Chapitre 28 : Paulo, le gendarme de la Providence

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Soudain, la porte d'entrée claque. Il s'agit de Louis, de retour.
Réflexe, je raccroche. Je l'entends se diriger à grands pas vers ma porte, puis s'arrêter net devant. Il repart directement, mais pour la chambre d'Arthur. Les pleurs de ce dernier s'arrêtent aussitôt. Je l'entends lui lire son histoire, puis une deuxième, et c'est ensuite encore et toujours le même cirque : il éteint, le p'tiet appelle, il revient, le câline, l'autre rappelle, etc. Puis Arthur s'endort.
Louis allume ensuite la télévision. Je laisse passer une heure. Quand je m'apprête à rappeler Andrée, la porte de la chambre s'ouvre soudain. C'est mon soi-disant mari :
« - Sale petite pétasse, ordure de mes deux, Arthur était en train de pleurer et toi tu bavassais encore avec qui ? Avec ton connard de dentiste, comme l'aut' fois ?? Tu veux finir par le tuer de chagrin, ou quoi ? Je finis par me demander si tu ne le fais pas exprès ! »
Je me lève soudain pour lui faire front quand, d'un bond, il atterrit devant moi. Là, je comprends que je vais recevoir la volée de ma vie. Si je m'y attendais, à celle-là ! Oh l'horrible panique !

Puis là, il ne se passe rien ! Louis se rend compte qu'il a été trop loin. Il quitte ma chambre sans un mot. Quand je suis certaine qu'il a fermé la porte du salon, je rappelle aussitôt Andrée.

Et là, elle se met à avoir une voix, mais une voix ! Pire que tout à l'heure. Sa voix de gamine, quand on ne la comprenait qu'à moitié, ce qui faisait dire à mon père :
« - Avec son patois Lecornu, elle ne sera jamais comprise par personne, y compris le bétail ».
Andrée avait eu, en effet, tout un patois personnel. En effet, sa mémé était flamande, sa mère une ancienne réfugiée alsacienne arrivée en 1940 à Vinneuf et jamais repartie, son père un soiffard - mais ça, tu le sais déjà, P'tite Gueule. La p’tiete faisait même le désespoir de sa famille, pourtant très tolérante sur le compréhensible. Et tiens-toi-bien à présent, P’tite Gueule ! Sous le sceau du secret, jures-moi de ne le répéter à personne, de ne jamais te transformer en chuchotis, de ne jamais te laisser lire - sans quoi je t’écrabouillerai en bouillie toute sanglante !
« - Quand j’t’attendais, après que t'eus raccroché, de ben drôles d’idées me sont v’nues… Et j’ai compris ben des choses, oh ouais ben des choses… C’te famille de la LCR-L, j’ma la suis choisie du fait que j’as pas eu d'vraie d’famille, jamais de chez jamais ! A la fac, je me suisse dit, ben t’es grandiette, et assez pour te trouvailler une famille comme celsse du petit pionnier que j’lisais étant dans la bibliothèque de ton ancestreux de père. Oui-oui, le p’tiet pionnier qu’on remarque partout, comme Ricou la houppe, ou Mickey, avec partout-partout des camarades à lui, comme le camarade ministre si gentil, ou le camarade soldat qui tutoie le camarade ministre. Que des c’amrades partout, la grande fraternité… Et les vilains koulaks derrière qu’ont la terre, qui tirent à coups canardants sur le camarade ministre… »

La vache de la vache ! Elle va vraiment mal, là, elle se barre complètement en vrille.
« - Ah, alors j’ai pensé que si c’monde-là d’venait le nôtre, mon p’tiet perdrait sa terre, elle serait transformée en grande exploitation socialiste, laquelle m’aurait appartenue enfin ! Oh c’te belle revanche qu’aurait été la grande révolution prolétarienne !
Quand mon vieux et ma vieille y m’ont expulsée d'ma chambre au fin fond d’la grange pour la donner à mon p'tiet… Voici ce qu’y m’ont gueulé : ‘‘ Toi, l’Andrée, ramasses tes affaires et va-t-en-là-bas maintenant, t’est plus intéressante pour l’famille vu que là on a enfin un homme qui portera le nom des Lecornus ’’… Pourtant, ces salauds, y étaient toujours à me dire que j’ressemblais pas à une femme, mais à un burineur : ‘‘ Celle-là elle a les hanches trop étroites pour gaminer, si elle enfantait jamais même le bout de leurs têtes on verrait pas, son ventre sera leur tombeau ’’
Voilà c’qui disait mon salaud de père, mon salaud de père… Ah ben pourtant quand j’étais dans la chambre de mon p’tiet, avant qu’il naquit, il hésitait pas à venir me voir, à vouloir me connaître… Oui, oui, quand fin bourré il poussait la porte pour… faire la chose… tandis que ma mémé s’jetait devant lui. Mais jamais Maman ne s'est mise entre lui et moi, ça jamais ! Pourtant, c'est ma Maman !
En fait, j’ai pas eu de Maman, mais une fausse Maman, et pas de Papa comme les aut' ! Le mien, c’est un salaud de couillonneur ! Même qu’une foye il a fallu chercher le voisin pour le tirer de dessus mon lit et de dessus moi où il s’était vautré… Quel âge j’avais, Bon dieu de bon dieu, même pas les sept ans - en tout cas non pas les neufs ! Car c’était d’avant l’an où tu t’es amenée dans la classe des grands, quand qu’on est d’venu meilleures-amies-pour-la-vie… J’ai été fine heureuse quand il a cessé, rapport à mon allure, à partir du jour où il m’a dit que je serais ‘‘ jamais femme à devenir ’’.
Et vas-y que je te parle de mon allure, tous les jours, oui, tous les jours, de mon allure devant tout l’monde, de ma tête de burineur. Alors là, oui, ben heureuse pourtant de tant d’méchancetés, car j'étois si moche que désormais il me foutoit la paix, cette saloperie d’Alambic ! Ça a été la fin d’ma terreur d'être aussi moche ! »

Mes larmes ruissellent. C’est affreux à entendre, Nom de Dieu de Nom de Dieu : tout ça, je ne le savais pas ! Et Andrée d’hurler, en chevrotant...
« - Et moi comme une pauv’ conne, je rencontre mon mec en fac de psycho. Là, il m’apprend une fois, avec des mystères, qu’il est chef de cellule de la LCR-L, qui est comme il dit une famille recomposée, mais politique, et d’élite… Ah ben ça comme famille une cellule ça se pose là…
Et moi il me débouriche, le chef de cellule. Heureusement encore qu’il était pas bourré quand il m’arrangeait !! Jamais j’ai eu de plaisir avec lui. Ni avec aucun. L’enfoiré, il me disait ‘‘ trop étroite ’’, alors c’était lubrifiant et compagnie ! Je l’faisais rien que pour lui…
Tu comprends je me disais que l’problème c’était moi, ma putain d’enfance, l’éthylisme, la congénité… Bon Dieu d’bon Dieu, j’ai eu le Diable pour père et dès j’me suis dégagé d’lui en m’établissant au Mans, voilà que j’ai repris le Diable pour copain. Putain de chef de cellule de mes deux. J’ai jamais eu une seconde de bonheur de toute ma putain de vie !! »

Oui, P’tite Gueule, tandis qu’elle dit tout ça je pleure comme une Madeleine, en essayant d'étouffer le bruit de mes sanglots pour ne pas alerter Louis.
Je pleure exactement comme Arthur tout à l’heure ! Pauvre que je suis...
« - Pat’, Pat’, viens vite, j’ai trop d’angoisse, viens vite au Mans, j’ai trop d’angoisse… J’vais faire une TS… Euh, non, je vais faire une S, je le sens, c’est moins une !! »
« - Non, non ! Fais pas ça ! Oui-oui je viens, je s’rai là dans deux heures, trois heures max… »
« - Trois heures ! Non-non il faut tout de suite, ou que j’ai quelqu’un au téléphone pendant ce temps… »
« - Mais je peux pas être au téléphone et venir, avec le périph’ puis l’autoroute, même de nuit… Mon portable marche pas quand je roule... Y a pas assez de couverture. »
« - Non-non je veux que tu restes au téléphone pendant qu’on vienne ! Dis à Paulo de v’nir, pendant ce temps j’aurais quelqu’un au téléphone, sinon je vais m’exploser, me balancer par la f’nêtre ! »
« - Non, non… Pas la f’nêtre, pas la f’nêtre ! Fais pas ça, fais pas ça ! Attends juste que j’appelle Paulo, je te rappelle dans cinq minutes ! »
« - Pas plus, pas plus… »
« - Non, j’te jure ! »

Aussitôt j’appelle Paulo et je lui explique :
« - OK, j’y vais : elle un Bon dieu de chance que je sois pas de garde cette nuit. »
Aussitôt je rappelle Andrée. Ça sonne une fois, deux, trois fois…
Là je te jure, P'tite Gueule, j'ai beau être athée, je me suis mise à prier, que cela plaise ou non à mon Goblieu :
« - Mon Dieu, faites qu’elle se soit pas jetée par la fenêtre, faites que… »

Soudain, elle décroche :
« - J’étais au cabinet, j’ai les intestins qui serpentent en se retournant. Oh Nom de Dieu ça me fait mal jusque dans les ovaires ! »
« - T’en fais plus : Paulo vient, il est en route, vu qu’il est gendarme et agent-secret, il s'en bat les couilles des radars. Il sera là dans moins de deux heures ! »
Et deux heures ensuite que j’ai tenue ainsi l’Andrée, à l’empêcher de sortir par la fenêtre, juste par ma seule voix. Jusqu’à ce que j’entende Paulo reprendre le combiné, avec sa bonne grosse voix de sauveur :
« - C’est bon Pat’, je prends le relais. Je la ramène à Paris le temps que ça aille mieux. On va la pouponner cette petite, Rosalie et moi ! On la mettra dans la chambre des mômes. »
Voilà ce qui s’est passé P’tite gueule, cette nuit-là.

Après, j’ai appelé ça « la nuit de la cellule ».
Et pour mon fils : qu'il chiale m'apaise. Je lui en veux, énormément, de la préférence qu'il manifeste pour son père. Il me trahit, conscienscieusement, jour après jour.

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