Kayak jaune vif sur une eau bleu-vert du lac de montagne. Il a joué avec les autres un moment. Mais il lui manque l’action de la navigation dans les torrents, alors il s’ennuie un peu et il finit par s’échapper du groupe pour fureter. De plus en plus loin, de plus en plus fascinant. Voir les algues onduler, les poissons paisibles en banc passer, les libellules au ras de la surface filer comme des avions de chasse, les falaises de blocs blancs, l'air qui vibre de chaleur et de stridulation, l’herbe jaunie et sèche en ce jour d’août, les buissons aux ombres noires, les pins d’un vert presque sombre, là-haut, sur les cimes, des pierriers gris et des neiges éternelles étincelantes. Le ciel est immensément bleu, presqu'à en deviner l'espace plus loin. À coup d'aviron, il fait du cabotage, allant de surprise en surprise. Là des grenouilles vert menthe qui coassent et qui sautent à son passage pourtant tout de discrétion, là des joncs, l’eau est calme. Il glisse. Comme les gerris. Il voudrait tellement courir les rivières ou alors nager, cet entre-deux l’exaspère. Seule consolation, la possibilité de voir de très près un monde dans un silence absolu. Un « S » nerveux et puissant ondule la surface dans un trait fluide et vert d'obscurité vernissée, la tête foncée à double collier blanchâtre ourlé de noir hors de l’eau, la couleuvre longue et fine frôle son esquif et il la suit doucement pendant de longues minutes jusqu’à ce qu’elle rejoigne la berge et se perde dans les herbes humides. C’est le sifflet qui le ramènera à la réalité, il est temps de rentrer, alors il force sur les pagaies et rejoindra ses camarades juste à temps à la limite d'une sermonnade et c’est heureux et perdu dans ses pensées qu’il mordra dans le gros morceau de pain avec un carré de chocolat fourré dedans sans façon.