Perdu dans la foule
Foule. Il n’aime pas la foule. Plein de monde. Chaleur radiante du sol minéral, odeur écœurante de merde refoulée des égouts. Soleil dans les yeux. Presque aveuglé. Lumière blanche. Nez qui plisse, presqu’à éternuer, fente des yeux, presqu’à pleurer. Toujours cette foule. Compacte. Acheteuse. Vulgaire. C’est simple, s’il fait beau tous ces gentils consommateurs quelque peu serviles sont ici, dans ce supermarché en plein-air, s’il pleut, ils sont tous dans le plus grand centre commercial d’Europe. C’est encore mieux qu’une grenouille, bien qu'un peu effrayant. Il ne regarde plus depuis longtemps ces gens, flous à force, informes. Il se sent alors d’un autre monde, d’une autre époque. Il essaye de faire vite, englué dans cette masse molle, sans réelle consistance autre que ses petits intérêts, ayant un rendez-vous à honorer, étant un peu à la limite de ce qu’il est convenable pour un retard. Il n’aime pas les retards, il n’aime pas être pris en faute, d’être rappelé à l’ordre pour quelques malheureuses minutes. Alors, sans bousculer qui que ce soit, il fend cette multitude qui flâne, qui braille au téléphone, s’invective plus ou moins violemment, ne fait pas attention aux autres, jette sans façon leurs déchets. C'est un exercice qu’il maîtrise, même qui lui plaît, qui lui rappelle tant les descentes en kayak en eaux vives. De se rappeler que le Stade de France a été conçu en s’inspirant de la mécanique des fluides, alors lire la flopée humaine, le mobilier urbain, les différents rythmes et à l’instinct savoir quand tourner, quand ralentir le pas ou au contraire l’accélérer. Sentir le mouvement moteur de ses épaules ou de ses hanches, et s’il n’aime pas la foule, il aime la transpercer. Comme une lame tranchante. Fine. Ébouriffement de plumes, frénésie d’un vol qui semble être celui d’un être pris de pure folie sous ecstasy, à hauteur de tête, plongeant sèchement entre les jambes, virevoltant dans cette forêt assombrie de segments en mouvement, compas à grosses groles. En contre-jour, ses plumes sont belles et luminescentes, l’insecte qu’il chasse brille de ses ailes diaphanes comme un petit diamant prit de panique. Scène de prédation d’un petit moineau en pleine foule. Invisible de tous.
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