Beau temps - par Docno
Alors, il faisait beau ; enfin, le ciel était plombé, point de bleu, pas même une petite lucarne d’espoir, tout était mangé par la grisaille uniforme, la mornitude désespérante. Des nuages très (trop ?) vilains s’étendaient à l’infini, faisant la queue pour nous pourrir la vie, mais le miracle était bien là.
Il ne pleuvait point ! (si sérieux, la vérité ! Si ce jour-là, pas de pluie !)
Ainsi, nous n’étions pas encore noyés même s’il fallait patauger dans le brun comme on dit chez nous, la bidoulle quoi, vous ne me comprenez pas ? La bouillasse, la boue ! M’enfin, je parle Français autant que toi quand même !
Équipé comme il se doit avec la bouée et les bottes de caoutchouc, tel un abruti fini, je m’affairais avec mauvaise humeur, car comme chacun le sait, je n’aime pas la nature. Pourquoi ? Ça pousse tout le temps, ça envahit, ça bouffe tout l’espace ! L’horreur ! Moi j’aime le bitume, le plat pour foncer avec la trot’ électrique à fond et prendre la pause du surfeur comme dans Point Break. Alors, je vous arrête tout de suite, ne me comparez pas avec Brice de Nice ! Rien à voir ! Moi j’ai un cerveau, je ne suis pas un Boubourse !
Le jardin n’était qu’une désolation : une sorte de… Il n’y a plus de mots pour le décrire ! C’est trop là ! Nan, sérieux, c’est abuser ! Une jungle !
Alors j’ai sorti le matos, j’ai rempli les réservoirs jusqu’à la gueule avec la gazoline et j’ai tiré la chevillette cherra ! RLAAA !
J’étais dans une sorte de transe ; j’avais à l’esprit la scène mythique « Ride of the Valkyries » d’Apocalypse Now* . Je coupais allègrement tout ce qui dépassait avec une sorte de hargne et de frénésie dans le hurlement du moteur. Tout y passait, tout succombait, ça tombait de partout : laurier, chèvrefeuille, rosiers multicolores, mimosa, menthe sauvage, lavande. Le rugissement de la machine broyait sans discernement. Tandis que je combattais avec férocité contre un ennemi mille fois plus nombreux, une voix m’interpella :
- Monsieur ! Monsieur !
- Hein ? C’est qui ?
- Monsieur ! Hou-Hou !
- Quoi ?
- Qu’est-ce que vous faites ?
- Je tricote, tu vois pas ?
- Vous êtes un sauvage ! Vous avez massacré ces magnifiques rosiers ?
- Moi ? C’est pas moi madame ! C’était déjà comme ça !
- Non, non, non… Je vous observe depuis plusieurs minutes. Je n’ai jamais vu un malade comme ça, s’en prendre à de malheureuses plantes ! C’est un scandale !
J’écartai des branches de la haie qui donnait sur la rue et me trouvai nez à nez avec une beauté improbable, un petit visage tout mignon avec des yeux verts adorables. J’avais une voisine si gironne et je ne le savais point ? Comment cela se fait-ce ? Comment cela se peut ?
Que faire ? Je souris comme un niais et tendis une rose orange fraîchement tronçonnée à la beauté agacée.
On a la classe ou pas. Je l’ai. Un point c’est tout.
Tchac !
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