Des éloges exagérés
"J'ai tout de même un peu peur que vos éloges soient très exagérés. Mais je les accepte avec gratitude ; j'ai tellement besoin d'être rassurée, que l'on me dise que mes mots ne vont pas s'évaporer mais s'accumuler derrière moi en masses compactes -- quelle horreur s'ils n'étaient que de l'eau boueuse."
Qu'est-ce qui transpire, derrière cette façon d'accepter les compliments ? Pour Virginia, évidemment, on ne saura pas. Je soupçonne une sorte de syndrôme de l'imposteur. Elle avait des détracteurs, évidemment. Néanmoins, si elle est une autrice reconnue encore aujourd'hui, c'est que ses productions étaient d'une qualité remarquable.
Le travail d'écriture, quand on a l'ambition qu'elle a (ou l'ambition que j'ai), est difficile, et ingrat. Ecrire n'est même pas reconnu comme un travail sérieux, mais plutôt comme un hobby. D'aucuns prétendent que, puisque tout le monde apprend l'écriture, alors tout le monde peut devenir écrivain (à ce sujet, revoir le film Ratatouille, dont le propos est similaire, et en plus ça fait pas de mal).
Vrai, ou faux ?
Dans ce contexte, recevoir des marques de reconnaissance, des compliments et des encouragements, ce n'est pas du luxe. Ces retours sont précieux pour rester serein sur le choix que l'on fait de consacrer un temps fou, un temps bête, un temps qui reste compté, à former des récits, à pétrir des concepts et ciseler des mots.
Si je suis ici, si je m'autorise à donner libre cours à mes projets d'écriture, malgré l'adversité des dernières années, c'est bien parce que j'ai reçu de tels éloges. Ce que je posais sur le papier avait de la valeur pour les rares personnes qui ont pris le temps de me lire.
Si j'ai ainsi gagné plus de confiance dans ce talent auquel je travaille de très longue date, je manque malgré tout de ressources physiques, méthodologiques et temporelles pour concrétiser les mastodontes que mon esprit élabore sans cesse.
Revenons un instant à Virginia, qui écrit plus loin :
" Voilà qu'à présent, écrire m'enchante mais seulement parce que j'aime écrire & que, sincèrement, je me fiche totalement de ce qu'on peut en dire."
Que voilà un bien étrange revirement, par rapport à ce qui est dit précédemment. Comment à la fois avoir besoin de commentaires et s'en ficher ?
N'est-ce pas normal d'avoir besoin d'être confortée pour avancer, et à un autre moment de devoir se détacher du moindre jugement, y compris le sien, pour continuer d'avancer ?
Quand on met ses tripes et son sang dans ce qu'on produit, quand écrire est un acte à la fois libérateur et contraignant, n'est-ce pas normal d'osciller entre ce genre d'extrêmes ?
J'aime écrire, mais j'ai mal quand j'écris.
J'aime écrire, mais j'ai peur d'être déçue par la médiocrité de mes réalisations.
J'ai un tas de phrases qui émergent dans le silence, qui se forment spontanément dans mon esprit, qui s'effacent dès que j'ai la plume en main.
Et nous verrons combien Virginia nous ressemble.
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