Entraînement. Tôt. Il se lève tôt. À l’heure des boulangers. Toilette de chat, histoire de se débarbouiller un peu de sa nuit, et il enfile ses chaussettes après avoir inspecté ses pieds, vérifié ses ongles surtout, et mit un peu de talc, puis son boxer, son short et son T-shirt de course et ses runnings. Un peu de vaseline et des pansements avant sur les tétons pour prévenir les brulures de frottement, jamais très agréables. Il vérifie qu’il a bien sa montre, ses clés, un mouchoir accessible et un paquet dans la poche. Boit un peu d’eau, va aux toilettes, jamais drôle de faire une session avec une gêne jaune vif au creux du bas-ventre. Il ressent parfois les choses en couleur, c’est comme ça. Léger, il se sent léger, affûté, n’a qu’une envie, frôler le bitume de sa foulée. Il vérifie et revérifie. Décide enfin de partir. Il descend les escaliers avec circonspection, les marches sont glissantes et traîtresse, ne pas se faire bêtement une foulure. Dehors. Il active son chronomètre et file pour une séance d’une heure. Comme tous les matins ou presque. Nuit noire. Silencieuse. Il va rejoindre les quais, après avoir traversé ce pont, et les suivre sur plusieurs kilomètres. Depuis peu, les quais ont été réaménagés, et parfois, comme ce matin, l’impression d’être dans un décor de dessin animé. Là, un héron, hiératique perché sur une corde amarrant une péniche, ici quelques lapins, plus loin un hérisson, en bord de berge des ragondins, ici, seule la trace sur un tronc du passage d’un castor. Chaque matin, c’est une féerie qui n’a lieu que pour lui, a-t-il l’impression. En tous les cas, il se sait privilégié et goûte chaque rencontre avec plaisir et émotion. En rentrant, il se douchera, se massera profondément, et boira enfin son café avant d’aller travailler avec la sensation d’être au bord d’un rêve. Comme flottant.