Chapitre 10 - Aloïs

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Quand la dernière sonnerie de la journée retentit bruyamment dans la salle de cours, Aloïs saisit son sac qu’il avait déjà soigneusement préparé et sortit précipitamment de la salle, tête baissée.

Depuis que Idan l’avait surpris dans les toilettes, se forçant à vomir, Aloïs n’avait plus osé croiser son regard. Toute la journée, il l’avait évité, esquivant sa présence avec une précision maladroite. Une honte pesante l’envahissait, une honte tenace qui lui martelait l’esprit : Comment a-t-il pu me voir comme ça ?

Une fois sorti du lycée, il se mit à courir, espérant que la distance étoufferait cette sensation d’être observé, jugé. Lorsqu’il atteignit enfin une rue déserte, il ralentit, le souffle court. Glissant une main tremblante dans sa poche, il sortit son téléphone et ses écouteurs noirs. L’écran s’alluma, affichant une notification. Un message de son père.

"Nous ne serons pas là ce soir, ne nous attends pas pour manger."

Un soupir franchit ses lèvres, à la fois soulagé et amer. Pas de repas en famille, pas de conversations forcées. Pourtant, alors qu’il relisait le message, une larme coula lentement le long de sa joue. Il l’essuya rapidement, irrité contre lui-même.

***

Le restaurant bourdonnait d’activité, saturé par le bruit des commandes criées au comptoir, le froissement des sacs en papier, et les discussions animées des clients. L’air était chargé de l’odeur de frites et de burgers, et la chaleur des cuisines semblait s’accrocher à la peau. Aloïs, débordé, n’avait pas une seconde de répit. En ce mois de novembre, le froid avait frappé fort, emportant avec lui une bonne partie des employés, cloués au lit par des rhumes ou des grippes saisonnières. Avec les effectifs réduits, ceux qui étaient encore debout devaient faire face à des doubles, voire triples charges de travail.

À cause de ces absences, Aloïs se retrouvait à jongler entre la caisse et le service, chaque tâche lui semblant plus épuisante que la précédente. Pourtant, il faisait tout pour ne rien laisser paraître, conscient qu’il devait tenir bon malgré la fatigue qui alourdissait ses gestes.

Vers 19 heures, le pic d’affluence était à son comble. Les clients affluaient en masse, et l’ambiance déjà bruyante atteignait son paroxysme. Aloïs s’efforçait de garder un visage professionnel, répétant mécaniquement ses phrases de politesse. Mais alors qu’il retournait derrière le comptoir, il s’arrêta net.

Idan venait d’entrer dans le restaurant.

Le brun sentit son souffle se bloquer un instant. Idan était là, souriant comme toujours, accompagné d’Elias, que Aloïs reconnut immédiatement. Cependant, c’est la troisième personne qui attira son regard. Le garçon qui les accompagnait ressemblait étrangement à Elias, mais en plus grand et avec une assurance naturelle qui semblait rayonner de lui. Son frère, peut-être ?

Le cœur d’Aloïs se serra violemment. Pourquoi ici ? Pourquoi maintenant ? Avant qu’il ne s’en rende compte, ses jambes l’avaient déjà porté jusqu’aux toilettes des employés. Il referma la porte derrière lui, s’adossant contre celle-ci avant de glisser au sol, sa respiration saccadée.

Il verrouilla la porte et s’assit contre elle. Les pensées tourbillonnaient dans sa tête, incontrôlables. Assis là, il se rongeait les ongles, déjà bien trop courts, un vieux réflexe qui ne faisait qu’accroître son malaise.

Calme-toi, Aloïs. Ce n’est rien. Ce n’est pas étonnant qu’il vienne ici. Ce n’est pas comme s’il te suivait.

Il soupira, passant une main tremblante sur son visage.

Ils sont juste là pour manger un burger, pas pour te juger. Peut-être qu’ils ne m’ont même pas vu. Ce serait mieux. C’est mieux.

Il ferma les yeux, s’efforçant de réguler sa respiration. Après quelques minutes, il se redressa, se demandant pourquoi il avait réagi si excessivement. Secouant la tête, il sortit des toilettes, décidant d’affronter la situation avec froideur.

À peine avait-il repris sa place que son collègue Erwann, un grand blond aux lunettes épaisses, l’interpela :

— Ah, Aloïs, parfait ! Tu peux servir la commande 117 ? C’est pour la table 12.

Distrait, Aloïs acquiesça, prenant le plateau qu’on lui tendait sans réfléchir. Quand il arriva devant la table en question, son cœur manqua un battement.

Idan.

Idan, assis là, le téléphone en main, tandis que ses deux amis riaient à côté de lui. Aloïs hésita une fraction de seconde, puis avança lentement, espérant se fondre dans le décor.

Arrivé à leur hauteur, il déposa le plateau sur la table et annonça d’une voix basse :

— Voici votre commande, messieurs.

— Merci ! répondirent en chœur les deux garçons, sans lever les yeux.

Mais Idan, lui, releva la tête. Ses yeux croisèrent ceux d’Aloïs, et un mélange de surprise et de douceur y brillait.

— Aloïs ? demanda-t-il doucement, comme pour s’assurer qu’il ne rêvait pas.

Le brun détourna immédiatement le regard, les joues légèrement rouges. Sa mâchoire se crispa, et, tentant de garder son ton glacial, il répliqua :

— Bravo, t’as des yeux. Félicitations.

Il se détourna, mais avant de partir, il ajouta mécaniquement :

— Bon appétit.

Puis, sans attendre une réponse, il s’éloigna rapidement, le cœur battant à tout rompre, essayant d’ignorer le regard qu’il sentait encore posé sur lui.

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