C’est le soir d’une ère nouvelle. Le bleu est partout. Dans les yeux des femmes, sur le bord des collines, dans la courbe des anses marines, l’âme apaisée des hommes. C’est une vibration qui vient de loin, qui part loin, peut-être au-delà des étoiles, dans un monde inconnu que les yeux ne voient pas. C’est une musique en sourdine, un à peine ébruitement du monde, une lueur de margelle, un reflet sur le plomb d’un vitrail, un souple ricochet sur la face immobile d’une lagune, l’amorce du temps inscrivant son hiéroglyphe sur l’échine d’un galet. C’est une lueur diffuse, un chant des abysses, une pliure d’algue dans la beauté intouchable des vagues, une écume marine vivant de sa pure présence, une caresse de gemme dans le secret de la terre. Partout l’encre a inscrit son règne, l’imaginaire déposé son sceau, le rêve imprimé la couleur de l’illimité. Plus rien n’existe que le bleu. La plage est bleue, l’eau est bleue, le ciel est bleu, l’esprit est bleu qui dérive dans l’espace infini. Partout où surgit le bleu, les choses s’effacent. Il n’y a plus la mer, il n’y a plus l’horizon, il n’y a plus les hommes. Partout est la couleur profonde, immatérielle, transparente, celle qui annexe les formes et les confond dans une même harmonie, un même langage tissé de poésie, si près du vide qu’on pourrait penser à une disparition de ce qui est. L’autre côté du miroir est là, devant soi, qui nous prend dans l’inaccessible et nous y dépose sans que nous y prenions garde. Fascination du bleu, infinité de déclinaisons : gorge du pigeon, plumes d’acier du paon, transparence de l’aigue-marine, densité du saphir, camaïeu du zircon, eau indolente de la turquoise. Dans le bleu on se perd, dans le bleu on disparaît en même temps que l’on s’accomplit. On n’a jamais été aussi près du vide alors même que se déploie un sentiment de plénitude jusque là inapproché.