Monde perdu
Il ne se souvient pas. C’est bien des années après qu’on lui raconte, pourtant, il ne s’en souvient pas. Pourtant quelle histoire ! Alors de ne pas se souvenir, il ne trouve pas la plaisanterie très, très drôle. Voire pas marrante du tout. Et de rouspéter intérieurement. Même encore maintenant, même s’il sait que les souvenirs s’effacent, font des tours et des détours et s’ornent de motifs que le temps ajoute, et en même temps s’épurent et ne vont qu’à l’essentiel, les impressions. Lui, le gamin né dans la grisaille parisienne, a vraiment commencé à découvrir le monde au Maroc et ensuite en Côte d’Ivoire ou en Centrafrique, il se perd, il ne sait plus. De toute façon on ne lui en a dit tellement peu. Il se souvient seulement de sa lumière. L’or merveilleux de la lumière, les ombres si noires. Les volutes de fumée, bleues s'élevant dans les airs. Le thé ambre servi dans de petits verres cuivrés dans des gestes hypnotiques. Deux, trois autres images et puis c’est vraiment tout. Il sait qu'il adorait rire. Alors comment ? Il n’aura que l’information comme si elle était tombée d’un prompteur et rien d’autre. Il ne sait donc pas la chronologie, il ne sait donc pas le contexte, juste qu’il a joué avec des lionceaux. Ce qui explique peut-être pourquoi il a tant, mais tant aimé Le lion de Kessel, lu et relu. C’est d’ailleurs en le lisant qu’on lui racontera cet épisode oblitéré de sa mémoire, plus de dix ans plus tard. Et aussi qu’il possédait une mangouste, pour chasser les serpents paraît-il. Fascinant animal ! Et aussi un python royal. Il adore ce serpent, lent et pourtant tout tendu vers un seul but. Mais il ne sait pas l’odeur, il ne sait pas la texture, leurs cris, leurs attitudes. Rien. Vide de tout sensitif. C’est peut-être pour ça qu’il a tant et tant regardé de documentaire animalier, pour pouvoir vivre, même si c’était désormais par procuration, ces instants irrémédiablement perdus.
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