Proposition extraterrestre
Franck attendait dans la salle d'interrogatoire depuis environ quarante-cinq minutes maintenant, et commençait à trouver le temps long. Il repassa dans son esprit les souvenirs qu'il avait des dernières heures, pour pouvoir les raconter plus aisément. Il tapota ses doigts contre la table en ferraille qui constituait le seul ameublement de la pièce. « Quel endroit triste... » songea-t-il alors que la porte s'ouvrait. Une jeune femme à l'air sévère malgré son visage aux rondeurs enfantines pénétra dans la pièce suivie de deux agents de sécurité. Elle prit le temps de s'asseoir sur la chaise face à Franck et de sortir un formulaire et de quoi prendre des notes. De même, elle déposa sur la table un micro pour enregistrer ce qui se dirait. Une fois qu'elle se sentit prête, elle prit une grande inspiration et parla d'une voix dénuée d'émotions :
- Je suis le docteur Sasha Binier, c'est moi qui vais mener l'interrogatoire aujourd'hui.
Elle semblait guetter une réponse la part de Franck, et celui-ci se contenta de l'inviter à continuer d'un hochement de tête. Il savait parfaitement que plus il posait de questions, plus il aurait de problèmes. D'ailleurs, il n'avait rien à cacher, et souhaitait donc en finir au plus vite. La jeune femme reprit en posant quelques questions d'usage, lui redemandant son nom, son âge, sa date de naissance, etc. Le chercheur se plia au jeu en lui donnant patiemment les réponses demandées.
- Bien, maintenant dites-moi pourquoi vous êtes sorti de la base en pleine nuit, en bravant le couvre-feu.
- Cette nuit je traitais des données quand j'ai remarqué des anomalies inexplicables. J'ai donc demandé à Marc de venir avec moi pour vérifier ce que c'était.
La scientifique prit quelques notes sur son carnet.
- Quel genre d'anomalies ?
- Des secousses sismiques, toujours en provenance du même endroit. C'est là que nous sommes allés.
- Pourquoi ne pas avoir attendu tout le monde ?
Franck se gratta la nuque, mal à l'aise. A vrai dire il ne savait pas bien lui-même pourquoi il avait fait une chose aussi stupide.
- Je ne sais pas trop, la fatigue peut-être ? L'excitation d'avoir trouvé quelque chose de nouveau ? Je sais juste que je voulais absolument y aller avant tout le monde.
- Montrez-moi sur la carte où vous étiez, fit la jeune femme en dépliant un plan du cratère.
- Juste là, déclara Franck en désignant l'entrée de la grotte, qui était invisible sur cette carte. Il y avait une faille dans laquelle nous sommes passés, puis une crevasse au sol de trois mètres à peu près dans laquelle nous sommes descendus.
- Pourquoi ce chemin-là et pas un autre ?
Il prenait son mal en patience, mais commençait à s'échauffer. Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Il ne savait pas, c'est comme ça. Le hasard, le destin, l'instinct, peu importe le nom, Franck ne voyait pas d'explication logique.
- Parce que c'est le premier qui nous est apparu, alors nous l'avons suivi jusqu'au bout.
- Qu'y avait-il au bout ?
Franck retint sa respiration quelques secondes. Ce qui l'angoissait n'était pas tant de raconter, c'était surtout qu'il se doutait qu'elle ne le croirait pas une seconde.
- Un mur avec des traces de griffures, dont l'âge variait entre plusieurs centaines d'années et quelques heures.
Il ne lui asséna pas tout en une seule fois, l'objectif était de ne pas de se faire interner tout de suite. Elle nota furieusement sur sa feuille avant de demander :
- Vous pensez avoir trouvé des traces d'une vie extraterrestre ?
- Pour être tout à fait franc, j'en suis certain. On a vraiment trouvé une vie extraterrestre.
- Mhmm...
Elle marmonna quelque chose et Franck su qu'elle ne le croyait pas. Il soupira mais attendit qu'elle reprenne, ce qu'elle fit après de longues secondes.
- Et cette vie extraterrestre, à quoi ressemble-t-elle ?
- Ecoutez docteur... Binier je crois ? Bref ! Je vois bien que vous ne me croyez pas du tout, et je n'ai pas de temps à perdre en évaluations psychologiques. Donc si vous le voulez bien, je peux prouver que j'ai bien rencontré une forme de vie sur Mars.
- Je vous écoute, lâcha le docteur d'un ton méprisant.
- La vitre de mon casque est brisée, annonça-t-il d'un ton triomphant.
La docteur haussa un sourcil en entendant cette pseudo preuve, sans vraiment voir ce qui prouvait l'existence d'une vie sur la planète rouge.
- Oui ?
- Mais vous avez eu votre doctorat dans une pochette surprise ou quoi ?! Je suis revenu avec la vitre de mon casque brisée je vous dis ! s'emporta-t-il.
- Et je suis désolée de vous annoncer que casser du matériel ne prouve qu'une chose : vous êtes maladroit. C'est dans votre dossier.
Il hésita, se cogner la tête contre le mur ferait passer sa frustration, mais il risquait d'y laisser quelques neurones. Il se força à sourire.
- Vous connaissez beaucoup d'humains normaux qui peuvent respirer l'atmosphère martienne, docteur ?
Elle resta muette, puis sortit de la pièce quelques instants pour aller se renseigner. Quand elle revint, ses joues avaient pris une teinte pâle, et elle ne s'assied que sur l'extrême bout de sa chaise, prête à bondir vers la porte. Ce changement complet d'attitude arracha un rire à Franck.
- Vous me croyez maintenant ? Je peux commencer ?
Elle hocha gravement la tête et posa son stylo à plat sur la table.
- Je vous écoute...
Il prit une inspiration, puis entama son récit.
- J'étais en train d'examiner le mur. En fait, il y avait des trous dedans, et j'essayais de voir ce qui se trouvait à l'intérieur. Puis je ne sais pas trop ce qui s'est passé, mais je me suis retrouvé avec un truc gluant collé au visage, comme un tentacule ou quelque chose du genre.
- Vous avez eu mal ? ne put s'empêcher de demander la scientifique.
- Non, pas du tout. En fait, j'avais l'impression de voler, c'était plutôt agréable. Puis Marc m'a rejoint juste après.
- Rejoint ? Comment ça ?
Franck passa sa main sur son visage, ne sachant pas comment expliquer.
- Je ne sais pas trop comment définir, c'est comme si... L'esprit sortait du corps pour se connecter à autre chose. Euh... Comme un ordinateur qu'on brancherait d'un coup au réseau si vous voulez. On peut aller plus loin, mais sans bouger physiquement.
Il savait que ses explications étaient confuses, mais la sensation était unique et impossible pour lui à décrire autrement.
- Dites-vous simplement qu'on a pu communiquer avec l'extraterrestre.
- Et qu'a-t-il dit ?
Franck rit tout seul, puis quand il se rendit compte qu'il faisait peur à son interlocutrice, il daigna expliquer la raison de son hilarité.
- Pardon, c'est juste que l'entité n'a pas de bouche donc c'est compliqué de "parler". C'est plus... Du transfert d'images, de pensées... Et je vous garantis qu'il ne pense pas du tout comme nous, on a eu un mal fou à comprendre.
- Oui mais qu'est-ce qu'il voulait ? s'impatienta la scientifique.
- Nous aider, à sa façon.
La jeune femme s'étrangla et Franck crut qu'elle allait faire un malaise. Heureusement, elle arriva à se reprendre, et continua d'une petite voix qui fit presque de la peine au chercheur.
- Nous aider pour quoi ? Comment ?
- Et bien, pour comprendre ce que je veux dire, il faut savoir que cette créature est gigantesque. Elle est sous nos pieds, dans le cratère, et ses ramifications s'étendent sur des centaines de kilomètres, jusqu'à rejoindre les ramifications de ses semblables. Comme un réseau de racines si vous voulez une image, mais qui couvrirait toute la superficie de la planète.
- D'accord, c'est flippant mais pourquoi pas...
- Oui un peu, concéda Franck, mais je n'y peux rien c'est la forme de vie qui se développe ici. Ce maillage a repéré notre arrivée il y a sept mois, quand nous avons commencé à creuser.
- Je crois que je comprends, ils ne veulent pas qu'on creuse car ils vivent dans le sol ?
- Presque ! fit Franck en prennant le ton d'une animateur radio. Ils pensaient qu'on creusait dans le sol pour chercher notre nourriture, c'est pour ça qu'ils ont laissé faire.
- Mais les vibrations que vous avez enregistré alors ? s'enquit la jeune femme.
- C'est leur moyen de communication, ils font vibrer le sol. Notre rencontre avec celui du cratère était purement le fruit du hasard, parce qu'il n'avait aucune intention de nous attirer à lui à la base.
- Je suppose que le tremblement de terre est de son fait ?
- Oui, quand il a établi la connexion avec nous, il s'est rendu compte de deux choses. La première, nous n'avons aucune raison valable de creuser le sol. La seconde, nous ne sommes pas du tout adaptés à la vie sur Mars. Pour la première, il a voulu détruire la foreuse qui le gêne inutilement, je ne sais pas s'il a réussi...
- Je confirme que la foreuse s'est bien effondrée, déclara la docteur.
- Désolé pour ça, souffla Franck, et il a voulut résoudre le second problème en modifiant notre système respiratoire, nos yeux, notre système digestif...
- C'est pour ça que vous avez pu rentrer sans casque malgré la poussière ?
Franck hocha la tête. A présent elle savait presque tout, il ne restait plus que la dernière partie du message à transmettre :
- Et il propose de faire ces modifications à toute la colonie pour nous permettre de vivre sur Mars. Ils veulent cohabiter avec nous, mais ne nous laisserons plus exploiter le sol. Vous pouvez transmettre ce que je vous ai dit à ma femme ? Je crois que cette découverte remet totalement en cause notre présence ici.
La docteur blemi plus encore, néanmoins elle hocha la tête avant de sortir à toute vitesse de la pièce, suivie des agents de sécurité, laissant Franck seul. Celui-ci regarda les parois métalliques de la pièce. Les mois à venir s'annonçaient compliqués.
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