Chapitre 11 : Les meilleures amies du monde à la mer

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L'été arrive et les vacances : nous les attendions avec impatience, avec Andrée, pour le lancement de « L'opération Louis ». L'opération devant permettre la reconquête de Louis. De vraies gamines de vingt-sept ans, voilà ce que nous étions.

Premier août : comme dans le temps où nous étions enfants, j'invite Andrée à Port-Dumac où, pour la première fois depuis longtemps-longtemps, je passe quinze jours chez mes parents. Quant à Charles, il est en compétition de triathlon dans le Sud, puis doit remonter un voilier de Marseille à Serzon avec deux amis. Le pauvre n’a même pas osé me proposer de l’accompagner – il a quand même un peu hésité, lèvres tremblotantes. Il a eu raison de pas aller plus loin. En effet, comme expérience d’intimité et de confort après la Thaïlande, ça se pose là en première classe.

Ainsi, avec Andrée, nous renouons avec nos habitudes du CM1 jusqu’à l’année où ma mère a fait sa première TS [tentative de suicide] : j'étais alors en Deuxième année de Dentaire. Du coup, mes parents avaient mis fin aux invitations - note, P'tite Gueule, que la malheureuse Andrée n’avait jamais vu la mer avant que nous l'invitions. Ma mère allait mieux avec le temps, à l'inverse de mon père qui avait alors attrapé des crampes au dos - si fortes qu'il pouvait rester couché, parfois, une bonne semaine. Ces deux-là ne forment pas un couple, mais un vase communiquant - autant te dire que j'ai retenu la leçon : dans mon couple à moi, le vase communique peut-être, mais toujours dans un seul sens !
Cette année, je ne leur donne pas le choix : je viens, et en plus accompagnée d'Andrée ! Ça hésite... Ils se regardent, mais ils osent pas me dire non. Car Patrick (mon frère) vient de passer quinze jours chez eux en juillet avec sa femme. Une petite Thaïlandaise adorable, enceinte.
C’est fou comme ils m’aiment.

Andrée anomme mon opération de reconquête « l’opération Louis ».
Louis ne m’écrivant ni ne me téléphonant, comme il est délicat de le faire moi-même, nous nous installons à POrt-Dumac les quinze premiers jours d’août, afin de le rencontrer soi-disant par hasard quand il viendra passer lui-même ses propres vacances ici. L’an passé, mes parents l’ont vu à cette époque précise sur la petite plage où nous nous sommes rencontrés, dix-sept ans pour moi, vingt-et-un ans pour lui. Nous campons presque sur la plage en question. Un jour, deux, trois.
Toujours pas de Louis. Andrée part voir à la villa des Lecourtois si sa voiture est là, en plus de celle de ses parents. Nous ne nous attendons certes pas à voir une Porsche, Ok-dac, mais une voiture. Juste une, en plus de la bagnole des parents. Mais rien, il n'y a que la voiture des parents.
Chaque jour, Andrée va faire son petit tour. Et s’il était venu en TGV, avec récupération à la gare de La Baule par les parents ? Le sixième jour, nous nous inatallons sur la plage la plus proche de sa maison, parsemée de cailloux aigües où s'accrochent des algues vertes et glissantes. Nous voyons leur toit à cent-cinquante mètres, un peu en en contrebas - mais l'on ne peut pas voir les fenêtres. Nous nous plantons là les trois jours suivants, emportant même des pique-niques.

Huitième jour : Andrée décide d’attendre la nuit pour voir si la chambre de Louis à l’arrière de la maison est éclairée. Ou s'il en a pris une autre, comme celle du haut, au-dessus du séjour. Cela voudrait dire qu’il y a du monde - en plus des deux parents. Pour la chambre au-dessus du séjour, il est facile de voir que le volet est toujours baissé : vingt-deux heures, vngt-trois heures, minuit, Andrée va faire son petit tour nocturne. Un jour, deux, trois. Dans quatre jours, elle doit repartir au Mans, et moi à Serzon où Charles va bientôt revenir. Mais la lumière du studio, derrière ? Si celle-ci était éclairée, cela signifierait que Louis est là ! Il faut aller voir. Mais légalement, il y a viol de propriété privée. Plus précisément, dès que l'on enjambes un portail pour entrée sur un terrain, c’est une violation de domicile. Mais si le portail est ouvert, c’est juste que tu te balades là. Même à trois heures du mat’... Le Droit, tout de même, est une chose assez incroyable... Je la préviens :
« - T’es folle, tu vas te faire pincer. Les flics vont venir, on ferta le raccord avec moi. »
« - Arrêtes tes imagineries : tu te souviens quand on allait regarder leur télé dans leur maison de campagne l’hiver, avec les clés que Francis avait piqué sur l’portail. »
« - Eh ben justement : ils vont te reconnaître ! »
« - Ben déjà jamais ils m’ont connu, et d’une ! Et de deux, on était en face de chez eux tous les trois et ils nous calculaient jamais. Interdit de faire joujou avec eux à leurs jeux de Parisiens ! Tu crois qu’ils connaissaient ma bobine ?? Et de trois depuis qu’il a eu quatorze ans Louis n’est plus jamais revenu. Et de quatre, c’est parce que vous avez vos maisons de grandes vacances à côté l’un de l’autre que vous vous êtes rencontrés, sur la plage. Il t’avait jamais remarqué bien que t’étais en face de lui chaque viquende à Vinneuf. Tu parles d’un coup de bol ! »
« - C’est sûr, les maisons des autres, ça a toujours été un peu les nôtres. »
C’est pour la faire rire, Car je vois bien le chagrin poindre. Andrée se plie en deux.
« - C’est sûr qu’on a la propriété étendue. »
« - Tu te souviens de la cache à billets ? »
On rigole à n’en plus pouvoir, sur mon lit d’acajou avec son matelas bosselé.

Il faut que je t'explique, P'tite Gueule, le contexte sous-jacent à tout cela... Ces histoires de fric, de suicides, de cancers et de familles qu’aime tant mon Goblieu. Il faut que je revienne sur notre passé villageois. Ce passé t'éduque sans que tu le saches, sans dire un mot, et bien davantage que les instituteurs, voire tes parents. Et, toujours sans le savoir, tu n'oublies jamais rien de ses leçons, les retiens tant que l'on te donnerait la note maximlae - mais, hélas, les résultats ne figurent jamais sur le carnet de notes ! Peut-être, parfois, dans les casiers judiciaires...
Quand tu rentres à Vinneuf et que tu vas dans l'intérieur de l'intérieur de l'intérieur des familles & voisins, tu n'es soudain plus sur la même planète : sur celle là, l'argenterie vole en escadrille entre les crottes de moutons, rien ne connaît plus la pesanteur. Le temps n'y passe pas comme ailleurs. Pour preuve, les horloges de l'école et de la mairie, les cloches de l'église sont restées au méridien de Greenwich - même quand Giscard nous a foutu les heures d'hiver et d'été en 73 !
Et niveau tragédies, à côté de ce qui se passe chez nous au village, Dune avec les Atréides et les Harkonnen c'est la Petite maison de la prairie - où les héros seraient en plus des Bisounours. C'est un peu comme la série que j'adore aussi, Friends, mais à l'envers.
D'ailleurs, les villageois le disent bien : par chez nous, on fait semblant que c'est la France, mais par-en dessous les trous-grangiers eux-mêmes, on est maîtres depuis les millénaires. Oui-oui, maîtres depuis le temps des silex, que l'on trouve partout ici, jusqu'à l'époque de Michel Drucker sur A2. Pour preuve ? Même nos ennemis du village de la vallée, Villeneuve-sur-Faulx-Sarthe, ne nous ont jamais envahis. Y compris aujourd'hui, avec leur gendarmerie en béton - devant notre putain de collège en béton à la con. La justice on la rend nous-mêmes...

« - Démonstration », comme dirait Papa.

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