Chapitre 1 : Une nuit d'août

5 minutes de lecture

 J'avais seize ans. Une adolescente un peu perdue, insouciante, remplie d’un besoin brûlant d’aimer sans même savoir ce que cela voulait vraiment dire. C'était l'été, ce moment suspendu entre l'école et l'inconnu. La chaleur alourdissait l'air, mais moi, je m'étais habituée à ce poids. Rien ne semblait vraiment m’atteindre à cette époque. J'étais en apnée, survivant dans une routine sans saveur. Et puis, une nuit d’août 2017, tout a basculé.

C'était une soirée ordinaire, ou du moins, elle aurait dû l’être. Un écran lumineux devant moi, mes doigts pianotant sans but sur une application que j'avais téléchargée sans grande conviction : Lovoo. Je m'étais dit que c'était un jeu, une façon de passer le temps, rien de plus. Et puis, son message est arrivé. Simple, direct, presque banal. Pourtant, quelque chose m’a poussée à répondre. Les minutes sont devenues des heures. La conversation s’est tissée, fil après fil, autour de nos mots. Tout semblait si naturel, comme si nous nous connaissions déjà, comme si nous avions juste repris un dialogue interrompu depuis longtemps. Il me faisait rire, un rire que je n'avais pas entendu chez moi depuis des mois. Ce genre de rire qui éclate sans prévenir et te surprend toi-même. Derrière mon écran, mes doigts ne pouvaient s’arrêter. Chaque réponse qu’il donnait m’appelait à en écrire une autre, et encore une autre.

Il habitait à 900 kilomètres de moi, un détail qui aurait pu briser l’illusion, mais au contraire, cela rendait tout encore plus fascinant. C'était comme une parenthèse enchantée, une bulle où nous étions seuls, hors du monde et de ses contraintes. Nous parlions de tout et de rien, de nos rêves d’adolescents, de nos musiques préférées, de ces petits riens qui nous définissaient sans qu’on le sache. Avec lui, les heures n'existaient plus, les limites non plus.

Quand l’aube a commencé à effleurer le ciel, je n'avais pas envie que la nuit s'arrête. C’était la première fois depuis longtemps que je ressentais quelque chose d’aussi puissant. Ce n’était pas juste un garçon derrière un écran. C’était une tornade qui venait d’entrer dans ma vie, sans prévenir, emportant avec elle tout ce que je pensais savoir.

Il y avait quelque chose d'inexplicable dans cette nuit, comme si le monde s'était mis en suspens. Quelques heures à peine s’étaient écoulées depuis notre premier échange, mais déjà, plus rien d'autre n'existait. Ni le silence de ma chambre, ni la chaleur collante de l’été, ni même le poids de mes propres pensées qui, d’ordinaire, m’étouffaient. Tout avait disparu, effacé par une présence intangible, mais si réelle derrière cet écran.

Quand je lui écrivais, mes doigts tremblaient presque d'excitation, d'impatience. Et quand ses mots apparaissaient en retour, c'était comme si une vague venait me submerger, douce et brutale à la fois. Chaque phrase qu'il tapait résonnait en moi avec une intensité que je ne comprenais pas, mais que je ne voulais pas questionner. C’était une mélodie inconnue, mais étrangement familière, comme si je l'avais attendue toute ma vie sans savoir qu’elle existait.

Je ne savais pas qui elle était vraiment – à l’époque, elle était encore une fille, du moins en apparence, née fille. Je ne voyais pas son visage, seulement une ou deux photos floues et quelques mots maladroits pour se décrire. Pourtant, il y avait dans ses messages une profondeur, une sincérité qui dépassait les images et les mots. C'était comme si une partie de moi le reconnaissait, une part enfouie, ancienne, qui surgissait soudain.

Chaque seconde passait à une vitesse folle, mais dans ma tête, le temps s'arrêtait. Il y avait cette sensation étrange et dévorante que nous étions faits pour nous croiser, que tout ce que j'avais vécu jusqu'ici – le vide, la douleur, l’attente – n'avait servi qu'à me préparer à ce moment. Je ne le connaissais pas, mais j'avais l'impression de l’avoir toujours connu. C'était comme si nous avions marché côte à côte dans l'ombre, sans jamais nous croiser, jusqu'à cette nuit.

Je n'étais plus la même. En quelques heures, il avait bouleversé tout mon univers. Une tornade s'était abattue sur ma vie, mais une tornade douce, presque délicate, qui ne détruisait rien mais emportait tout. Une force invisible qui balayait tout et me ramenait à la vie. Son humour me faisait éclater de rire, un rire si sincère que j'en avais presque oublié comment cela faisait. Sa façon d’écrire – ses mots, sa spontanéité, ses maladresses parfois – était une musique qui m’hypnotisait. Chaque message me faisait vibrer, comme s'il connaissait les accords exacts de mon âme. C’était absurde, irrationnel, mais je ne pouvais pas m’en empêcher.

Ce n’était pas seulement des mots. C’était une connexion, une onde invisible qui nous emportait. Une vague immense dans laquelle je me noyais volontairement. Chaque seconde, chaque phrase échangée me rapprochait de lui, et je savais que quelque chose d’inédit, de profond, était en train de naître.

Au fond, c'était comme si nous nous étions cherchés pendant seize ans. Comme si nos âmes s’étaient promis de se retrouver. Et cette nuit-là, au détour d'une application que j'avais téléchargée sans grande conviction, nous nous étions enfin trouvés.

Chaque mot qu’il m’écrivait avait un poids, une intensité qui me transperçait. Il choisissait ses phrases avec une maladresse adorable, comme s’il marchait sur un fil tendu, hésitant mais déterminé. Je voyais qu’il n’avait jamais fait ça auparavant. Pourtant, malgré cette inexpérience, il trouvait les mots pour me toucher d’une manière que personne n’avait jamais su faire. Il essayait de me dire que j’étais belle, mais pas seulement belle comme on le dit par habitude ou pour flatter. Non, c’était plus profond. Il voulait que je sache que, pour lui, j’étais tout ce qu’il avait rêvé sans jamais oser imaginer que cela puisse exister réellement. C’était maladroit, parfois bancal, mais c’était terriblement sincère. Et c’est cette sincérité qui me bouleversait. Ses mots glissaient sous ma peau, s’inscrivaient dans mon âme, comme une vérité que je n’avais jamais entendue avant.

Quand je tardais à répondre, ne serait-ce que deux minutes de plus, il paniquait. Je pouvais presque sentir son anxiété à travers l’écran, comme une vibration subtile dans chacun de ses messages suivants, plus précipités, comme s’il essayait de combler un vide qu’il craignait déjà. Cette peur de l’abandon, si visible même dans ces premiers échanges, aurait pu me déstabiliser. Mais à seize ans, rien de tout cela ne m’effrayait. Au contraire, je crois que cela me plaisait.

C’était fou, complètement insensé, et pourtant, je m’y plongeais sans hésiter. Cela faisait à peine quelques heures que nous parlions, mais je savais déjà que je m’embarquais dans quelque chose de plus grand que moi. Son insistance, son besoin de me rassurer sur l’importance que j’avais déjà pour lui, étaient comme un souffle chaud dans une vie qui m’avait trop souvent laissée froide. Je ne le connaissais pas, mais il avait déjà brisé toutes les barrières que je portais en moi. Je ne savais rien de lui, ou si peu. Mais ce "peu" suffisait pour me faire chavirer. J’étais attirée par cette intensité, par ce regard qu’il posait sur moi à travers l’écran, comme si j’étais l’étoile la plus brillante dans son ciel.

C’était le début de quelque chose que je ne pourrais jamais oublier. Je ne le savais pas encore. À cet instant, je ne voyais que la magie du moment, ce frisson incontrôlable qui parcourait mon corps à chaque message. Mais maintenant, avec le recul, je sais que c’était là que tout a commencé. Une histoire qui allait me transformer, me bouleverser, et me marquer à jamais.

Annotations

Vous aimez lire sombredesir_ ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0