Une petite fripouille à redingote
L’autocar roule, roule depuis des heures, des jours. De plus en plus vers l’Est, les villes, les autoroutes ont laissé la place à des plaines vides de boues noire et glaiseuse seulement bordées de tuyaux peints de rose tyrien défraîchi et aux coulures brunâtres et de poteaux électriques plantés sans façon et de guingois qui filent le long de cette route sans fin, ponctuation pauvre d’un paysage embrumé de grisaille humide et sans horizon. Des nuées d’oiseaux noirs, des corneilles volant ou paissant. Ses paupières devant tant d’atonie se ferment et il dort à moitié, engourdi de froid et d’ennui. Il en avait entendu parlé, mais n’avait jamais vu cet oiseau qui, par la grâce d’un plumage un peu différent, se pare d’une élégance de gentleman au manteau gris souris. Pourtant, la corneille mantelée a le même comportement de voyou que la simple corneille, noire, elle. Elle est pourtant toute aussi bruyante qu'une poissonnière, aussi vindicative, le port de tête penché et un peu oblique pour ravir de la nourriture dès que l’occasion se présente, fouille les ordures et se chamaille sans cesse. Mais cette redingote grise lui donne une classe folle. Le corbeau freux, en comparaison, a vraiment l’air d’une petite frappe avec son allure dégingandée, comme mal attifé, plumes en pagaille, éternellement louche.
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