Chapitre 6 - Aloïs
Les mains enfouies dans les poches de son sweat noir, la capuche enfoncée sur sa tête, dissimulant en partie son visage et lui conférant un air aussi sombre que l’ambiance qui l’entourait, Aloïs avançait dans les couloirs du lycée avec une lenteur presque calculée. Ses écouteurs étaient branchés à son téléphone, qu’il tenait fermement dans sa poche comme pour se donner un semblant de sécurité dans cet environnement qui lui semblait toujours aussi étouffant. Il déambulait sans but précis, frôlant les murs comme s’il cherchait à se fondre dans l’ombre. Loin des regards, loin des autres. Depuis son premier jour ici, il avait pris soin d'éviter la compagnie des autres étudiants, surtout ceux de sa classe. Il n’avait jamais vraiment eu d’ami, et il ne voyait pas pourquoi il en aurait maintenant. Pourquoi se lier avec des gens qu’il considérait, au fond, comme des étrangers ? Et puis, être ami avec des personnes populaires, avec leurs conversations superficielles et leurs rires bruyants, ne l’intéressait absolument pas. Le lycée était juste un endroit où il fallait survivre. Pas un endroit où il avait besoin de se faire des amis.
Alors qu’il tournait au coin d’un couloir, s’apprêtant à s’enfoncer dans la zone la plus calme du lycée, il se retrouva nez à nez avec une silhouette familière. Le grand blond cuivré aux yeux d’un vert hypnotisant, le regard aussi perçant que ses cheveux cuivrés étaient lumineux. Idan. En un instant, Aloïs se figea, son esprit cherchant désespérément si une simple salutation était nécessaire. Devait-il le saluer ? Ou devait-il simplement ignorer sa présence, comme il le faisait si bien avec tout le reste du monde ? Il se sentit légèrement pris au dépourvu, incapable de bouger.
Un sourire éclatant s’étira sur le visage d’Idan, dévoilant ses petites fossettes, et une lueur amicale dans ses yeux sembla percer l’indifférence d’Aloïs.
— Je te cherchais justement ! lança Idan avec enthousiasme. On va bientôt manger, tu veux te joindre à nous ?
Aloïs, pris au dépourvu, laissa une grimace déformer ses lèvres. Il fronça les sourcils, et son regard se fit plus perçant, comme s’il cherchait à percer à jour les véritables intentions d’Idan.
— Qui ça, "nous" ? demanda-t-il d’un ton qui se voulait détaché, mais qui trahissait une pointe de méfiance.
— Ben, tu sais, quoi ! répondit Idan en haussant les épaules. Meane, Elias et peut-être quelques amis à Elias !
Aloïs haussait déjà une sourcil en entendant le nom de Meane et Elias. Il se dit que, logiquement, si il avait posé la question, c’était qu’il n’avait pas la moindre idée de ce que ça impliquait. Mais avant qu'il n’ait le temps de répondre, il ne put s’empêcher de réagir avec une touche de sarcasme :
— Mh… Logiquement, si j’ai posé la question, c’est que je ne savais pas. Si je savais vraiment, je n’aurais pas gaspillé ma salive pour ça.
Idan, un peu gêné mais toujours aussi souriant, lâcha un petit rire.
— Oui, oui, bah écoute, c’est un tic de langage, j’y peux rien ! T’en as sûrement toi aussi, n’est-ce pas ?
— Oui. répondit Aloïs, sec, sans même y réfléchir, fixant Idan de ses yeux intenses.
Un long silence s’installa alors. Les yeux d’Aloïs, plongés dans ceux d’Idan, se firent plus sombres, ses sourcils se froncèrent à nouveau, lançant des éclairs de méfiance et de défi. C’était le regard qu’il réservait aux gens qui l'importunaient, un regard qui semblait capable de repousser toute personne s’approchant trop près de lui. Normalement, il n’utilisait ce regard que lorsqu’il était concentré sur quelque chose, mais il avait pris l’habitude de l’arborer pour marquer son territoire, pour montrer qu’il était impassible et que personne ne devait se rapprocher. Et là, il le sentait, ce regard intimidait Idan. Mais ce dernier ne recula pas, au contraire, il semblait encore plus déterminé à aller au bout de cette conversation.
— Euh… reprit Idan, visiblement un peu intimidé par cette intense fixation, du coup, ça te dit ?
Aloïs soupira en se détournant légèrement, son regard fuyant, et laissa échapper une réponse évasive.
— Sans façon. Je préfère manger en petit comité. Je n’ai pas faim de toute façon.
Un petit silence s’installa. Idan, ne voulant pas insister, haussait les épaules, mais quelque chose dans son ton changea.
— Alors, mangeons juste tous les deux, alors ! proposa-t-il, presque avec un enthousiasme désarmant.
Aloïs s'arrêta une seconde, observant la proposition de plus près. Malgré lui, une partie de lui se sentit touchée par cette offre. C’était… peut-être pas si mal, finalement. Peut-être que ça valait la peine de sortir un peu de sa zone de confort, juste une fois. Il n’avait jamais eu d’ami véritable, mais… n’était-ce pas l’occasion d’en avoir un, au moins une fois dans sa vie ? Il ferma les yeux, chassant cette pensée qui venait de traverser son esprit. Il n’avait pas besoin de ça. Pas maintenant. Pas ici.
— D’accord, d’accord, répondit-il finalement, un peu plus doucement. Mais… je vais te suivre à mon rythme. Pas question que je me presse.
Idan, qui avait compris que son interlocuteur avait besoin de prendre son temps, sourit de plus belle et se mit en route vers le self, sans insister. Il laissa Aloïs prendre ses distances, respectant son besoin d’espace, mais toujours avec cette lueur d’espoir qu’un jour, peut-être, il briserait les murs que le brun avait dressés autour de lui. Au fond, peut-être qu’il n’était pas si seul que ça.
Aloïs, quant à lui, se laissa entraîner par son propre rythme, observant Idan s’éloigner à l’avant tout en gardant une distance suffisante.
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