La rencontre d'une vie
Je m’appelle Edmond Lovsky. Du moins, c’est ce que me répète tous les jours mon infirmière. Je suis malade de la maladie où l’on oublie qui on est, je ne sais plus son nom, trop compliqué pour moi. Et, dans mes souvenirs, qui remontent à loin la plupart du temps, j’ai du participer à quelque guerre, laquelle, bonne question. Accroché au dessus de mon lit, un cadre. Aux contours gris. Ternes. Au milieu, une photo. Je suis dessus, mais il n’y a pas que moi. Des noms sont écrits dessus. Une petite fille sur mes genoux, avec écrit « Elise ». Elle est très mignonne, rousse avec les yeux marrons chocolat. A côté de moi, la main posée sur mon épaule, une femme, d’une trentaine d’année, appelée « Mariette ». Quel étrange prénom. Puis, à la gauche de Mariette, un homme assez imposant, « Edouard ». C’est donc ma famille. Mais... Où est Edith ? Elle n’est pas dessus.
Je passe le plus clair de mon temps à penser, et mes pensées reviennent toujours à Edith. Que dire d’elle ? Mes souvenirs sont vagues.
J’avais 20 ans, j’étais officier dans la marine. Un jour, on a fait une halte de deux semaines en Allemagne. Je suis allé dans un bar, boire une bonne bière dans l’espoir de notre victoire prochaine. Puis j’ai vu une serveuse. Non, ce n’était pas Edith, c’était sa sœur, du moins je crois. Elle m’a vu, m’a glissé un petit sourire, puis s’est approché de moi.
« Militaire ?
- Non, marine.
- C’est dur ?
- Ca va, ça va.
- Vous faites quoi ici ?
- Je rêve. Il faut rêver, sinon le mot espoir n’a plus aucun sens.
- Bonne philosophie, marine, rigole la serveuse.
- C’est juste la réalité, vous savez.
- Oui oui... Et c’est quoi, votre petit nom ?
- Et vous ?
- Hum, rusé le monsieur. Je suis Rachel. Et vous ?
- Edmond.
- Joli.
- Merci. »
Quelques jours plus tard, j’étais chez elle, en train de boire un café noir avec deux sucres s’il vous plaît. Et là, tout a changé. Car Edith est apparue. Dans son corset bleu ciel et sa jupe noire, elle semblait sortir d’un autre monde. Et Rachel m’a rabroué :
« Et voilà un autre tombé dans le piège de ma sœur…
- Votre sœur ? Son nom, c’est quoi ?
- Edith. Edith Galister.
- Edith… »
Nos regards étaient accrochés l’un à l’autre. Je voulais tout savoir d’elle, la toucher, l’observer, la protéger. Tout ça ? D’un coup ? J’avais du mal à y croire moi-même. Puis j’ai vu sa posture. Sur le seuil de son salon, elle m’observait elle aussi de son côté, curieuse, la tête penchée sur le côté. Ses longs cheveux tressés sur le côté la faisaient ressembler à une princesse.
« Bonsoir, Edith.
- Bonsoir, …
- Edmond, madame.
Sa voix. Que dire de sa voix ? Douce, avec un accent, magnifique, sublime. Elle me subjuguait. Elle m’hypnotisait, m’emportait déjà dans de doux rêves. Puis, d’un coup, je me suis rappelé mes obligations.
« Mesdames, je dois vous quitter, on m’attend. Je vous remercie de votre accueil, Rachel.
- Mais de rien, marine.
- A bientôt.. Edith.
- A bientôt, Edmond. »
Le lendemain, je n’ai pu la revoir. Nous sommes partis en pleine nuit, alertés par la radio. Mais, tandis que le bateau s’éloignait, je pensais à elle, me demandant ce qu’elle pensait de moi.
Je lui ai écrit des lettres, ayant demandé l’adresse à Rachel. Je lui parlais de moi, de mon brusque départ, de notre situation. Elle me répondait toujours. Je ne l’ai vue qu’une fois, mais cela a suffit pour faire chavirer mon pauvre cœur de matelot. Je crois bien que c’était réciproque. Quelques années après, elle m’apprit la mort de sa sœur, par pneumonie. La serveuse aux sourires taquins n’était plus. De mon côté, je luttais contre mon envie d’aller la prendre dans mes bras, fusse-t-il traverser la mer pour la rejoindre.
Annotations
Versions