Chapitre 29 : Première tentative d'homicide : un début encourageant
Fin janvier. Nous rentrons à l’appart, Louis et moi. Nous venons de passer plus d’une heure à rédiger notre convention de divorce à l'amiable. Celle-ci permet de ne prendre qu'un seul avocat, voire même pas du tout - en l'occurence, pour nous, une « avouée ». Une loi vient de sortir, permettant ce type de divorce, qui ne coûte pas un rond. Il faut voir Louis s’agiter sur sa chaise : on dirait qu’il fait un malaise. C’est lui qui m'a demandé le divorce, le fameux soir du dimanche où l'on s'est envoyé en l'air - sous les caméras du black du parking. Ce n'est pas moi ! L'avouée, qui nous reçoit dans la salle à manger de sa maison de Charentonneau, nous lit le projet.
Mon avocat me l'a expliqué, la phrase importante est :
« - Madame versera-t-elle une prestation compensatoire à Monsieur ? »
L’argent que je pourrais lui verser pour le dédommager de sa « perte de niveau de vie », car ses revenus sont plus bas que les miens. A lui seul, ce type est un monde à l'envers !
« - Non, Madame », dit Louis, « Nous avons décidé que l’argent n’était pas l’enjeu de ce divorce, mais le bien-être de notre fils : on opte pour une garde partagée, cinquante-cinquante. L’enfant ne doit pas être un enjeu. »
« - Pas de pension alimentaire non plus ? »
« - Non plus ! »
Il a dit tout ce que je voulais entendre. Nous ne parlons pas de l’appartement : je l'avais craint. Je dois cacher mon étonnement, mais mon avocat m’a dit que les avoués étaient nuls. Donc, c’est fait, j’en récupèrerai la moitié en n’y ayant mis juste vingt-cinq pour cents.
« - Si Louis laisse passer ça, tu auras fait l’affaire du siècle », m’a dit Césario en sortant quelques jours auparavant de chez mon avocat (où il m’avait accompagné, pour m'aider à calmer mon stress – car je ne suis pas de buis, moi). « Tu auras niqué les Lecourtois ! »
Depuis le retour de Louis, cette nuit où il avait failli me frapper pour, finalement, suspendre sa baffe, je suis devenue toute gentille. J'ai ainsi réglé mon Louis comme du papier à musique pour que tout se passe bien : pas un hurlement, autant dire trois semaines de vrai boulot, malgré l’envie de trépigner, de hurler, de lui foutre des baffes. Quant à son bouquin sur les parents qui divorcent, j'en corne au fur-et-à mesure les pages, mais sans le lire. Nous avons refait lit commun, du moins quelques nuits, et même un peu l’amour : je me suis emmenée au ciel en pensant à d’autres que lui – et notamment en m’imaginant avec deux mecs à la fois, plus précisément Césario et le black du parking. Cela m'a créé un effet énorme.
Retour chez l’avouée : on signe les papiers.
Maintenant, phase numéro deux, comme dit Andrée.
Dans la Polo, que je conduis tandis que nous rentrons, je lance :
« - Mais enfin pourquoi ta mère t’a abandonné ? »
Déjà Louis était angoissé. Conséquence : son anxiété remonte aussitôt, de manière asymptotique. Je sens que l'overdose est en train de poindre sa truffe de bon Goblieu fidèle.
« - Pourquoi tu me parles de ça, tout d’un coup ? C’est pas vraiment le moment, je me sens déjà assez mal comme ça après la séance de torture chez cette conne d’avouée… »
« - En fait, ta mère t’aime pas, c’est ça. Mon pauvre Louis, il n’y a décidément pas grand monde qui t’aime… »
« - C’est quoi cette discussion ?? Arrêtes maintenant ; s’il-te-plaît… »
Pourquoi arrêterais-je ? N'est-ce pas la phase numéro deux, celle mijotée Chez Françoise avec Heinrich, Paulo et Andrée ?
« - Pour un bébé, être abandonné par sa mère, ça veut dire qu’elle ne l’aime pas. »
Là, Louis est soudain très mal : il s’effondre à-demi sur sa place, détache sa ceinture, ouvre la fenêtre pour faire rentrer l’air froid : il se met à geler dans la voiture. Il ne va pas me faire attraper la crève, tout de même ? Comme dit Andrée, il est tellement au fond du trou que tu peux créer une symphonie de mauvaises notes dans sa tête, et ce juste avec une phrase ! Attends, P'tite Gueule : cela fait plus de trois ans maintenant que je suis avec lui, tu parles que je sais où appuyer.
« - Être abandonné c’est le pire…. »
« - Pourquoi tu n’arrêtes pas de parler de ça ?? Stoppe la voiture, je descends ! »
J’appuie sur le champignon. Pas question d'arrêter le véhicule : tu vas la faire ta crise de tachycardie habituelle, mais avec une crise cardiaque derrière - pour changer ??
« - L’abandon c’est le pire : tu dois avoir l’impression que je t’abandonnes à présent, non ? Qu’en penses-tu ? »
« - Si tu n’arrêtes pas la bagnole c’est moi qui vais le faire ! »
Il sort la clé de contact, serre le frein à main : je manque me prendre le volant dans les dents. Déjà, la portière est ouverte et il n’y a plus de passager. Je le vois partir dans la nuit, sous les lampadaires orange, à toute allure. Il ne revient qu’une heure après, calmé, sans un mot.
Ensuite, c'est la phase numéro trois. Merci encore au repas Chez Françoise. Dès le lendemain, je commence par la jalousie :
« - Tu sais, le gars dont je t'ai parlé ? »
« - … ? »
« - Jean-Philippe, celui qui travaillait à la chaîne dans le grand abattoir, celui à droite de la route de Lorient, en allant vers Lorient après être sorti de Rennes... »
« - Je vois que Madame Lecourtois connaît les endroits où l'enfer est à la mode... Tu veux parler de Jeannot-Lapin, peut-être ? » -
« - Jeannot ! Euh, c'est le surnom de Jean-Philippe... Ce gars, il est incroyable : comme ses parents ne pouvaient pas lui payer ses études, il a fait l'ouvrier pour se payer une école de navigation au Havre afin de devenir capitaine... »
« - Oui, bon, et alors ? »
« - Tu connais les Le Guen ? »
« - Et toi, tu connais les Le Guen ? Je ne sais pas où tu veux en venir, mais je ne m'intéresse pas plus à tes milliardaires, qu'à Jeannot-Lapin, qu'à Bébert, qu'aux dentistes Corses aux tronches ravalées et botoxées, ou qu'à Jenny la frustrée sociale. Fous-moi la paix avec tout ça ! »
Raté... Je lâche quand même :
« - Eh bien il a conduit le yacht de Le Guen lui-même, soixante-quinze mille Francs pour deux semaines de traversée... Tu le prends peut-être pour un con, mais il est ami avec les deux fils Le Guen... »
Mais il n'a pas entendu car Arthur vient de l'appeler « pour faire joujou » : il s'assied avec lui sur le tapis et ils commencent à monter des Legos. Double raté !
Andrée m'a dit :
« - Tu le pilonnes. Pas une heure de répit. »
Alors j'enchaîne les engueulades, soir après soir - sauf les week-ends, où il habite désormais dans le studio de son frère, à l'autre bout de Paris. Je mets dans ces engueulades toute ma rage, mon dépit, ma colère, ses tromperies - et même les miennes. OK-dac, il n'a pas couché avec son androgyne de bureau, mais il est venu me rechercher après des années et des années, en Porsche de location, pour me mettre dans sa banlieue pourrie. Et là que s'est-il passé ?
Monsieur a découvert qu'il était incapable de vivre avec une femme. Il ne pouvait pas le savoir avant ? S’il est homo, qu’il le dise. Ça doit être ça, car il n’y a qu’avec mes amis homos qu’il s’entend – et je ne dis pas combien il leur plaît. Mon pote qui tient un magasin aux Halles, tiens : ah, ça, ils ont sympathisé, puis tout d’un coup, Louis m'a demandé comme ça, l’air de rien, sans y toucher :
« - Comment cela se fait-il qu’on ne voit plus du tout ton ami qui tient ce magasin, celui qui est si gentil ? »
À la place, je lui avais ramené Jenny, je lui avais présenté Césario : mais, pour lui, c'était le « bas du bas du panier » !! Je ne vais pas lui dire qu’un jour, devant le magasin que mon ami homo tient aux Halles, un homme m’avait abordé. Il m'avait proposé un café, j’avais accepté. Mais, soudain, j'avais senti un regard : c'était mon ami qui, debout devant son magasin, me regardait - stupéfait. Nos regards s'étaient croisés. Comme ils s'aimaient bien, avec Louis, il était évident qu'il aurait eu beaucoup de gêne à revoir mon mari... et que si cela avait lieu, Louis se douterait de quelquechose. Il me fallut donc rompre avec mon bon pote ! Eh bien, je mets cette mésaventure dans ma rage. D'ailleurs, j'y mets tout. Si je suis calme lorsque Louis rentre, je pense à n'importe quoi m'énervant, et toc j’attaque - par exemple - sur le fait qu’il est trop feignasse pour vider le lave-vaisselle. Je sais que c’est mon jour, mais je m’en fiche. Mais quel niaiseux ! Toujours sans comprendre que je vise la colère et me fiche de ses arguments « censés », il va vérifier sur son agenda que c’est bien les jours pairs, pour revenir, triomphant ! Aussitôt, je l’attaque sur son agenda, ses petites habitudes d’organisation, ses grands mots, ses grandes idées - dont on a rien à foutre de chez Jean-Foutre le Grand.
Mais quand Louis va-t-il se tirer, enfin ? Ce soir-là, au Dispensaire et, comme d’habitude, au dernier patient, je tombe sur un cas difficile. Je ne peux quand même pas planter ma fraise dans sa gencive à celle-là, juste pour me calmer. Cela alimente encore ma rage, mon sentiment que je n'aurais jamais droit à l'amour, que je ne serais jamais qu'abandonnée, encore et encore... En outre, n'est-ce pas Louis qui a parlé de divorce ? Quand j'arrive, ultra-exaspérée, Louis est dans la cuisine. J’y entre en coup de vent. Arthur est sur sa chaise. Comme le Petit est là, je vais pouvoir vider mon sac sans que mon pseudo-mari ose l’ouvrir. Je me prépare à ouvrir mon clapet quand celui-ci me prend par la pointe du coude, me pousse hors de la cuisine - tandis que mon fils se met à pleurer. Il me pousse encore dans le salon, referme la porte double avec ses vitres qui tremblent sous le choc. Il me fait :
« - Tu gueules encore une seule fois devant notre fils et je... »
Il est au bord de me frapper. Je flippe, mais complètement.
« - Pauvre conne, pauvre fille, t’es même pas capable de te taire devant notre fils. Tu sais totalement le mal que ça lui fait, mais non, tu y vas, franco. Tu veux le détraquer à vie ! »
Il approche de moi, toujours plus. Jamais je l’ai vu comme ça, ça va partir... Je n’ai pas le temps de réfléchir que mon Goblieu met en mouvement mes pieds, et je me réfugie à l’autre bout du salon, devant l’espèce de canapé qui sert de lit à Louis. Puis mon Goblieu se met à rigoler à l’intérieur de moi. J'éclate de rire à mon tour. Louis tourne les talons et revient dans la cuisine. Il la ferme à clé.
« - Pourquoi Maman pas là ? », demande le Petit.
Louis répond, mais comme sa voix est basse je ne sais pas quoi. Je rentre dans la chambre et la soirée se finit comme ça. A vingt-deux heures, j'y vais pour manger, tandis que mon « mari » regarde sa télé.
Le lendemain, Louis revient à vingt heures de chez ses parents avec Arthur, l’ayant fait dîner. Je vais pour lancer la dispute quand il se lève et, sans dire un mot, entre dans notre chambre dont il ressort tout habillé avec son sac à la main - sans un regard pour moi.
« - Mon chéri », dit-il à mon fils, « je peux pas rester parce que on se dispute trop avec Maman. Je vais habiter tout à côté dans une petite maison avec un jardin et je t’y emmènerai demain. Mais là c’est pas encore rangé, alors je peux pas t'emmener pour ce soir. Mais demain, c’est promis. »
Hurlement de Arthur, qui comprend que Louis part et nous quitte.
« - Si c’est pas rangé mon Papa, moi je rangerai pour t’aider. Je suis assez grand maintenant. »
Pour le prouver, il soulève une de ses caisses de joujoux qu'il traîne vers la porte d'entrée. Louis rentre alors dans notre chambre pour chialer. Moi-même, je ne suis pas très vaillante. Le Petit veut venir avec Papa, venir avec Papa, venir avec Papa. Cela dure bien trois heures. Nous devons aller le coucher tous les deux pour, qu’à vingt-trois heures, finalement, il s’endorme. Après s'être assuré que nous étions bien là, tous les deux ensembles, au pied de son lit. Main dans la main ! En plus ! Arthur lutte contre le sommeil, regardant autant qu'il peut pour s'assurer que Louis ne parte pas, jusqu'à ce que ses paupières tombent. D'un bloc. Je suis vidée.
En sortant de la chambre d'Arthur, Louis dit :
« - Vues les circonstances, je reviendrai demain pour le réveiller et l’emmener chez Christine, comme d’habitude. »
Je ne répond rien, tant ça me soulage. Puis son visage se fait sombre, il serre les poings. Zut, quoi encore ?
« - On me rapporte du Dispensaire qu’on vous a entendu, Jennifer et toi, vous demander comment vous procurer en douce de la digitaline pour me la faire prendre. Mais je te rassure, mon cœur va déjà beaucoup mieux. J'ai arrêté le Lexomil, pour te donner un exemple... »
Il est vrai que nous nous sommes dit cela, Jenny et moi, il y a deux ou trois jours - portes ouvertes, comme d’habitude. Mais pas sérieusement, puisqu’Heinrich et Paulo m’avaient dit de pas le faire. À mon regard, Louis voit bien que je le reconnais : c’est certain, quelqu’un l’a dit à sa mère qui le lui a rapporté ! Je suis coincée : seule fois de ma vie, je ne trouve rien à inventer. Mieux, cela me fait plaisir : de cette manière, il n'aura plus aucun doute sur tout le bien que je lui souhaite. Et s'il me soupçonne de vouloir l'empoisonner, cela ne pourra que plus l'inciter à ne jamais revenir. Tiens, je ne savais pas que la vérité pouvait être bénéfique... Louis lance :
« - En fait, personne ne m’a rapporté de tels propos. J’ai lancé ça au hasard pour voir ta réaction. Maintenant, je sais que c’est vrai et que tu as dit cela. Avicennes et Dupuy pensent qu’en effet tu souhaites ma mort et m'ont conseillé de dégager fissa. Quant à moi, je l'avais rêvé. Ne nous prend pas donc pour des cons, je te préviens. Et là tu viens de me le confirmer !
Ah oui, autre chose : c'est quoi ce gros bouquin de démente fermé par un cadenas ? On croirait qu'il vient direct de l'enfer ! »
Et il te jette, toi, P'tite Gueule, mon journal intime, sur la table du salon.
Tu manques même d'aller d'écraser sur le parquet en chêne. Je te rattrape à la dernière minute et te serre contre moi.
Son fou de professeur Avicennes, cette saloperie de Dupuy ! Louis ne semble même pas en colère. Quant à moi, je ne dis rien : je n’ai rien à dire car, de toute façon, j’ai gagné cette partie. Je me tourne juste pour qu'il ne voit pas ma joie. J'entends la porte se refermer, tout doucement, pour ne pas éveiller Arthur.
Voilà, Louis a débarrassé le plancher. Définitivement.
La phase suivante est la récupération, non seulement de la moitié du plancher, mais aussi de la moitié de l'appartement qui va avec.
En avant marche !
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