au sang-froid.
- Si tu veux le tuer, fais-le toi-même.
La démone soupira. Elle posa délicatement le garçon au sol avant de s'approcher de Mickael.
- Qui vous êtes bordel ?!
Sans même le gratifier d'une réponse, Amy introduisit son index et son majeur dans les globes oculaires de sa victime, les écrasant lentement, méticuleusement afin d'éviter toute chance de guérison. Les cris persant de l'homme agonisant me firent détourner le regard. Elle, ne broncha pas.
- Voilà qui est réglé, dit-elle. Allons-y.
Elle sortit de l'habitation après avoir récupéré l'enfant. Je lui emboîtai le pas quand un violent mal de tête interrompit mon mouvement. J'avais ressenti une sensation similaire à ma sortie de l'hôpital, mais rien de comparable à la douleur qui m'assaillait en cet instant. Pour une obscure raison, le monde se mit à tourner autour de moi, je posai un genou à terre, puis le second. À la douleur s'ajouta la toux, ce fut autour du bassin et du menton. Ce soir-là, je m'étais éteint.
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