Vrombissement, lourd et grave, point noir à peine taché de rouge qui file, s’arrête, repart, fait du sur-place, tourne autour d’une fleur, puis d'une autre et d’une autre et encore d’une autre hypnotiquement en ronflant l’air au milieu des abeilles jaunes de pollen presque nerveuses et des bourdons plus gros et lourds et sombres. Et ce point, ce gros point trop rapide que l’œil a du mal à accommoder. Il lui a fallu des années pour savoir de quoi il s’agissait exactement, toutes les personnes à qui il posait la question étaient dans l’incapacité de le renseigner. Et chaque été, depuis qu’il est gosse, ce point noir d’interrogation grondant dans les basses. Il avait appris les oiseaux, les mammifères, et ce point ne pouvait pas être un oiseau-mouche, pas la bonne zone géographique, il le savait, ne pouvait pas non plus être un faucon crécelle, pas du tout le même bestiau, même s’il partageait visiblement la même capacité au vol stationnaire. Mais c’est tout. Pas plus de réponse. Quelle ne fut pas sa surprise d’apprendre qu’il s’agissait d’un papillon, un étonnant papillon bien commun, l’un des plus rapides au monde dont la convergence évolutive le rapproche effectivement du colibri avec lequel il va partager bon nombre de caractéristiques comme la fréquence de battements d’ailes, le vol stationnaire, la capacité à se déplacer dans toutes les directions, la même quête de nectar. Le moro-sphinx ou sphinx colibri qu'il adore deviner, queue s'appuyant sur l'air comme un gouvernail, ailes vibrantes de ses saccades affamées autour des fleurs. Qu'il est doux de ne rien faire lorsque tout s’agite autour de soi (Jules Barbier et Michel Carré - Galathée - 1852)