Chapitre 13 : Patricia attend un bébé trop classe

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Mais qu’a-t-il, ce Louis ? Il répond à ma lettre en me disant qu’il accepte volontiers de me voir, car il passera à Port-Dumac le prochain week-end. Conséquence : roulant à fond avec ma Polo, je fais Serzon-Port-Dumac par la Quatre-voies. Arrivée, je découvre sa vraie voiture : une petite BMW décapotable trop mignonne ! Elle est trop chou, comme Louis est trop chou : Louis me replaît, c’est terrible. Mais pourquoi l'avais-je quitté ? C'est un peu comme si j'avais de nouveau dix-sept ans. Je serais prête à retourner au paradis. Aux côtés de Louis, je m’envolerais bien, comme cet été que nous avions passé ensemble, il y a huit ans. J'en revis la magie. Je suis en train de redevenir une ado amoureuse. Mais là, devines ce qui se passe, P'tite Gueule ? Après avoir passé deux heures ensemble, n'avoir cessé de le frôler en marchant dans les rues de Port-Dumac... Louis ne fait rien. Il ne se passe rien entre lui et moi ! Je repars sans même un bisou ! Mis à part sur les deux joues, à l'arrivée et au départ - ce qui ne compte pas.

Il me laisse un petit espoir, tout de même. Il me dit, en effet, qu’il repassera dans deux semaines. Mais il n'en est pas certain. Je lui laisse mon numéro au cabinet, afin que, s'il appelle, il ne tombe pas sur Charles. Il le note sur un petit galepin. Puis il me regarde :
« - Pourquoi me donner le numéro de ton cabinet ? Je peux t'appeler chez toi... »
Deux semaines passent. Je découvre alors qu'il m'a envoyé une lettre pour me redonner rendez-vous. Il ne me l'a pas adressé chez moi, mais à mon cabinet : il en a donc cherché l'adresse. Mais pourquoi ? Ah oui, il a eu peur que Charles n'ouvre l'enveloppe, surtout affranchie de Paris. J'ai l'impression que, petit à petit, il commence à comprendre. Cela m'excite, m'excite ! Mon coeur bat à toute blinde, je m'émollis, j'ai envie d'ouvrir les jambes, c'est intenable.

Donc, dernière semaine de septembre, je refais le trajet Serzon-Port-Dumac à toute blinde pour le retrouver. Par chance, s'il fait frisquet, il fait encore beau : nous nous installons sur une plage, nous nous baignons même. Mais toujours rien de sa part, aucun geste vers moi. Une affreuse tristesse me prend. Tiens, exactement comme celle du jour où j'ai conquis Charles, quand je pensais que j'avais toute ma vie dans le cul - et pour des raisons de cul, justement.
Comme ce jour également, je lui dis donc des trucs tristes sur ma vie. En désespérée, je lui parle de Charles, qui veut toujours me forcer à faire du triathlon, de notre horrible rando en Thaïlande, des propos de Charles sur le sens de la vie en couple. .. Je demande :
« - Louis, crois-tu en fait qu’un couple c’est juste comme une petite entreprise ? »
« - Une TPE ?? Non, ça ne peut pas être réduit à ça, c’est sa négation. »
Là, apitoyé, il me passe le bras autour de l’épaule (enfin !) :
« - Et si on déposait nos propres statuts au greffe du tribunal de commerce ? »
Et toc, il m’embrasse. Aussitôt, nous filons au lit dans son fameux studio derrière la maison de ses parents : je n’ai jamais autant pris mon pied !!! Je te le jure : de toute ma vie. C'était encore mieux qu'avec les Allemands !! Mieux que tout ! Charles est à peine un nain, comparé à Louis : mais comment fait-il ?? Il n'est pas un étalon.
Nous nous quittons ensuite, je rentre chez moi et lui à Paris.
Au début de la semaine, dès que je peux, j'appelle Andrée.

Elle en lâche son téléphone.
« - Ma strat a marché, ma strat a marché ! T’es trop bonne !! Mais tu vois comme tu es : tu pourrais faire mannequin international. Y-a personne qui peut résister. Ah si j’avais tes fesses, tes seins et ta tête ! Not’ seul point commun c’est la bouffe : on peut manger à plus soif, on prend pas un gramme ! »
« - Il est bien avec une Nathalie, il me l’a redit. Il a voulu être honnête », je dis, « Il hésite à la lâcher. »
« - Attends. Vous avez repris rendez-vous ? »
« - Oui, la semaine prochaine... J’ai de la peine pour Charles, tu sais. J’hésites quand même, tu vois. »
« - T’arrêtes pas à ça, fonces. T’as semé trop de doutes dans sa famille, là, avec toutes tes histoires. Pour l’instant Charles t’aime encore, mais à mon avis c’est râpé-fromage. »
« - Si j’ai une nouvelle chance avec Louis, faudra que je sois sage comme une image. »

Bon, je te la fais courte, P'tite Gueule : Louis quitte sa Nathalie et, quand il l'a fait, que je suis certaine qu'il n'y a pas entourloupe, que je ne me retrouverai pas seule, je quitte Charles et déménage. Je prends un studio près des remparts, au-dessus du port.
« - Il était pas net ce type », me dit Charles le jour où je sors mes deux valises. A part ça, je n'ai rien d'autre - aucun meuble, déco, vaisselle. Rien. Charles fournissait tout.
Mon ex - désormais - continue :
« - Si ce type ne t’avait pas encore eu en tête, il serait venu prendre le café avec nous avant que vous alliez à Quiberon. Il l’a pas fait parce qu’il pouvait pas me blairer. Il t’aimait encore quand il est venu. C'est logique. Il m'a bien eu ton blaireau de région parisienne ! »

Mais au lieu de m'énerver, Charles me rassure. Question : si Louis m'aimait encore, pourquoi m’avoir fait attendre ainsi ? De mon studio, j'appelle Andrée :
« - Il donne le sentiment d’avoir hésité. Qu'est-ce qu'il t'as dit sur cette Nathalie ? », me demande-t-elle.
« - Mais il ne m'a presque rien dit sur elle. Tout ce que je sais c’est qu’il y a une Nathalie à son boulot. Le même prénom que sa Nathalie. Mais celle de son boulot est mariée ! »
« - Alors là, c’est sûr que c’était celle-là ! Il couchait avec sa collègue. Tu vas voir qu’il va quitter son boulot, maintenant que tu es là. »
Désormais, chaque week-end où nous voyions, Louis et moi, j’essaie d’en apprendre plus sur cette Nathalie du boulot : elle est mariée à un financier, a fait la « rue d’Ulm » - sans bien comprendre ce que ça veut dire, je pige qu’elle est très-très intelligente. Louis semble l’admirer. Cela me déplaît. Mais, pour ce qui est de son autre Nathalie, jamais un mot... Oui, et si en fait Louis et sa Nathalie-du-boulot étaient amants ? Cela collerait...

Arrive le mois de janvier : il se pose le même dilemne qu'il s'était posé lors de notre première rencontre. Soit nous continuons, mais il faut que ce soit ensemble, et ça ne peut être qu'à Paris. C’est net. OK-d'ac. En quelques semaines, Louis me trouve même un job : comme sa mère, dentiste dans un dispensaire de banlieue parisienne, prend sa retraite, je pourrais prendre sa succession : un hour et demi par semaine. Mais comme une dentiste est en congé de maternité, cela pourrait monter à trois jours et demi par semaine ! Le jackpott, le coup de bol énorme. Il faut faire vite, son pot de départ est en mars.

Un lundi matin, je rentre donc à Paris avec lui en TGV.
Là, dans le train, il m’apprend qu’il a quitté son boulot de financier et qu’il est pris chez Galligrasseuil, une maison d’édition - la meilleure du monde selon lui. Il y fera une sorte de boulot de reportages, pour des livres. Même moi connais cette maison d'édition : c’est en effet le top du top. Il y a son nom sur tous les bouquins dont je suis fan, sur quasi toutes mes collections de thrillers dégoûlinants. Il me montre son contrat : quinze-mille Francs par mois, avec un premier contrat de six mois. Ça me paraît assez, d’autant que la location de mon studio coûte cinq-cent Francs par mois à Serzon. J'ignorais complètement que le même vaudrait quatre-mille ici. Petite provinciale que j'étais.
Et ce en région parisienne, dans une banlieue pourave de chez pourave, Je vois la Dentiste-chef : elle est d'accord et je suis prise. La mère de Louis m'a déblayé toutes les difficultés.

Dès avril, je pose mes affaires chez Louis, dans le deux-pièces qu'il habite, place de la Nation. Vingt-cinq mètres carrés ! Oups ! C’est petit. A Serzon, un deux-pièces représente un minimum de cinquante mètres carrés. Un soir, Louis me propose le mariage. Nous le fixons à la fin du mois d’août. Après tout, nous nous connaissons depuis près de dix ans, non ? Je reste dans les nuages, loin au-dessus de la planète, comme si j'étais à jamais partie en voyage sous les joyeux Tropiques du confort éternel.
Un truc nous fait bien rigoler, tous les deux : mon nom est Patricia Lathérèse. La mère de Louis s’appelle Thérèse : de son nom complet Thérèse Lecourtois. En l’épousant, je deviens donc Patricia-Thérèse Lecourtois. Car mon deuxième prénom est Thérèse, sachant que mon nom est Lathérèse - ça, ce sont les trucs de village : on m'a donné en deuxième prénom le prénom de ma grand-mère, Thérèse qui, bien sûr, ne s'appelait pas Lathérèse avant son mariage. Ce sont les traditions locales ! Conséquence : les patients de Thérèse Lecourtois resteront avec une Madame Thérèse Lecourtois.
Louis conclut :
« - Si on fait un jour la psychanalise de notre mariage, ça méritera une thèse ! »

Quand je le dis à Andrée, elle fait :
« - Fais gaffe à la mère, c'est une grenade goupillée comme celle des Boches, genre celles sous mon lit où t'as juste à tirer une ficelle, pas comme les françaises - qui ont deux sûretés. Pour revenir à ta future belle-doche, c'est la reine-mère. Une fois elle s’est prise de bec avec mon père rapport au fait qu’il avait tiré une balle au-dessus de Louis... Tu te souviens pas ? C'était rapport au fait qu'il piétinait les champs de blé avec son frangin et leurs cousins en chassant les perdreaux, un jour que Papa était bourré. La grand-mère lui est tombée ensuite dessus, le jour même ! Je dis pas ! Oui-oui, avec la grand-mère Lecourtois, elles faisaient peur même à Mémé, alors qu’elle avait connu l’occupation boche à Anvers en 1918, puis la collaboration ici à la Guerre, avec le marché noir et tout-et-tout. »
Confirmation au Dispensaire. Oui, car, en effet, j’ai même repris son assistante. Jennifer. Avec celle-ci, nous causons et j’apprends plein de choses. Mais je te le dis : au début, elle était très raide.
Puis, un mois après mon arrivée, Jennifer me dit, à la machine à café :
« - On s’est dit que t’allais être comme Madame Lecourtois. Mais pas du tout : si tu savais comment elle nous embêtait, celle-là, il fallait que ce soit rangé comme ça et pas comme ça. A la moindre erreur elle te tombait dessus. Elle te traînait dans la boue en répétant à tout le monde ce que tu avais fait. Toi t’es sympa, tu t’y connais pas trop, alors on a décidé de t’aider avec les autres filles. Et de rien dire à la Dentiste-chef quand tu plantes un truc. Mais fais gaffe à la vieille Lecourtois : tu risques de la trouver contre toi un moment ! Mais si elle t'a à la bonne, elle changera pas d'avis, jamais. Elle est comme ça. »
Bref, partout où je passe, les gens m’aiment bien. Merci Jenny. Désormais, nous sommes meilleures-amies-de-banlieue-parisienne. Il n'y a plus de dentiste d'un côté, et d'assistante de l'autre, il n'y a plus que deux bonnes copines.

En juillet, je n’ai pas mes règles. Test. Je suis enceinte. En accord avec Louis, je ne prenais plus la pillule depuis huit mois. On l’annonce à ses parents, quelques semaines avant le mariage, à Port-Dumac. La même semaine, coup de fil de la banque de Paris : elle est OK-d'ac pour un crédit. Car, en effet, nous achetons un appartement près de celui des parents de Louis, à Charentonneau, une banlieue résidentielle à l’est de Paris. Par le périphérique - on ne dit pas la Rocade, à Paris, mais le Périphérique, comme à Nantes -, je suis à vingt minutes de mon travail - je fais le test avec la BM pour m’en assurer. Quant à la famille, je te le confirme, elle est pleine aux as : ils vendent le petit studio de la Nation et partagent l’argent en deux, entre Louis et son frère Benjamin. Ainsi nous avons un apport suffisant. Je te dis pas combien il valait le studio ! Et l’appartement sur lequel on s’engage, inimaginable ! Mes parents n'en reviennent pas du chiffre. Mon père est fier de moi, et il me le dit ! Jamais auparavant il ne m'avait dit quelque chose comme cela ! Même chose pour Maman - entre deux pillules de Valium.
Je flotte, je flotte, c’est la stratosphère : j’ai laissé à jamais mon Goblieu à Serzon. Mon enthousiasme est tel que chaque jour est tel un départ de vacances, quand j'arrive dans un aéroport international pour m'asseoir en première classe : oui, c'est ainsi tous les jours ! C'est l'enthousiasme VIP au quotidien. Bien sûr, je suis à la lettre le conseil de ma meilleure-amie-pour-la-vie : faire la gentille. Mais, en fait, je n’ai nul besoin de jouer la comédie ! Je vis un été encore plus beau que le plus bel été de ma vie, celui que j’avais passé avec Louis il y a huit ans, sauf que celui-là dure depuis nos retrouvailles, en septembre. Et Louis ne cesse de me dire que suis aussi jolie qu’à dix-sept ans ! Nous faisons l'amour sans cesse. Bref, je suis toujours une madone - sauf que ma timidité s’est envolée.
« - Flattes la mère », dit Andrée. C’est ce que je fais.
« - Qu’est-ce qu’elle a bien évolué, Patricia », conclut enfin cette dernière à Louis, qui me le rapporte, tout fier. C’est gagné : j'ai mise cette sale vieille bourgeoise dans ma poche. Il est certain que, maintenant, elle me voit comme une bonne épouse pour son fils, et que plus tard elle me verra comme une bonne mère, avec tout le sérieux et le poli que je dégage parmi mes ondes de bonheur et de beauté.

Re-coup de fil à Andrée :
« - Fais-toi faire un contrat communauté de bien ! Comme ça la moitié sera pour toi si vous divorcez ! » Toujours pratique ma meilleure-amie-pour-la-vie. Mais, comme si Louis avait entendu, alors qu’il était à l’autre bout de ville à ce moment, il me fait, le soir même :
« - Le contrat de mariage sera en séparation de bien et, bien sûr, même sans communauté réduite aux acquêts. »
« - Ça veut dire quoi ? »
Avant de répondre, Louis prend son air honnête, son air Lecourtois, le même air qu'avait son grand-père, et son père, l'air qui ne m'apportera jamais rien de bon :
« - Ça signifie que si on apporte quelque chose cette chose restera à celui qui l’a apportée. C’est à ton avantage, Patricia, parce que dentiste paye mieux que l’édition, du moins à mon stade. Car là moi je redémarre dans une branche totalement nouvelle pour moi. »
Le sur-lendemain, nous avons rendez-vous chez le notaire. Chez celui-ci, un beau doublé est prévu qui doit me sortir pour l'éternite de la mouise : on doit signer ET le contrat de mariage ET l’acte d’achat de l’appartement.

Le lendemain, Louis dit qu’il doit passer chez « Dupuy » - son médecin.
Mon chéri a des champignons blanchâtre à la zigounette - les mêmes qu’il avait eu avec moi quand nous étions « petits », comme j’aime à dire. Je ne sais pas pourquoi, il tient à ce que j’aille avec lui et l'attende dans la salle d’attente : il semble fier de me montrer à son Dupuy. Son patient parti, le médecin sort chercher Louis. Genre râblé et gueule de para, costard gris. Vraiment pas l’allure d’un médecin, mais celle d’un taureau. Pas mal le mec.
Il regarde à peine Louis, puis tout de suite moi à côté. Genre une seconde.
Ils disparaissent dans son cabinet.
Dix minutes après, Louis ressort et on se retrouve dans la BM.
Là, il éclate de colère :
« - Dupuy m’a dit que le genre de champignon que tu m’as refilé caractérise les filles qui couchent tout le temps avec des tas de mecs. Et son nom, à coucher dehors de fait : candida albicans. " Candida ", comme " candide " ! Donc, il m’a conseillé de te quitter immédiatement ! Il assure que t’es pas fiable ! »

Boum-bada-dra. Juste au moment d’aller voir le notaire. Pour le fameux doublé de contrats.
P'tite Gueule, tu vas me dire que ces champignons, tout le monde en a, nul besoin d'être une pute. J'en ai eu à partir de quinze ans, alors que je n'avais couché qu'avec un gars, précisément celui de l'hôtel de la Licorne. Mais sur le moment, je ne songe pas à développer cette conte-argumentation.
Après, Andrée me le repprochera :
« - Tu t'es faite berner, ma fille. Ton Dupuy a immédiatement compris que tu couchais sans cesse : il a pris le prétexte des champignons pour que Louis le comprenne aussi, c'est tout. Louis doit être un peu comme son fils, c'est le médecin des Lecourtois. Il craint pour lui : imagines que tu refasses à Paris ce que tu faisais dans le dos de Charles, inconnus, hôtels et même une fois une passe dans un parking ! Mais comme toi sur le moment tu n'as pas constesté le toubib, c'est comme si tu avais reconnu. Ma pauvre, tu as été bien bernée : jamais t'aurais dû avouer tes frasques à Louis ! Car quand son demi-fou de médecin a lancé ça tu pouvais plus rien répondre ! Un conseil : sépare-bien ce que tu dis aux uns de ce que tu dis aux autres, ma pauvre, et veille à ce qu'ils ne se mêlent pas ! Jamais. »

Mais comment comprend-t-elle tout cela, Andrée ?
Soit on a lui a donné un cours spécial en DEUG de psycho, soit elle est comme une sorte Mozart, elle entend des voix qui lui dictent ses analyses, c'est un génie en perception. Sauf que, elle, ce sont des symphonies du blousage des mecs d'autrui - et de tout ce qui a deux jambes et une tête. Mais en attendant, je ne pense pas à tout cela. Je passe directement à l’offensive. Il ne me manque jamais d'idées dans ces cas là et, s'il m'en manque, mon Goblieu m’en donne :
« - Je t’ai jamais caché que j’avais eu plein d’aventures. Même celle avec mon prof, je te l’ai racontée. Donc tu le sais déjà ! » Déstabilisé, le Louis.
« - À ta soirée des chirdents, cet hiver, quand je suis revenu dans la salle tu te tenais face à un mec qui te tenait par la taille ! Vous aviez vos visages à dix centimètres l’un de l’autre : je me suis même demandé si vous ne vous embrassiez pas, mais je voyais de trois-quarts arrière. Je suis parti aussitôt. Je pouvais pas supporter. Donc là je te demande une explication ! »
« - Bébert ? »
« - Bébert ? C’est son prénom d’état-civil ? »
« - C’était mon prof ! Et Bébert est marié. »
« - Le prof avec lequel tu es sortie ? Tu te frottais le nez avec le prof avec lequel tu es sortie et grâce auquel tu as été diplomée, le tout en sachant que j'étais tout à côté dans la soirée ? On nage en plein délire, là ! »
Merde ! Je me suis trahie ! Car c'était parfaitement vrai : Bébert me tenait par la taille et avait essayé de m'embrasser. J'avais refusé mais, de derrière, Louis avait parfaitement pu croire que nous nous roulions une pelle ! Merde et remerde ! Car je ne l'avais pas trompé, même d'une galoche. Que faire ?
Mentir : de toute façon, c'était invérifiable.
« - D'abord, c'était pas ce prof ! Oui-oui, tu te trompes, et en plus tu as vu comme il est moche ?? Arrêtes, mon chéri ! »
Dans la mentalité des mecs, être une fille super-canon implique qu'elle doit sortir avec un mec super-canon. Sauf que cela est tout faux. Mais Louis ne saisit pas l'implication :
« - Est-ce que tu comprends ce que ça signifie de ressortir avec une fille qui vous a largué pour un autre, puis qui rechange d’avis, qui a plein d’aventures : tu dois être impeccable. Et là Dupuy qui me dit de te jeter !! Dupuy se trompe jamais. C’est un mec qui a de l’intuition. »
Je manque m'étouffer : le toubib m'a vu une seconde et, pour un peu, il saurait presque que Bébert est exactement le même Bébert avec lequel je suis sortie et qui m'a eu mon diplôme. Que dire, mais que dire ? J'en suis suffoquée de Chez-suffoquée : où suis-je tombée, en fait ? Oui, je sais : je vais le flatter, cela le distraira de son idée fixe !
« - Tu as beaucoup de courage de me reprendre, moi je le ferai pas. Je te mérite peut-être pas, tu sais. »
« - Mais tu l’avais compris ? Tu as compris que tu m’inquiètes ? Il y a des choses que je ne sens pas, je ne sais pas quoi et je ne sais pas pourquoi... Je vis dans la peur permanente que tu ne me quittes : voilà, je te l'ai dit ! J'ai mis des années à me remettre de notre première rupture !! Voilà, c'est avoué. Tu ne m'inquiètes pas, tu m'angoisses ! »
« - Comment veux-tu que je comprenne que je t'angoisses ? Tu ne me l’avais jamais dit avant aujourd'hui. Alors c’est de ta faute, voilà ! »
« - De ma faute, en plus ? Est-ce moi qui t'ai quitté ? Oh l'argument... Mais attends : tu ne t’en doutais absolument pas ? Tu n’as jamais vu que je m’angoisse, et assez souvent en plus ?? »
« - Non. »
« - Qu’est-ce que tu crois quand je me ferme ? Ou que je vais me balader ? Ou que je reste enfermé dans ta chambre un week-end chez tes parents, sous prétexte de boulot ? »
« - Rien. Je me dis que tu as besoin de prendre l’air. Ou que tu as du travail. »
« - Mais enfin pas du tout ! Des fois ça en est à perdre l'appétit... La dernière fois chez tes parents je n'ai pas pu toucher à un seul plat tellement j'avais les boules... Le problème de fond c'est qu'avec cette séparation je ne suis pas sûr de toi... J’ai besoin d’être sûr de toi. »
« - Je t’ai jamais rien caché de mes frasques d’étudiante. Tu as dû forcément en faire autant, mignon comme t’es, et ce n’est pas pour autant que je ne te fais pas confiance, moi ! »
« - Et on passe demain chez le notaire, pour signer, mine de rien, deux contrats qui nous engagent pour ving ans, si on compte l'appartement... J'ai besoin de réfléchir ! Il faut que je sois au calme pour intuiter, moi ! Je ne m'appelle pas Dupuy... »
« Intuiter » : ce mot-là, on ne me l'avait jamais fait.
Louis gare la BM dans le parking qu'il a dû louer pour celle-ci, sans quoi son assureur la refusait.
Il sort en claquant la portière :
« - Puis font chier cette BM et ce garage à la con ! Je vais marcher tout seul. A tout à l'heure... En outre, tu me culpabilises : je m'en veux presque de t'avoir fait venir ici et, le pire, je m'en veux pour Charles ! »

L'horreur de l'effrayance absolue et totale ! Je viens de m'abattre de dix-mille mètre en une chute verticale et accéléré, et ce par la faute d'un toubib qui me m'a vu qu'une seconde, sous le prétexte de champignons - que l'on jurerait hallucinogènes. Que va-t-il se passer, à présent ?? Louis va-t-il me larguer, annuler la signature des deux contrats, le mariage ? Vais-je me retrouver seule, seule avec un bébé - et l'idée de devoir assumer cette responsabilité en solitaire fait monter en moi une brusque et soudaine panique, dont j'ignorais presque qu'elle eût pu exister ? Il ne me reste plus qu'à attendre son retour, et le résultat de ces décisons, quand il aura suffisamment « intuité » - avec l'enquête judiciaire qui risque de s'en suivre, s'il reste des « parts d'ombre ». Affreux. Si affreux que je ne veux même pas appeler Andrée.

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