Chapitre 32 : Premiers pas en maltraitance infantile : peut mieux faire
Nous somme enfin lundi, jour de la vente de notre appart de Charentonneau. La Dentiste-chef m'a donné la journée pour régler mon problème. Assieds-toi, P’tite gueule, même si t’es un cahier à fermoir et à spirales. A onze heures, j’ouvre la porte qui est encore « ma » porte. Je tombe sur le notaire qui ne me dit même pas un « Bonjour Madame ». Sans me regarder, il fait :
« - Il y a un papier à signer sur le partage de la somme résultant de la vente de l’appartement, au prorata de vos apports personnels. Pour vous, vingt-cinq pour cents ; pour votre mari, soixante-quinze pour cents. »
Je tombe de Himalaya, je peux te le dire ! J'hurle :
« - Pas question que je signe ça : c’est un guet-apens ! »
Louis, qui est derrière le gros bonhomme, surgit d’un coup :
« - Cette somme, c’est mon assurance-chômage. Si tu signes pas, pas de vente et pas de divorce ! »
Il repart. Là, tu ne me croiras jamais ! Le notaire se met à gueuler :
« - Ne vous inquiétez surtout pas, Monsieur Lecourtois, elle va signer : je l’ai vue venir de loin, cette petite garce ! » Mon notaire vient de me traiter de « Petite garce » !!!!!
Et je ne l'ai pas rêvé. Un type, qui ne me connaît ni d’Eve ni d’Adam, un type qui est mon notaire - tout autant que celui de Louis - m'a traité de « petite garce » ! Sur l'instant, je ne crois pas que cela soit réel. Je fais une sorte de commotion, reste plantée là cinq minutes, en essayant de remuer des idées dans ma tête. Mon Goblieu lui-même, d'ordinaire si présent, est absent. Sans ce souffleur d'idées, je suis absolument seule !
Je n'ai pas la choix : je reviens et je signe les papiers sur un morceau de ma cuisine intégrée… Oui, j’ai dis un « morceau » : car, à cet instant, je découvre que Louis a démonté tout le reste pour l’emporter - dans mon dos, donc. Là, tu devineras jamais quoi... le plan de travail s’effondre. J’ai eu juste le temps de signer leurs fichus trois exemplaires. Enfin, enfin... j'entends mon Goblieux dire : « - Reprends les papiers tout de suite, petite conne ! »
Mais où sont-ils ? Je les vois au loin, passés des mains du notaire à celles de Louis ! Et, bizarrerie, les acheteurs sont déjà là. Mais depuis combien de temps ? Je ne les ai entendu ni entrer, ni saluer Louis et le notaire. Ils pénètrent dans le cuisine : leurs têtes, en voyant celle-ci démantibulée ! Surtout la fille. Elle s’imaginait déjà là dans mon luxe à moi, avec ses Bon Dieu de casseroles. On signe. Je pars sans un au-revoir. Tu penses ! Et là tu sais quoi ?
Deux jours après que mon chèque soit arrivé, et que je l’eus encaissé aussitôt, j’appelle chez le notaire. Peut-être pour l'insulter, je ne me souviens plus. Très sèche, je fais :
« - Pourrais-je parler à Maître Bertrand ? »
« - Ce sera difficile : il est en garde-à-vue ! »
« - Comment ça ? »
« - Pour escroquerie. Rappelez plus tard, je suis désolée. »
Voilà comment Louis m’a eu de cent-mille Balles de l’époque ! A quarante-huit petites heures près, le notaire était en tôle, et rien de tout cela ne ce serait passé !! Mais le pire : les papiers du divorce, signés par le juge, étaient arrivés jour même de la vente. En revenant, encore tremblante, je les avais trouvés dans ma boîte à lettres. Ils seraient arrivés le samedi midi, j’emportais le fonds et Louis était ruiné ! A une tournée de facteur près ! C'est l’au-delà de la déveine. Mes amis-pour-la-vie n’en reviennent pas. Heinrich se hâte de me fait savoir par Andrée son « inquiète stupéfaction ». Je me repasse en boucle Stand-by me. Avec Arthur, revenu de Port-Dumac, nous la chantons à tue-tête. Quels rires ! Quelle complicité mère-fils ! C’est dans ces jours que tu sais sur qui tu peux compter. Il faut juste « tenir sans faillir », dixit Paulo. Lui, sa devise, c’est : « Brutal, mais loyal ».
En application de la convention de divorce, j'ai en effet Arthur du 15 juillet au 15 août. Avec Césario, nous avons prévu d'aller passer quinze jours dans sa famille, en Corse.
Vingt-quatre heures après la vente, nous prenons l'avion à Orly pour Bonifacio. Le frère de Césario vient vous prendre dans une guimbarde hors d'âge. Il nous emmène dans la montagne, de plus en plus profondément, jusqu'à un village perché, après des forêts interminables. Je crois même percevoir de la neige sur une montagne, tout au fond - mais rose, car le soleil se couche. Quant aux maisons, elles paraissent des forteresses, avec leurs murs immenses percés de fenêtres étroites - qui semblent des murailles. L'une d'elle est celle de la famille de Césario. Nous nous installons dans une chambre. Le Petit en a une autre, mais il commence à chouiner - disant qu'il est effrayé. En descendant les deux étages d'escaliers pour le dîner, je croise une vieille que je n'avais pas remarqué en arrivant. Sans un mot, elle me bouscule et rentre dans la chambre où se trouve Césario.
Traînant Arthur par la main, qui pleure de plus en plus - je ne sais toujours pas pourquoi - j'arrive dans la salle-à-manger. Il n'y a que des hommes. Avisant une place libre, je m'installe sur le banc, mon petit sur les genoux, dont les larmes tombent sur le dessus des mes paumes. Là, ils se disent je-ne-sais-quoi dans leur patois. Une sorte de grand-père, que je pense être en fait le père de Césario, me dit :
« - Toi, ta place n'est pas dans la salle à manger. Vas plutôt t'occuper de ton pauvre gamin, tu ne peux pas le laisser pleurer comme ça. On n'a vu jamais de mère comme ça, ici ! Pourquoi tu as fait un bébé ? Tu essaies sans cesse de le refiler aux autres, et même à Césario... Et c'est lui que te le gère entièrement, on a bien vu cela quand vous êtes arrivés... »
Un pépé intervient, avec un tel accent que je comprends à peine :
« - Elle me rappelle l'autre petite, là... La fille-mère : on avait retrouvé son bébé mort... Infanticide... Elle disait que s'en occuper lui donnait trop de souci... »
Un troisième fait :
« - Hè cum'è s'è u so figliolu hè un pesu mortu per ella. Ella tira nantu à Césario. Pigliate via Cesario, ch'ella u scaccià da a finestra, vi scumessu ! »
Je me mets dans un état, alors ! Me faire traiter de mauvaise mère, par un inconnu encore ! Aussitôt, le visage rouge de colère, traînant toujours Arthur qui hurle, je remonte dans les étages vers notre chambre, recroisant la même vieille - qui descend cette fois. J'entre comme une furie dans la chambre où se trouve Césario. Je vois tout d'abord son visage, très ennuyé. Mais je m'en fous !
« - Toi, là, tu vas faire ce que je te dis : tu vas descendre dans la salle-à-manger et dire à ton connard de père de me faire une place - ainsi que pour mon fils. C'est quoi ce guet-apens ? Et t'as vu la baraque moisie, t'as beau être en Corse, les murs sont froids comme de la glace. Dès le dîner fini, tu nous prends une chambre dans un Trois-étoiles au bord de la mer ! »
Là, il se passe un immense moment, où je vois le Césario, comme la mâchoire décrochée par mon uppercut psychlogique. Il me fait :
« - Mais tu est en train de m'humilier direct ! Je suis pas à tes ordres, ma petite ! Tu es en train de me foutre la honte devant mes parents ! Ils se demandent qui j'ai ramené en fait ! »
« - Je m'en fous : je veux ma chambre trois-étoiles en bord de mer avec mon P'tiet, où je me casse et tout est fini entre nous ! »
Je vois fasseyer mon Césario comme une voile, commes celles du port de Serzon, quand le vent forcissait. Ses lèvres tremblent un peu, à la manière de Charles quand je lui faisais une scène. Je vois bien qu'il va pour accepter...
« - En une seconde, tu t'es faite détester ici par tout le monde ! Quant à ta fameuse place à table, ne t'inquiètes pas qu'ils comptaient te la donner, et avec joie en plus, s'ils t'avaient bien sentis... On est hospitaliers, ici ! Ma mère vient de sortir de la chambre pour me dire qu'elle ne veux pas de toi ici, ni à la salle-à-manger, ni à la cuisine, ni à la porcherie - je la cite ! -, car selon elle tu as apporté ici une bestia maligna avec toi ! »
« - C'est quoi encore cette connerie ? »
« - Ouais... ma mère est hyper-supersticieuse : une bestia maligna, c'est le pire selon elle, c'est comme qui dirait une sorte de démon qui se colle à la personne, la bouffe de l'intérieur... C'est une connerie, je sais, elle dit ça en fait quand elle ne peut pas blairer quelqu'un... Après trois divorces, elle a peur que je fasse le mauvais choix encore une fois... »
« - Ah, putain, je savais que j'étais chez les dingues ! J'ai pas quitté les dégénérés de Vinneuf pour les retrouver en Corse ! »
« - Mais tu nous insultes, tu m'humilies devant ma famille en te comportant comme une reine... Et là, tu viens d'insulter ma famille... Ils ont raison, t'es une pauvre trainée... »
Il prend mes bagages Vuitton et les lance vers la cage d'escaliers. Mais les escaliers sont si raides, qu'il se mettent à tomber - de marche en marche. Malgré leur qualité, c'est certain, il va me les abîmer. Puis il me prend par le bras et me descend par la même chemin, poussant à coup de pieds mes bagages de plus en plus bas. Nous nous retrouvons ainsi sur le perron, sous lequel continuent une quinzaine de marches - qui rattrapent une route qui descend en sinuant. Il jette alors mes bagages tout en bas, tandis que je me précipite vers eux pour voir s'ils n'ont pas éclaté. Mais non, ouf ! En haut, j'entends la porte claquer et le verrou se refermer.
Je suis seule à présent, dans la nuit noire. Il n'y a pas un putain de chat dans les rues du village, non, même pas un chat gris, famélique... Je suis abandonnée, seule de chez seule... Seule ? Mais où est Arthur ? Nom de Dieu, où est Arthur ? Soudain, j'en suis sûre : il est resté dans la chambre de la dispute... Oh, le con ! Aussi, dois-je remonter et cogner contre leur foutue porte . Une glissière s'ouvre sur la tête de la vieille, qui me crie :
« - Chì vulete purtà a mala sorte ? »
Mais j'entends Césario arriver et dire :
« - Laisses Maman... »
Son visage apparait dans le guichet, que protège de petits barreaux :
« - Qu'est-ce que tu as encore à nous emmerder ? »
« - C'est mon P'tiet ! Je crois qu'il est resté là-haut, dans la chambre ! »
« - Nom de Dieu de nom de Dieu ! », et il ouvre la porte en grand, complètement affolé.
« - Ti pruibisce di purtà sta puttana quì ! », lance sa mère qui rapplique de toute la vitesse de ses jambes tordues et cagneuses pour me barrer le passage... Mais Césario lui crie tout en montant avec moi :
« - Hè scurdatu di Arthur senza a so stanza !! »
L'infâme vieille en reste coi. Elle lance quand même :
« - Hè orrore, ùn hè mancu una mamma, hè un dimòniu !! »
A la suite de Césario, j'entre dans la chambre. Arthur est là, blotti derrière l'armoire, la tête dans les genoux et les mains sur les oreilles, index rentrés dedans - son corps secoué de sanglots. Prenant l'enfant dans ses bras, Césario se tourne vers moi :
« - J'ai honte, bon Dieu que j'ai honte !! Je vous ramène tous les deux à Bonifacio, je vous laisserai dans un hôtel. Je te le paierai même, tiens... Mais vu tout ça, tu comprends que nous deux c'est terminé, et bien terminé ! Je te fais pas de dessin ! »
« - Mais que vais-je dire pour expliquer mon retour de Corse aussi vite ? »
« - Expliquer ? Mais enfin à qui ? »
« - A Louis, pour commencer, tiens ! S'il apprend que tu m'as éjecté illico, il va en mourir de rire ! »
« - Ah, nom de Dieu, la putain de préoccupation... Tu te soucie encore de l'opinion de Louis, mais je rêve, là ? Tu t'affoles pour tes bagages de luxe mais, par contre, Arthur, tu t'en fous absolument, jusqu'à l'oublier complètement derrière toi ! A croire qu'en fait t'as essayé de nous le refiler... Merde et remerde ! Poser cette question, et dans un moment pareil ! Avant de t'inquiéter de ce que penseras Louis, tu devrais commencer par t'inquiéter de ce que tout le monde pense de toi ici ! Nom de Dieu... »
Puis il réfléchit, comme s'il lui restait un vestige de bonté, et me fais, plus doux :
« - Tu n'auras qu'à dire que tu as dû revenir car tu as eu un dégât des eaux à Saint-Mandé... »
« - Ah oui, Bonne idée ! Merci Césario ! »
Manque de bol pour eux, au lycée j'avais pris italien en troisième langue. Avec l'allemand, cette option m'a permis de friser l'option bien ! J'ai donc tout compris.
Puis, tandis que nous roulons vers la plaine, mon fils m'entourant de ses deux bras, comme s'il craignait que je me transforme en brouillard, et reniflant encore, mon Goblieu me rappelle un fait essentiel ! Il y a huit mois j'ai, à la demande de la Dentiste-chef, dressé la liste des patients que Césario chourave au Centre dentaire. Je l'avais complètement oubliée, celle-ci... C'est drôle comment j'oublie les choses, et même mon enfant, quand cela m'arrange de les oublier... En effet, après que j'eus glissé la liste dans l'auto de ma Cheffe, il m'avait engagé comme salariée, pour près de deux journées par semaine - et, Louis écarté, redevenus amants, nous étions devenus un couple, presque à temps-plein... Mais je comprenais soudain pourquoi, à la fin de notre dispute, Césario s'était montré si gentil, me suggérant de mettre tout cela sur le compte d'un dégât des eaux... Sa patientèle s'étant habituée à moi, il craignait forcément que, si nous nous quittions, je quitte aussi son cabinet, le mettant dans la mouise. Et il devait aussi - et surtout - craindre que je ne dénonce ses petits agissements auprès, par exemple, du Conseil de l'Ordre - pour faire fermer son cabinet et le ruiner. Qu'il me connaissait bien, ce sagouin-là ! Il a raison car, après ce qu'il vient de me faire vivre, l'option d'un prêté-rendu s'impose comme une nécessité, avec « force de loi » - comme récite mon arnaqueur d'avocat.
Mon Goblieu me dit alors :
« - Va voir la Dentiste-chef, pour voir où en est ta dénonciation... N'est-ce pas un peu étrange que Césario n'ait pas encore été convoqué ? »
En effet ! Ce n'est guère professionnel de la part de notre cheftaine, cela...
En outre, je m'en souviens soudain, je m'étais renseignée : si le cabinet fermait, je percevrai quatre-vingt pour cents de mon salaire en chômage pendant les quinze prochains mois... A cette époque, personne encore n'était venu sauver les Riches, tel un Diable ricanant et se cachant sous les traits d'un angelot, surgissant d'une famille décomposée, sous l'emprise d'une admirable Diablesse, et ce afin de piller les poches les plus vides - mais celles-là seules. Alors, non, nul Anté-Christ n'était encore venu nous sauver, en disant aux Sans-dents que ce qu'il accomplissait était « christique » - et, cet Admirable, de réserver le crucifiement à tous les autres ! « Christique » : qui de mieux que le prédateur sait-il que cette expression n'est jamais pour lui ??? Mais, en ce temps historique, les riches se sauvaient eux-mêmes en se faisant passer pour des pauvres. Au chômage, s'ajoutaient votre prime de licenciement, vos congés-payés, vos indemnités-déjeuners, kilométriques, hectométriques... Par ailleurs, travailler cinq jours et demi par semaine n'est pas vraiment mon idéal, tu le sais P'tite Gueule. Il allait me falloir du temps, aussi, pour retrouver quelqu'un. Je sais déjà qui, d'ailleurs, et l'exécution de mon plan me prendra au minimum quinze mois...
Césario nous arrête enfin devant un Trois-étoiles, ainsi que je lui ai demandé. Il paie la chambre, change même à ses frais nos billets d'avions avec le réceptionniste, pour un départ demain. Livide, bourrelé d'inquiétude, il regarde une dernière fois mon P'tiet, qui s'est endormi dans mes bras. Ses bras brelottent comme s'il voulait me le reprendre, ou sauver je ne sais quel noyé. Puis ils retombent le long de son corps. Il me marmonne finalement un vague « Au revoir », remonte dans son auto et disparaît dans la nuit noire vers ses chères montagnes. Vite un Lexomil : le poids d'Arthur, qui dort dans mes bras, me jette soudain dans une panique folle...
« - Très bientôt, celui-là ne sera plus... », me dit alors mon Goblieu.
De qui parle-t-il ? De Césario ? D'Arthur ? J'ai mal entendu.
En tout cas, j'ai bien compris que ce que m'avait dit l'autre pépé, tout à l'heure :
« - C'est comme si son enfant était un poids mort pour elle. Elle s'en débarrasse sur Césario. Enlève Césario, elle le jettera par la fenêtre. Elle ne l'aime pas, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. »
Annotations
Versions