Chapitre 2 : Le jour où tout a changé
Lorsque le soleil s’est levé ce matin-là, tout semblait différent. La lumière paraissait plus douce, l’air un peu plus léger. Ce n'était pourtant qu’un jour d’été comme un autre, mais à l'intérieur de moi, tout avait changé. Je m’étais couchée tard, les yeux brûlants d’avoir trop regardé l’écran, mais avec un sourire qui ne voulait pas s'effacer. Et au réveil, ce sourire était toujours là.
Mes pensées étaient en boucle. Ses mots, ses rires, cette nuit où le temps s’était arrêté – tout repassait en boucle dans ma tête comme une chanson que je ne pouvais pas m’empêcher de fredonner. J’avais encore du mal à croire à ce qui s’était passé. Comment une rencontre virtuelle pouvait-elle me faire ressentir autant, si vite ? Je ne le connaissais que depuis quelques heures, mais déjà, il occupait chaque recoin de mon esprit.
Mon premier réflexe fut de vérifier mon téléphone. Une partie de moi avait peur que tout cela ne soit qu’un rêve, une illusion née de la fatigue et de mon besoin d’évasion. Mais non, ses messages étaient là, attendant que je les lise, comme des preuves tangibles que tout cela était réel.
Il m’avait écrit tôt ce matin-là, me demandant si j’avais bien dormi, me rappelant que, pour lui, la nuit avait été extraordinaire. Il me disait qu’il n’avait pas pu s’empêcher de penser à moi, même en fermant les yeux. Ses mots étaient simples, parfois maladroits, mais ils vibraient d’une intensité qui me bouleversait. Il m’écrivait que je semblais être tout ce qu’il avait cherché, tout ce qu’il n’avait jamais osé espérer trouver.
Je me souviens avoir souri en lisant ses messages, un sourire sincère, presque enfantin. Il y avait quelque chose de terriblement touchant dans sa façon de s’exprimer. Je voyais bien qu’il n’avait jamais fait ça auparavant, qu’il essayait de trouver les bons mots, de ne pas en faire trop, mais qu’il ne pouvait s’empêcher de laisser transparaître ce qu’il ressentait vraiment. Et moi ? Moi, j’étais totalement emportée. Rien d’autre ne comptait autour de moi. Ni le bruit de la maison qui s’éveillait, ni les messages d’amis, ni même la liste des choses que j’étais censée faire ce jour-là. Tout ce qui importait, c’était lui. Chaque notification me faisait battre le cœur un peu plus fort, et chaque mot qu’il m’écrivait ajoutait une couche à ce lien invisible mais si puissant qui semblait nous unir.
Ce matin-là, quelque chose avait basculé. C’était comme si un rideau s’était levé sur une scène nouvelle, inconnue. Je m’étais levée avec des cernes profondes sous les yeux, la fatigue bien présente après cette nuit sans sommeil. Mais pour la première fois depuis bien trop longtemps, j’avais envie. Une vraie envie, une impulsion qui me propulsait hors de ma torpeur habituelle. Ce jour-là n'était pas comme les autres. Ce jour-là, j'avais une raison.
C'était étrange, presque déroutant. Cette personne que je connaissais à peine, qui n’avait été qu’un nom sur un écran quelques heures auparavant, avait déjà apporté une lumière que je ne croyais plus possible. Je me surprenais à sourire sans raison, à regarder mon téléphone toutes les deux minutes, impatiente de voir ses mots s’afficher. Ce n’était pas seulement de l’excitation ou de la curiosité ; c’était une énergie nouvelle, une force qui me portait.
Nous avons parlé, encore, sans relâche. Chaque mot était une pièce supplémentaire dans ce puzzle que nous construisions à deux. Et le feeling… il était là, toujours là. Il ne s’évanouissait pas au fil des heures comme une flamme éphémère. Non, il persistait, brûlant avec la même intensité. À chaque message, je sentais ce lien s’approfondir, s’étendre, comme une toile invisible, mais indestructible qui se tissait entre nous.
J’avais même l’impression qu’il ne partirait jamais. C’était une pensée folle, irrationnelle, mais elle me rassurait, m’enveloppait d’une chaleur réconfortante. Je me souviens avoir eu un désir soudain, presque incontrôlable : je voulais plus. Plus que des mots sur un écran, plus que des photos statiques. Je voulais entendre sa voix, percevoir les nuances, les inflexions, cette vie qui transparaissait déjà dans ses messages. Je voulais voir son visage en mouvement, poser un vrai regard sur cette personne qui avait su toucher mon cœur en si peu de temps.
Alors, je lui ai demandé : Est-ce qu’on peut s’appeler ?
Cette question, pourtant simple, portait tellement d’espoir et de curiosité. J’attendais sa réponse avec un mélange d’excitation et de nervosité. Et quand elle est arrivée, elle m’a fait sourire, mais aussi réfléchir.
Il était hésitant, presque apeuré. Ses mots, d’habitude si spontanés, semblaient chercher un équilibre, une sécurité. Je pouvais sentir sa peur à travers l’écran – la peur de se dévoiler, de laisser tomber ce voile qui nous séparait encore. Il redoutait que cette découverte, ce premier contact réel, puisse changer quelque chose, briser l’image qu’il s’était peut-être construite.
Cette hésitation me touchait profondément. Cela révélait une fragilité, une vulnérabilité que je n’avais pas encore perçue aussi clairement. Mais loin de m’éloigner, cela m’attirait davantage. Je voulais le rassurer, lui montrer que rien ne pouvait m’effrayer à cet instant. Pas sa peur, pas ses doutes, pas même le risque que cette connexion magique puisse vaciller dans la réalité.
Je crois que ce jour-là, sans le savoir, j’étais déjà prête à plonger tête la première dans cette histoire. Quoi qu’il arrive, quoi qu’elle devienne.
Mais il a accepté. Malgré son hésitation, malgré la peur que je sentais dans ses mots, il a dit oui. Ce simple mot résonnait en moi comme une petite victoire, un pas de plus vers cette connexion que nous construisions ensemble. Nous avons échangé nos identifiants Skype. C’était la plateforme de l’époque, celle où tout semblait possible. Les appels, les visages, les confidences… c’était là que tout se passait.
Quand j’ai tapé son pseudo et envoyé ma demande, je n’avais aucune attente. Pas parce que je m’en fichais, mais parce que je savais que ce moment ne dépendait pas que de moi. Il avait encore une porte à franchir, un petit pas à faire. Et il l’a fait.
Il a accepté ma demande presque immédiatement, et mon cœur a manqué un battement.
Je suis restée là, fixant l’écran. La petite fenêtre de discussion venait de s’ouvrir devant moi, banale, semblable à toutes celles que j’avais pu ouvrir avant. Mais cette fois, elle avait une autre signification. Mon cœur s’emballait, tambourinant dans ma poitrine comme s’il savait que quelque chose de grand allait se produire. C’était une étape, un cap, un instant qui, pour quelqu’un d’autre, aurait pu sembler banal. Mais pour moi, c’était intense, déterminant. À seize ans, dans mon monde d’émotions démesurées, ce moment prenait une ampleur que je ne pouvais pas décrire. J’étais sur le point de franchir une ligne invisible, de laisser derrière moi les mots qui nous avaient liés jusqu’ici, pour affronter la réalité.
Il y avait cette crainte sourde, ce doute fugace : et si ce regard que j’avais tant imaginé, ces expressions que j’avais devinées derrière ses photos et ses messages, n’étaient pas ce que j’attendais ? Et si, pour lui, ce premier contact visuel brisait l’image qu’il avait de moi ?
Mais malgré tout, ces peurs ne suffisaient pas à m’arrêter. L’excitation, l’envie de le voir, de le rencontrer vraiment, prenaient le dessus. Je voulais entendre cette voix qui m’intriguait tant, voir ce visage s’animer, capter les émotions qu’un écran ne pouvait pas totalement transmettre.
Alors, j’ai cliqué sur la petite fenêtre, j’ai ouvert la discussion. Mon cœur battait si fort que j’en avais presque du mal à respirer. Mes doigts hésitaient sur le clavier, cherchant quoi dire pour amorcer ce moment sans le brusquer. Je savais qu’il était là, de l’autre côté, probablement aussi nerveux que moi.
Et à cet instant précis, je savais que rien ne serait plus pareil. Qu’importait ce qui se passerait dans les minutes à venir, je franchissais un cap. Pas seulement dans cette conversation, mais dans ma vie.
Le moment était arrivé. J'avais appuyé sur le bouton, et le vide s'est transformé en un bruit familier, celui d'une connexion en train de se faire. Les secondes semblaient infinies, et pourtant, elles défilaient plus vite que je ne pouvais les rattraper. Je le savais, c'était le début de quelque chose de nouveau, quelque chose que je n'avais jamais vécu auparavant. L'idée d'entendre sa voix me faisait frémir, comme une première rencontre après un long rêve.
Et puis, il a répondu.
Je l'ai vu, mais c'était comme si je le voyais pour la première fois. Même si j'avais vu ses photos, même si ses traits me paraissaient familiers, il y avait quelque chose de différent. Son visage en mouvement, ses yeux, l’expression qui changeait à chaque parole, tout cela avait une profondeur que l'écran ne pouvait jamais retransmettre. C’était… vivant. Il était vivant, là, devant moi, dans cette petite fenêtre d'ordinateur.
Les mots se sont bousculés dans ma tête. Je savais ce que je voulais lui dire, mais en le voyant enfin, une étrange sensation de timidité m'a envahie. Je crois que, tout comme lui, j'étais en train de me dévoiler. C'était le vrai commencement, le moment où la réalité allait prendre le pas sur tout ce que nous avions construit jusque-là à travers des écrans et des mots. Il ne restait plus de place pour l'imaginaire. Tout était là, devant moi, dans sa simplicité.
Il m’a dit “Salut” d'une voix un peu incertaine, et quelque chose dans la façon dont il a prononcé ce mot m'a fait sourire. Il semblait tout aussi nerveux que moi. Nous étions deux étrangers, mais il y avait cette complicité silencieuse, une sorte d’évidence qui flottait dans l’air entre nous. Il a jeté un regard furtif, presque gêné, et a baissé les yeux avant de les relever. Un geste si naturel et pourtant tellement humain. C’était la première fois que nous étions réels, ensemble, dans cet instant suspendu.
“Salut” ai-je répondue, les mots hésitant, comme si c’était la chose la plus difficile que j’ai eu à faire.
Je l’ai regardé, cherchant à capter la moindre nuance de son expression, comme s’il allait me dire quelque chose d’important. Mais rien d’autre ne sortait. Le silence s’est installé, pas gênant, juste un peu lourd. Un silence qui en disait long sur l’importance du moment. Il avait le regard perdu, il semblait attendre une réaction de ma part.
Je savais que ma voix tremblait un peu, mais je n’y pouvais rien. Il avait ce pouvoir de me rendre vulnérable, même avec seulement quelques minutes de conversation. Je sentais déjà qu'il allait faire une place importante dans ma vie, mais je ne savais pas encore à quel point. C’était incroyable, en réalité. C’était juste un appel vidéo. Il y en avait eu des millions, des appels aussi banals qu’un simple "Salut". Mais pas pour moi. Pas ce jour-là. Chaque parole, chaque regard, chaque mouvement de sa bouche me semblait lourd de sens. Ce moment serait un souvenir gravé, un tournant dans ma vie. Un point de non-retour.
Et alors qu’il m’adressait son sourire timide, je me suis retrouvée à penser que ce moment-là, ce visage, cette voix, seraient désormais des pièces essentielles dans le puzzle de mon existence. Peu importait ce qui allait suivre, ce "nous" venait de commencer, et je savais, au fond de moi, que cela changerait tout.
Au fil de notre conversation, j’ai découvert un petit détail chez lui qui m’a instantanément charmée. Ce n’était rien de plus qu’un petit rire, une sorte de souffle nerveux qu’il émettait lorsqu’il était un peu mal à l’aise, ou lorsque ses mots se bousculaient trop vite dans sa tête. Mais ce rire… ce rire était tout.
La première fois que je l’ai entendu, quelque chose d’étrange s’est passé. Ce son léger et doux, presque imperceptible, m’a fait l’effet d’un choc. Un nœud s’est formé dans mon estomac, en même temps que ce besoin incontrôlable de sourire. C’était comme si ce rire avait le pouvoir de me faire fondre et, en même temps, de me faire exploser d’émotions. Il était une musique qui me touchait au plus profond, qui réveillait une sensation étrange, une sensation de sécurité, de chaleur. Comment un simple rire pouvait provoquer de telles étincelles dans mon cœur et dans mon corps ?
Il était si naturel, si sincère. Ce rire n’était pas forcé, ni calculé. C’était un reflet de lui-même, de sa nervosité, de ses incertitudes, mais aussi de sa beauté, de sa douceur. Il n’avait même pas conscience de l’effet qu’il avait sur moi, et pourtant, je pouvais le sentir, là, dans chaque vibration de sa voix. C’était une mélodie douce et secrète que j’avais envie de garder pour moi seule.
Je me souviens de la première fois où il a éclaté de rire un peu plus fort, en entendant quelque chose que j’avais dit. Ce moment-là, j’ai presque eu l’impression que le temps s’était arrêté. Tout à coup, ce rire résonnait comme un écho dans ma tête, se répétant encore et encore. Je n’avais jamais ressenti quelque chose d’aussi fort, une sensation de chaleur envahissante, mêlée à une douce mélancolie. Comme une confirmation que tout cela, tout ce que nous partagions, était bien réel. Ce rire était une clé. Une clé pour le comprendre un peu plus, pour ressentir cette connexion qui grandissait entre nous.
Plus nous parlions, plus ce rire réapparaissait, comme une sorte de ponctuation à nos échanges. À chaque nouvelle hésitation, à chaque petit moment de gêne, il riait, et moi, j’attendais ce moment avec impatience. C’était devenu un instant à part, un instant précieux où je pouvais voir au-delà des mots, au-delà de l’écran, et entrevoir la personne qu’il était réellement. J’ai commencé à attendre ce son, à en avoir besoin. C’était devenu un de mes petits plaisirs, une source de réconfort et d’évasion. Je crois que c’est une des choses que je préférais chez lui : l’entendre rire. Ce rire qui, par sa douceur infinie, me réconfortait, me rassurait, et me faisait sentir que, pour une fois, je n’étais pas seule à ressentir tout ça. Que nous partagions quelque chose d’unique. Un rire simple, mais qui portait en lui un univers tout entier.
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