Migrant ?
Un jour, on nous appelle sur une manifestation d’étudiants. Ils étaient tranquilles, ils chantaient, ils gueulaient des slogans, ils avaient l’air de bien se marrer. Et puis d’un coup, on nous a ordonné de taper dans le tas ! Ces étudiants-là, eux, c'était moi quelques mois avant. Impossible, je n’allais pas me taper dessus ! Alors, j’ai posé mon bouclier et j’ai posé ma matraque. Trois collègues ont fait comme moi. Le soir même nous étions arrêtés pour subversion, opposition notoire au régime du Conseil National et rébellion. Arrêtés pour acte de sédition. Il est vrai que cette manifestation d’étudiants soudanais s’inscrivait dans le cadre des printemps arabes !
Nous avons été isolés et torturés pendant cinq jours – mais ça, je crois que je ne pourrai jamais le raconter. Tous les jours on nous répétait : « L’un de vous doit être condamné à mort, pour l’exemple ! » C’est la moindre des choses ?!
Le cinquième jour, j’étais tellement cabossé et mal en point, je fus transféré à l’hôpital militaire. Le lendemain, un jeune avocat commis d’office a pu venir me rencontrer et m’a suggéré : « Un de tes camarades a été exécuté sommairement cette nuit, d’une balle dans la tête. Dès que tu peux, barre-toi, tu vas être le prochain sur la liste… »
La nuit d’après, la surveillance à l’hôpital était légère. J’étais dans un tel état de fatigue que je ne représentais aucun danger de fuite. J’ai réussi à me traîner puis me glisser entre les infirmiers et les militaires en faction.
J’ai mis trois semaines à traverser le désert. Pour arriver en Lybie. Je suis resté deux mois, interné dans des camps de transit, tel un parasite. Ça non plus, je crois que je ne pourrai plus le raconter.
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