Chapitre 42 : Patricia embauchée par Heinrich
Désolé, P'tite Gueule : je t'ai laissé début avril et ne te reprends qu'en septembre.
Il s'est passé beaucoup de choses.
Une semaine après qu'Andrée nous ait fait ses terrible révélations, arriva le mercredi matin dix mai. Oui, le jour où je devais prendre seule Arthur à l'école, puis le jeter par la fenêtre dès qu'il hurlerait - seule désormais, abandonnée de tous.
La sortie de la Maternelle était pour douze heures.
Mais rien ne se déroula comme prévu. D'abord, ma femme de ménage arriva. Je m'étonnais - mais sans rien dire. Puis, finalement, je lui demandais si elle avait encaissé mon chèque. Elle l'avait porté en banque le vendredi mais, avec le pont des huit et neuf mai, elle n'avait pas encore été créditée. Le passage d'Arthur par la fenêtre était donc fortement compromis - en tout cas en ce début de journée. A onze heures, la nourrice arriva, laissa son sac chez moi et partit attendre Arthur à la Maternelle. Même chose, elle avait porté son chèque le vendredi, mais il n'avait pas encore été crédité.
Le huit mai ? Le neuf mai ? A quoi cela correspondait-il, d'ailleurs ? Mes parents avaient beau me l'avoir répété, cela avait toujours été comme si mon esprit effaçait ces deux dates, en mode automatique. Quand j'interroge ma femme de ménage, elle me lâche :
- Vous ne savez pas ? Le huit, c'est la capitulation des Nazis, en 45. J'avais six ans, je m'en souviens... Avec nos voisins, les Diot (pourquoi précise-t-elle cela, cette conne), on est allé regardé le feu d'artifice de la Tour Eiffel, place de du Trocadéro. Mais, quand nous avons voulu rentrer là où nous habitions, rue Crozatier, il n'y avait plus de métros. Nous sommes revenus à pieds, tandis que Papa portait ma petite soeur sur ses épaules... On était heureux ! Et le neuf c'est l'Ascension de notre Seigneur Jésus-Christ... », finit-elle en se signant...
Bon Dieu d'bon Dieu : c'est la capitulation des Allemands qui a sauvé mon p'tiet. A laquelle s'était associé Jésus-Christ : celui-là, mon Goblieu ne pouvait pas le sentir !
On n'en sortira donc jamais, de cette défaite ! Et de Jésus, pas plus !
Comme s'il m'avait entendue, à seize heures, Heinrich me téléphona :
« - Andrée vient de m'appeler », me dit-il, « j'ai appris que tu avais de grosses difficultés financières. Et je sais combien il est difficile d’être seule à élever un tout petit garçon de trois ans et demi. Elle m'a dit - et Paulo me l'a confirmé - que tu avais repris la main, que tu t'en occupais parfaitement... »
J'ai reconnu là mes meilleurs-amis-pour-la-vie ! Je te l'ai déjà dit une fois, mais je te le répète, P'tite Gueule, Heinrich, tout comme Paulo, ne sont pas mes confidents absolus... je n'avais même jamais parlé à Andrée de mes angoisses de jeune Maman isolée. Quant au verdict dégueulasse du Tribunal, je n'en avais parlé qu'à Andrée - et savais qu'elle n'en parlerait à personne (y compris à elle-même, si cela fût concevable). Aussi, Heinrich et Paulo pensaient-ils que j'avais gagné mon procès sur toute la ligne, que Louis n'avait plus Arthur que deux week-ends par mois - plus la moitié des vacances.
Bref, ils pensaient que je l'avais balayé complètement de mon champ d'existence, le reléguant à Charentonneau - alors même qu'il faisait désormais déjeuner Arthur deux fois par semaines, quand il ne l'avait pas. Voire même trois fois. Mais dans des endroits improbables, inadaptés : des parcs, la lisière du bois de Vincennes... Une fois, en un lieu qu'il dut fuir précipitamment : en effet, les homosexuels venaient y draguer - consommant directement dans les taillis. D'autres fois, quand il pleuvait, dans des brasseries bruyantes. Jamais chez lui - sa ruine n'étant toujours pas retapée...
Ensuite, il me dit qu'il appréciait énormément « tant te concernant, que concernant Andrée ou Paulo, notre fidélité, notre capacité de faire silence et à nous y tenir ».
Pourquoi, soudain, à brûle pourpoint, me parler de Paulo et d'Andrée ? Cela avait-il un rapport avec la mémé de cette dernière ? Je n'avais plus suivie l'affaire... Car, je m'en foutais désormais totalement, mais comme de tout... Ce mercredi, P'tite Gueule, mon niveau de désespoir était total. Mon visage était de marbre mais, derrière, tout avait été emporté au loin. Pour me calmer, et afin de ne pas trembler, j'avais encore dû prendre un Lexo. Je savais que je serais incapable d'aller travailler la semaine prochaine - et toutes les semaines qui suivraient. Je savais que tout était foutu pour moi, qu'il n'y avait plus rien à faire : tout était sur le point de se briser, j'étais brisée, ruinée, ma réputation foudroyée à jamais. Personne ne le savait, mais dans six heures heures je serais seule, ici, avec le Petit. La panique reviendrait, encore plus forte que maintenant, et je ne pourrai pas la gérer... Arthur allait m'être enlevé... autant, alors, que ce soit par la mort - et Louis aussi, serait fini, en tant que père. Le rendre à cet enfoiré, ça jamais ! Si je ne pouvais plus avoir mon p'tiet, personne ne l'aurait plus.
Ignorant mon état mental, Heinrich continua :
« - Ça te dirait une dizaine de milliers de Francs par mois ? »
« - Tu connais quelqu’un qui cherche une remplaçante ? »
« - Non, c’est en liquide. Mais c’est du fixe : on peut commencer dès ce mois, si tu veux… »
Je ne demandai même pas de quoi il s'agissait.
Je m'en foutais bien. J'étais prête à tout, à tout faire. Mon Goblieu, alerté, me souffla que, surtout, je ne devais pas chercher à en savoir davantage.
« - D'accord... mais si tu pouvais m'en donner la moitié dès aujourd'hui, j'ai un trou. »
Juste un peu avant dix-sept heures, l'un de ses assistants parlementaires me donna une enveloppe devant le siège de ma banque, boulevard Haussmann - au début du millénaire, les enveloppes de billets, etc., tout cela pouvait encore passer, disons relativement bien - quoique j'avais eu ouïe dire que l'oncle député-maire de Charles avait été inquiété, dans une affaire de purin. Je portais aussitôt la somme à ma banquière, qui compta les billets et crédita mon compte.
Ainsi, ma femme de ménage et ma nourrice perçurent leurs salaires comme d'habitude, et rien ne fut changé dans ma vie : Louis continua ses navettes du midi pour nourrir Arthur, mon système femme de ménage-nourrice subsista - et je restais la Patricia que j'étais. Mes crises de panique étaient apparemment rentrées dans un coin de moi-même - je ne sais où. Je les contenais aisément avec, parfois, juste un demi Lexomil.
Depuis cinq mois que dure ce système, j’ai gagné beaucoup. Au black.
Ce travail ne me prend que deux week-ends par mois, du vendredi soir au dimanche après-midi. Je t’explique ? Deux fois deux nuits par mois un adulte vient chez moi avec un enfant : des fois, c’est le papa, d’autres fois la maman, et encore d’autres fois un proche de la famille. Ce sont les « accompagnants ».
Les enfants, quant à eux, sont les « invités ». Ils ne sont jamais les mêmes - ou rarement. Ils arrivent tous deux vers dix neuf heures, tous les deuxièmes et quatrième vendredis du mois - quand Arthur est chez son père. L'organisation est réglée comme un métronome : deux week-ends par mois, je suis ce qu'Heinrich appelle une « accueillante ».
Les accompagnants garent leur auto dans mon parking. Ils ont toutes mes clés : parking, hall, appartement. Et le code d’entrée, bien sûr. Heinrich m’a dit que c’était sûr, que je n’avais rien à craindre que des étrangers aient mes clés - même avec un tout-petit à la maison. Il me l’a « garanti ». Je fais la cuisine des invités moi-même. Les enfants ont entre deux-trois ans et douze ans : filles ou garçons. Les tous-petits dorment dans le lit d’Arthur. Pour les plus grands, Heinrich m’a acheté un joli lit pour ados. Le papa, la maman ou le proche - souvent, un oncle ou une tante - dorment à côté, dans le salon, sur le grand canapé-lit de cuir mauve - magnifique - qu'Heinrich m'a acheté.
Je leur prépare un oreiller et une couette propres. Tout ce trousseau a aussi été acheté par Heinrich - je n'aurais pas de toute façon eu l'argent pour cela, mais il m'expliqua que tout cela « contribuait à un univers global, une théâtralisation ». Que voulait-il dire avec ces grands mots, à la Louis ? D'instint, je compris que l'on attendait aussi de moi que je ne pose pas de question... Il y a donc des tas de pyjamas de tailles différentes, rose ou bleu, indéfroissables, de luxe. C’est à moi de faire leurs lits puis, après, une double machine pour les draps - avec une certaine lessive, que l’on me fournit aussi. Tout doit être nickel, tant avant leur arrivée qu'après leur départ. Fort heureusement, comme ce sont des housses de couettes, je n’ai guère de draps à plier. Je le fais au sol, très soigneusement, sur le tapis persan. Cadeau aussi. Il y a un rangement pour tout cela, sous le canapé du salon, qui se soulève tout seul - avec une sorte de soupir de lassitude.
Le samedi soir « l’accompagnant » part avec son enfant en auto pour Paris, disons vers vingt heures. Ils reviennent tous deux vers six heures du matin. Comme ils ont les clés, ils ne me réveillent pas. Ils dorment jusqu’à midi-treize heures. Je leur fais à déjeuner. Ils repartent chez eux vers quinze-seize heures. Nous fonctionnons ainsi tout le printemps, et presque jusqu'à l’automne.
Arrive donc le deuxième week-end de septembre.
A l'heure habituelle, j’entends ma porte s’ouvrir. Surprise ! Ce n’est ni un accompagnant ni mon invité, mais c’est Heinrich ! Il m'amène un magnifique cadeau. Ah, quel regret que les gays ne soient pas hétéros ! Car ils savent parler aux coeurs des femmes, eux ! J’éclate de joie : c’est la même robe en vichy que portait Brigitte Bardot - dans je sais plus quel film. Plus deux petits mocassins bleus-azur. Dans une boîte, il y a un collier (en or !), des boucles d’oreille avec plusieurs petits diamants (d’un carat, pas plus). Tiens, il y a une autre boîte ? Dedans il y a des sous-vêtements, semblant des nuages à porter sur soi.
Je demande :
« - A partir de maintenant, il faudra que je couche ? »
« - Essaies-les », me dit Heinrich. « Il faut vérifier que c’est ta taille. »
Je ne me le fais pas dire. Je me regarde dans la glace : je suis magnifique, de dos, de face et de profil. Ce qu’il m’a caché, c’est que tout a été fait à mes mesures - comment les a-t-il-eu ? Ah oui, par Andrée. Jamais je n’ai senti une étoffe pareille sur ma peau : elle ne la frotte pas, elle la caresse tout en semblant retenir son geste. Même si Heinrich ne s’intéresse pas à moi, quand je reviens m’asseoir sur le fauteuil devant le canapé, où il s’est installé à l’aise, je suis un peu essoufflée et rosissante.
« - Tu me ferais regretter de ne pas être hétéro… Tu as eu raison de te faire couper les cheveux. Avec tes boucles blondes, tu ressembles de nouveau à un petit page. »
Je redemande :
« - Bon, avec qui il faut que je couche à présent ? »
« - D’abord, ceci représente ta récompense d’accueillante, pour un service parfait. Tout le monde ne me dit que du bien de toi… »
« - Ah ? Qui ça ‘‘ tout le monde ’’? »
Il continue :
« - Hélas, pour les dix-mille par mois, c’est fini… Je suis désolé ! »
Le ciel s’effondre sur moi, tu penses P’tite Gueule. En outre, avec cette somme qui m'arrivait régulièrement, la moitié au début du mois, l'autre à la fin, déposée dans ma boîte aux lettres, je n’ai pas cherché de travail. Tu penses bien ! Évidemment, je n’ai rien de côté. Après m'avoir laissé un peu mijoter, Heinrich reprend :
« - Ne t'inquiètes pas, Patricia, ce n’est pas du tout ça. Nous avons changé notre organisation : de simple accueillante tu deviendrais accompagnatrice. Si tu le souhaites. Désormais, on t’apportera les invités et tu les prendras avec toi du vendredi soir dix-neuf heures au dimanche après-midi seize, où on viendra te les reprendre. Le samedi soir tu les apportera à une adresse dans Paris – pas d’affolement, ce n’est pas à Pigalle – et tu retourneras les prendre à neuf heures : et tu recevras le double, vingt-mille. »
Je manque tomber à la renverse : vingt-mille !
« - Par contre, une chose importante : pour que les invités ne soient pas désorientés, ce serait bien qu’ils retrouvent un autre enfant. J’ai pensé que tu pourrais prendre Arthur les week-ends où ils viennent, au lieu de le laisser à Louis et à ses grands-parents. Ils joueraient ensemble. »
« - Mais si ce sont des ados ? Arthur est trop grand pour coucher dans son lit de bébé… »
« - C’est pourquoi je vais t’apporter un lit à étage au lieu du lit simple pour les ados : comme je le connais - d’après ce que tu m’en as dit -, Arthur sera ravi de prendre le haut. Pas d’inquiétude, c’est parfaitement sécurisé. L’invité prendra le bas. Si l’invité a son âge, tu pourras les mettre à jouer ensemble. Avec le lit, je t’apporterai aussi des jouets et des livres illustrés, des BD, des cassettes [vue l’époque], etc. Il faut vraiment que tes invités se sentent comme à la maison. »
« - Mais le samedi-soir, quand je les amènerais à, euh, l’endroit… »
« - À la réception ? »
« - Ah oui, c’est ça, à la réception… Il faudra quelqu’un pour garder Arthur… Je peux peut-être demander à Louis ? Ou à ma nounou ? »
« - … euh, non : tu mettras Arthur dans son siège auto. L’invité sera assis à côté de lui, mais dans le cas où c’est un tout petit je t’achèterai aussi un deuxième siège de bébé. »
« - Ah, d’accord… mais arrivée à la réception, je fais quoi ? »
« - Tu entreras dans la cour (le concierge ouvrira la porte), puis ‘‘ l’hôtesse ’’ du lieu viendra chercher l’invité. Un groom ouvrira la portière arrière et elle le prendra par la main pour l’emmener. »
« - Mais après ? »
« - Après tu rentreras aussitôt chez toi et vous vous représenterez le lendemain à neuf heures à la même adresse. Là, vous ramènerez l’invité chez toi. De là, à seize heures quelqu’un viendra te le reprendre. Et voilà. »
« - Ah d’accord. »
« - Comme on est à l'automne, si tu as froid, tu pourras rajouter ceci sur ta robe... »
Il sort de sa valise une autre boîte toute longue avec un gros nœud : je l’ouvre. C’est un manteau mi-long, couleur nacre à gros boutons bleu foncé, avec un col échancré qu’on peut remonter (apparaissent alors deux autres boutons, sous le dessous du col). Je n’ai jamais rien vu d’aussi joli. Comme dit ce connard de Louis, « C’est une œuvre ». Il y a aussi une écharpe, de même style. Me doigts tripotent seuls les étoffes. Ils ont jamais sentis rien de tel, pardi. J’en suis complètement retournée. J’ai le cœur qui bat : cette situation m’affole autant qu’elle me rassure et m’excite. Heinrich dit :
« - Pour l’hiver, il y a une autre tenue. Que tu pourras garder aussi... Evidemment, je règle les frais annexes, type essence. Un forfait de deux mille Francs est compris, ce qui te feras au total vingt-deux mille Francs par mois. On m’a dit que tu cuisinais très bien… Continue ainsi et ne change rien, surtout. Si cela marche bien, nous avons beaucoup de projets pour toi... »
Puis il s'assombrit soudain :
« - Pour un homosexuel, c'est difficile de se dire qu'il n'aura jamais d'enfants... Quand je suis arrivé à Vinneuf, j'ai assez vite identifié que vous étiez très doués, Francis, Andrée et toi... C'était Francis qui voulait faire allemand, par défi de complexité - en fait... Quand Andrée et toi l'avaient suivi, ton père était très embêté : il voulait que tu fasses espagnol. Il est venu me trouver pour que je vous donne des cours... J'aurais fort bien pu ne pas me faire payer, je gagnais déjà bien... Cela eût paru curieux... J'ai donc accepté, et je me suis mis à vous considérer, peu à peu, comme mes enfants... Et, pour Andrée, comme un défi.
Vous avez, l'une et l'autre, une frustration sociale considérable, une colère permanente, un complexe d'infériorité pathologique, une absence totale de scrupules, aucune empathie : comme motivations, tous ces sentiments forment, combinés avec le goût de l'argent, un potentiel explosif considérable - qu'il convient de bien orienter.
Chez nous, tu trouveras une vraie famille.
J'ai poussé Andrée vers la politique, notamment vers la LCL - car je sais qu'ils font suivre à leurs militants un corpus théorique très solide... Elle a ensuite dérivée vers la LCL-R... Je savais que cela finirait mal... Nous en parlions parfois avec Jean-Paul, qui les suivait de loin - comme gendarme... Je m'attendais donc à qu'ils l'éjectent - son copain étant notoirement infidèle -, car j'ambitionnais de la prendre comme attachée parlementaire, pour remplacer le collègue de Gus - qui n'arrête pas de se tromper... Avant de passer guide touristique, elle avait été une bonne assistante de direction, par ailleurs... Elle avait su apprendre la comptabilité en partie double, et ce en partant de rien, tenir le Grand Livre avec précision...
Elle avait aussi, et beaucoup - comme toi - le goût de l'argent : franchement, elle était anti-communiste, pas en théorie mais en pratique... Il a fallu un événement pour que ses camarades s'en aperçoivent...
Moi, ce que j'en retenais, c'est qu'elle excellait dans le double-jeu - comme toi.
Vous êtes des sortes de génie, mais encore en bouteille...
Justement, à ce propos, en 62, c'est moi qui avait fichu par terre leur casier à bouteilles, quand je l'ai découvert dans leur trou-grangier - après en avoir pris une quinzaine, que je me réservais initialement mais que, l'attachement venant, j'ai finalement donné à Andrée... Je suis tombé de haut quand j'ai su qui leur en restait autant - avec les Demeurés, nous nous demandions comment ils parvenaient à régler leurs échéances au Crédit Agricole. Trois millions, tout de même... J'étais dans le Comité directeur du Crédit Agricole quand ce prêt, assez atypique, a été accordé - après qu'un autre, plus faible, leur ait été refusé.
De là à imaginer qu'ils possédaient un bistrot aux Halles, des parts dans une exploitation vinicole... De là à imaginer que la grand-mère allait vendre presque tout le reste de ses bouteilles d'un coup... C'est certain, quelqu'un attendait cela... On ne prend pas trois millions à une mafia sans devoir payer un jour et, si on le fait, on se ballade pas à un âge avancé avec un million en liquide... Les commanditaires peuvent avoir aussi voulu montrer à ceux tentés par cet exemple, qu'ils n'oubliaient jamais : c'est irrésistible...
C'était une situation et un risque inimaginables qu'a pris la grand-mère d'Andrée. Andrée aurait gâché les bouteilles avec de la Javel, comme je l'ai encouragé à faire, cela ne se serait jamais passé ! Sa grand-mère a surpris chacun ! Car, sinon, J'aurais pu anticiper les évenements... Voire la faire protéger de loin... Car ce qui est arrivé était éventuellement rattachable à moi... On m'a fait une sorte de croche-pied...
Je m'en veux beaucoup, beaucoup... Mais que pouvais-je faire ?
Ah, et si Andrée n'avait pas eu ces ratés, avec ces histoires de bouteilles... Elle n'y est clairement pour rien, car sa famille la tire vers le fond. Mais je crois qu'elle a aussi la poisse, et je suis un peu superstitieux - je dois te l'avouer. Elle a causé une forme de ratage, complètement inattendu, qui a fait qu'elle est devenue inrecrutable par nous... Car nos décisions de recrutement sont collégiales... mais l'échec de l'un des membres du Collège est, lui, complètement, personnalisé...
Quand on forme quelqu'un, quand on embauche quelqu'un, c'est clairement autant une dépense qu'un investissement. Ne me déçois surtout pas. Une, c'est pardonnable ; pas deux. »
Puis il partit soudain, sans même me regarder - ou me saluer. En chef incontestable.
Ah, P'tite Gueule, j'ai oublié de te le dire : concernant l'affaire de la mémé d'Andrée, une semaine après le retour de cette dernière au Mans, Paulo m'avait dit qu'elle était désormais en sécurité - et n'avait d'ailleurs jamais été en danger. Ma meilleure-amie-pour-la-vie me l'avait ensuite confirmé. Comme les faits résultaient d'une opération de blanchiment, nul n'avait porté aucune plainte. Quelques mois plus tard, ma meilleure-amie-pour-la-vie me précisa, qu'avec les frais de succession, ils avaient dû vendre leur bistrot des Halles - à un fonds d'investissement monégasque.
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