Un peu de grâce

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Jour de printemps, sûrement, il ne sait plus trop, mais il fait beau, si beau que c’en est bonheur. Seulement, il est pressé, alors il allonge son pas et accélère le rythme, remontant les quais à vive allure, évitant l’artère principale thrombosée de trop de monde. Inquiet, il regarde sans cesse sa montre, sent la sueur perler et rouler sur sa peau, imbiber son T-shirt. Il fait beau, mais pour le coup, il s’en fiche un peu. Honorer ce rendez-vous, question de crédibilité. Les muscles le long de ses tibias commencent à faire mal, pourtant son pas, et il le ressent avec plaisir est léger et vif. À sa gauche, le bruit des voitures qui s’entassent dans des bouchons presque rageurs, à sa droite, le fleuve, étonnamment cristallin, transparent absolument. Les algues qui se courbent sous la force de l’eau qui coule en masse prodigieuse et silencieuse, les poissons stationnaires, gueules ouvertes pour se nourrir face au courant, courageusement. Les mouettes encapuchonnées de noir filent et se jouent du vent, comme les plus lourds goélands cendrés. Il remonte le fil de l’eau en limite du sauvage et du civilisé. Il préfère le sauvage. L’itinéraire n’a pas tout à fait été choisi par hasard. Et dans un mouvement réflexe, il s’arrête. C’est un oiseau si gracieux et élancé dont seul le haut du corps émerge, comme un simple trait filant rapide sur l’onde. Un long cou mince et blanc, un port de tête d’une rare élégance, une majestueuse calotte noire et une crête en éventail, dans le prolongement du bec en forme de dague, des joues blanches qui se teintent de roux. Cet oiseau discret a l’allure d’un dandy, une élégance digne des aristocrates du XVIe siècle. Et en un souple plongeon, voir ce grèbe huppé, du haut du quai, traquer ses proies, de petits poissons alertes qui s’enfuient dans une éclaboussure de paillettes. En arrivant, il s’excusera, n’ayant pas vraiment la possibilité d’expliquer son émerveillement, raison de son coupable retard.

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