Chapitre 44 : Patricia au Château
Depuis octobre, Arthur saute de joie à l’idée de passer ses week-ends chez moi : à chaque fois, j’ai un (ou une) invité(e) de ses âges. En outre, une décoratrice appointée par Heinrich est venue me « redesigner » l'appart, posant, entre autres, des coffres à joujoux partout. Je ne résiste pas au plaisir de faire visiter à Louis - ce que je vais vite regretter. Je lui montre les plats que j’ai cuisiné et mis au congelo.
« - Tu as trouvé la grâce ou quoi ? », dit-il. « Tu n’imagines pas l’épreuve pour mes parents et moi d'avoir du t’amener Arthur de force... Mais le pis a été quand le gamin de ton assistante a touché le zizi d’Arthur, dans le bain ! À sept ans… jamais, dans ma famille, aucun d’entre nous n’aurait eu l’idée de faire ça ! Sale petit pervers ! Tu te souviens du pédophile du village, celui qui nous mattait sans cesse ? »
« - Non ? Qui ? »
« - Je connais pas son nom : on l'appelait le Boche, à cause de son accent... »
Nom de Dieu ! Mais il me parle d'Heinrich, là ! Il est gay, mais pas pédophile...
Mais quelle chose y-a-t-il en Louis pour qu'il songe soudain à Heinrich, et à ce moment ? En trois ans de vie commune, il ne m'en avait jamais parlé...
L'association d'idées, putain de bordel de Dieu, qui le mène droit là où il ne faut surtout pas aller ! Je détourne la tête pour cacher ma stupéfaction, mon affolement. Je sens, soudain, la haine de mon Goblieu pour mon ex-mari. Tandis que le mienne revient au galop... Ce type est démoniaque !
Mais, sans plus s'émouvoir, il regarde tout autour de lui, palpe avec les doigts par ci et par là, en m'observant par petites touches :
« - Tu as du style. Ça a fini par t’imprégner, peut-être, ces visites de musées… »
Il regarde encore et dit :
« - C’est moderno-abstrait-néo-classique, tout de luxe. Bonne idée d’avoir fait varier les couleurs par pièce : beige sombre au séjour pour mettre en valeur les peintures… Pas mal sont rehaussées à la feuille d’or… quand même ! T’as un faux plafond avec des spots bien dirigés ! Ce doit marcher du tonnerre de Dieu au Dispensaire ? Tu as récupéré le fauteuil de ce cher Césario ? Maman m'a dit qu'il était à présent dentiste-conseil à la Sécurité Sociale et qu'il ne le regrette pas. J'ai réalisé que les imbéciles étaient des sortes de Culbutos : tu les mets à l'envers, ils retombent toujours sur leur cul... J'essaie de faire pareil... »
Je réponds je ne sais plus quoi.
Tandis qu'il suppute le coût de mes biens mobiliers, je vois qu'il doute de plus en plus. Il ne m'a pas parlé de Césario par hasard... Par l'ancienne assistante de sa mère, Odette, il doit savoir que je n'ai presque plus de vacations au Dispensaire... Ce chameau est plus renseigné sur moi que moi sur lui.
Il se dit : « Faut vérifier d'où vient l'argent.... Ca sent le mec riche, faudrait pas qu'elle déménage et emmène Arthur... »
Mais pourquoi l'ai-je fait visiter ? Ah, la satanée image que je veux sans cesser donner... Je repense à l'avertissement du sale clodo de Serzon. Louis pénètre à présent dans la partie séjour où est la chambre d’Arthur, après avoir ouvert, sans même en demander la permission, les deux battants de la porte :
« - Tu lui as remis le bleu que je lui avais fait pour sa chambre… Je me suis toujours demandé pourquoi l'avoir fait coucher sur l'avenue, et toi dans la chambre derrière : sans doute le bruit des autos te dérangeait-il... »
Mais quelle misère d'être sans cesse devinée par celui-là !!
Très étonné, il examine les deux lits superposés avec, à côté, le lit en bois blanc blanc de bébé d’Arthur - avec ses barreaux.
« - Trois couchages, dont deux superposés ? Tiens, pourquoi ? Tu as ouvert une colonie de vacances ? Et pourquoi lui avoir conservé son lit de bébé, il est trop petit , désormais... »
« - J’ai gardé son lit de bébé, il y est attaché… Si j’ai mis un deuxième lit c’est pour ses amis… »
« - Oui, je sais, il nous a dit que tu recevais plein d’enfants chez toi… C'est une bonne idée, c'est très positif pour lui... Ce sont des amis de l'école ? »
J'improvise :
« - Oui, parfois, mais surtout ce sont les enfants de mes amis de Bretagne, je leur ai ouvert ma porte au plus large. Lorsqu'ils viennent à Paris, ils résident ici... Tu ne voudrais certainement pas que je déménage en Bretagne pour les voir plus souvent... » (Zut de chez zut, je n'aurais pas du dire « parfois » : il va forcément demander à Arthur si, des fois, j'héberge ses amis de l'école... Avec lui, comme il dit, il suffit d'un minuscule « hiatus » pour faire « tomber » toute la vérité derrière. Quelle plaie !)
« - Comme ton Jeannot est reparti, je suis en effet plus tranquille de ce côté là.... J'espère juste qu'il n'est pas vélléitaire... Tu trouveras certainement plus facilement quelqu'un avec autant d'argent à Saint-Mandé, ici même... Inscrit-toi au Rotary Club, par exemple... Ou va consulter la liste des gens qui paient l'impôt sur les grandes fortunes aux Impôts... Dès lors que tu résides dans la même ciconscription fiscale, tu y as droit. »
Mais il commence à m'emmerder, celui-là. Enfin, c'est bon à savoir : je l'ignorais.
Tout content de son petit effet, il retourne attendre Arthur dans le vestibule l’entrée.
Le Petit ressort des toilettes.
Mais là… Arthur veut rester ! Louis fait :
« - Pas de problème, c'est comme il le souhaite. »
Et moi (avec un grand luxe d’ironie) :
« - Non, Arthur, tu dois aller avec Papa chez tes grands-parents : c’est la règle. On finit la fin de la semaine comme d'habitude... »
Et hop, il embarque mon gamin.
Débarrassée : j’ai prévu d’aller faire un tour aux Halles, demain après-midi.
Je prends quand même un demi-Lexomil, dans un bon verre d'eau : j'ai vraiment eu l'impression d'avoir senti le vent du boulet.
Le vendredi, quand je vais chercher mon Petit à seize heures trente à la Maternelle, il sait qu’à dix-neuf heures son nouvel ami ou sa nouvelle amie doit arriver - c’est ça qui l’a aidé à comprendre, pour les jours de la semaine... ce n'était pas trop tôt ! Deuxième vendredi du mois, c'est un garçon ; quatrième, une fille. C’est réglé comme du papier à musique. Un gros gars costaud me les amène. Ils sont timides et méfiants au début puis, voyant Arthur et les joujoux, ils s'apaisent. Après, on se retrouvent tous les trois à table, eux sur une chaise à partir de quatre ans, ou sur la chaise de bébé d’Arthur pour les deux-trois ans - ils n'ont jamais moins. Ensuite, Arthur fait jouer les petits. Quant aux autres, les sept-dix ans, soit ils jouent avec lui, soit ils s’occupent de lui. Les dix-douze ans sont intéressés par les BD et les vidéos : certains font parfois la lecture à Arthur. Le lendemain, nous allons nous balader tous trois ensembles au Bois : nous faisons les poneys, les barques sur le Lac, l’Aquarium de la Porte Daumesnil, le Zoo de Vincennes. Ou les Floralies - là où Césario m’a galoché pour la première fois, tandis qu’Arthur était dans sa poussette. Et, inévitablement, le Mac Donald.
« - Maman, pourquoi c’est jamais les mêmes qui reviennent ? », me demande une fois Arthur.
Comme je n'en sais rien, je ne sais que répondre.
« - La variété, c’est mieux »
« - C’est quoi la ‘‘ variété ’’ ? »
« - Tu poses trop de questions et, de toute façon, les réponses sont jamais intéressantes ! »
Mépris, pour qu’il y revienne plus.
Le samedi soir, on dîne tous les trois ensembles et, après, c’est les bains : d’abord Arthur, ensuite l’invité ou l’invitée. On m’a donné tout ce qu’il faut pour le lavage (grand luxe). Enfin, je me baigne. Les enfants s’habillent, seuls ou, sinon, je les aide : les garçons, avec de petits costumes bleu nuit (et une cravate), les filles avec des robes roses - plus un nœud dans les cheveux. Moi, j’ai mes tenues. C’est donc en parfaite famille chic parisienne que nous descendons ensuite au garage sous l’immeuble. Les petits, je les mets dans un siège-bébé à côté d’Arthur. Les plus grands ont la ceinture. Pour être sûr qu’il ne leur arrive rien sur le trajet. En général, ils ne savent pas où nous allons : cela est normal, il s'agit de la « surprise ». Deux ou trois fois, certains m’ont dit « vouloir rester » ; une, même, ne pas vouloir « y aller ». Presque à en pleurer. Ça m’agace toujours : cela me rappelle quand Arthur ne voulait pas venir chez moi. La moutarde me monte au nez :
« - Ce n’est pas dans les règles », dis-je sévèrement, « ‘‘ les règles ont été pensées pour les enfants car les enfants ne sont pas sages et, spécialement, les enfants qui ne veulent pas aller aux fêtes que l'on organise pour eux ! ’’ ». Cette phrase m’a été apprise par Heinrich.
Elle les fait toujours taire.
Nous prenons le Périphérique Nord et sortons Porte Dauphine, dans le le Seizième arrondissement - le plus chic. Je ne peux pas donner l’adresse, même à toi P’tite Gueule. Mais imagines d'abord une longue étroite rue d’immeubles chics, sans un arbre, qui descend vers la Seine. Arrivé à la moitié - elle est à sens unique -, à droite se trouve un portail noir en fer. L'on m'a donné un badge, sur lequel j'appuie pour ouvrir. J’ai aussi changé de voiture : j'ai une BMW, hyper-classe, dont les vitres sont teintées. « D’une personne, des vitres teintées font une personnalité », m’a fait remarquer Heinrich. Et cela est parfaitement vrai. Le jour, quand je roule, je baisse souvent la vitre-conducteur : on me matte, mais on me matte !! Le mieux, ce sont les jaloux, ils se renfrognent, me dépassent en me serrant, des fois m’obligent presque à piler quand ils se remettent devant moi. C’est le grand trip absolu, cette bagnole : niveau ++ par rapport à la BM de Louis.
Ah oui… Donc, P’tite Gueule, imagines la porte qui s’ouvre. Te connaissant, tu te dirais : Pat’ est arrivée. Que nenni. Tu es juste sous le porche d'un immeuble que tu traverses. Derrière, il y a encore une rue, mais privée ! Toute bordée d’arbres tortueux, immenses… Les façades sont éclairées et ce ne sont que villas et petits châteaux. Là où nous allons, c’est tout au bout. Encore une grille noire : alors, tu prends un deuxième badge et tu fais « clic ». Tu entres mais… tu dois attendre que la grille se soit bien refermée. C’est alors que la grille de devant, avec ses barreaux dorés - avec, entre, des panneaux-miroirs -, est ouverte par le « concierge ». On passe devant sa maison, la « Conciergerie » - cela est gravé au-dessus de la porte. On passe un pont, qui franchit une rivière qui fait un petit circuit, puis un deuxième pont. Celui-ci ressemble à ceux de Venise. Quant au premier, on dirait le vieux pont de Villeneuve - celui sur le petit cours d’eau, qui tombe en cascade dans la Faulx-Sarthe. D’ailleurs, devant le Château, il y a une cascade-fontaine. La même que celle d'un film italien, je sais plus lequel - mais en réduction. Le Château, quant à lui, s’appuie sur une sorte de falaise, formée par les façades arrières des immeubles de l’autre rue. Dans le parc, ce ne sont que de vieux arbres, de tous les genres, éclairés en bleu et vert. Du dehors, personne ne peut voir ce qui se passe dans ce jardin, tant les murs qui le protègent sont élevés. Quant au Château, il ne ressemble guère à ceux de mon enfance. Ses colonnes sont en fer, tout n'est que larges fenêtres, balcons tordus, sculptures. L’escalier qui y monte, en pierre blanche, est double, dans une sorte de tournoiement : ainsi, ceux qui montent ne peuvent jamais croiser ceux qui redescendent. Sur chaque marche, des deux côtés, des torches brûlent.
Tout cela pour des mômes de rien du tout ! Leur chance, à ceux-là.
Les voitures des accompagnatrices s’arrêtent tour à tour devant l’escalier. Oui, P’tite Gueule, ma BM n’est pas seule… disons qu’il y en a toujours une petite dizaine d'autos - une douzaine étant le maximum. Un « groom » en rouge, avec de gros boutons dorés, ouvre la portière arrière-droite. La « Châtelaine » prend l’invité par la main, le sort et le fait descendre. Mais qu’elle est belle cette femme ! Imagines une statue genre parc de Versailles, une déesse, quoi, au look mannequin total… Elle est habillée d'un pantalon bleu sombre, avec un justaucorps rouge serré par une large ceinture noire. Son immense chevelure rousse est retenue par un bandeau doré. Après qu'elle eût sorti l’invité, elle le passe illico à une autre femme, qui ressemble… à une publicité pour les confitures Grand-Mère : c’est la « Nurse » des invités. Elle les emmène le long de l’escalier. Pour ma part, c’est là que prend fin mon travail : je n’en vois jamais plus.
Le lendemain, je viens rechercher mes invités à neuf heures, avec Arthur, toujours enthousiaste de les revoir - mais, en général, ils dorment au retour. Parfois, je ne vais chercher personne : dans ces cas-là, on m’appelle à sept heures trente, et on me dit :
« - Aujourd’hui, votre présence n’est pas requise. »
On raccroche aussi sec. C’est limite poli, mais pour vingt mille par mois au black en liquide, s’ajoutant aux dix mille du Centre et du chômage, cela me fait trente mille par mois - dont les deux tiers non déclarés. Sans compter les fringues, l’auto, les savons, les parfums, serviettes, draps, tout l’aménagement de mon appart. C’est du délire : je te le dis, P’tite Gueule, du pur délire.
Une fois, à la mi-novembre, j’arrive en retard. Oh, de pas grand-chose : juste quinze minutes. Ce n'est pas la mort, tout de même ! Je sors, confuse, pour aller vite ouvrir la portière de l’invitée. Ce week-end, il s'agit d'une fillette de douze ans – qui a l’air un peu con, il faut le dire, et qui n'est jamais contente, ronchon, « ingrate ». Mais le groom, qui a déjà ouvert, me dévisage en pinçant ses lèvres et ouvrant des yeux ronds… tandis que la déesse grecque, la Châtelaine… Ah oui, ça y est ! Elle me fait penser à la robote que fabriquait un savant fou dans un film sans couleurs que Louis m’avait emmené voir à dix-sept ans : c’était d’un chiant, mais j’étais trop timide pour le lui dire, croyant qu’il fallait que je m’intéresse à cela car, autrement, je passerais pour une cloche de cambrousse…
Où en étais-je ? … Ah oui, la Châtelaine prend l’invitée par la main et le remet à Mamie Nova, laquelle l’emmène sur les marches vers la porte grande ouverte du Château. Conséquence : le groom referme la portière. Dans ma robe vichy, sur mes bottines noires, je reste là comme une conne. J’ai encore droit à un mauvais sourire du débile en rouge. « À toi, ta place est pas là », semble-t-il me dire, paraissant rajouter comme en pensée, alors qu’il regarde déjà ailleurs :
« - Fous le camp, retournes à ton Moins-que-rien ! »
Mais la Déesse me regarde fixement, en souriant. Sur ses talons de 7 cm - minimum, je dirais -, elle fait bien deux têtes de plus que moi. Ses seins m’arrivent au nez. Je dois lever la tête pour apercevoir son visage de mannequin international. Elle me sourit et envoie vers moi, soudain, des lèvres gourmandes, en avançant sa sous-mandibule, tout comme si elle allait me manger - exactement comme je fais lorsqu'un mec de rencontre, qui me plaît, m’aborde. Je rougis. Je te l’accorde : je n’y aurais jamais pensé par moi-même, mais l’idée ne me déplairait pas, de le faire avec elle, de devenir... sa petite chose. Toutes les portes des châteaux du monde, elle doit pouvoir t’ouvrir, celle-là… Mais, en même temps, elle ne doit pas se laisser gérer… Mais se laisser gérer par elle… Cela m'affole, au bon sens du terme. Voilà pourquoi je te disais, précédemment, que je suis tombée follement amoureuse ! D'une femme ! Eh oui ! Si belle qu'elle paraît autant sortir d'un film de Science-fiction que de l'un des ces musées d'antiquités, où je m'ennuyais tant.
Soudain, la châtelaine dit au groom :
« - Vous que faites-vous à rester planté là comme un thuya [un thuya ! Morte de rire !]. Vous voyez bien que la dernière voiture est arrivée ! »
L’autre est tout confus, tremblant. Il s’incline et s’en va. On voit ses petites fesses disparaître entre les flambeaux. Dans le silence, ses petits pieds font « toc-toc-toc », comme s’il portait des chaussures de femme. Le gland ! Je m’aperçois alors que la femme sent immensément bon, m'enveloppant de son parfum.
« - Suit-moi ! », me fait-elle. Elle me prend par la main.
Mais pour m’emmener où ?... Ah non, elle me fait faire juste le tour de ma voiture. Là, elle ouvre ma portière et me fait m’asseoir. Toute penaude et rouge, je lui obéis. Je tends ma robe sur mes genoux. J’ai l’impression d’être revenue à mes dix-sept ans, la fois où Louis m’avait invité pour la première fois à Paris. Je paraît beaucoup l’amuser.
« - Moi c’est Malinka, Patricia. » Et elle ferme la portière.
Et alors ! Elle se penche… Soudain, par la vitre ouverte, elle me plaque un gros baiser humide contre la joue, qui se met à chauffer là où elle a posé ses lèvres. Ensuite, il aura beau passer deux heures, en me couchant je les sentirai toujours ! Comme je sentirai toujours ses cheveux, qui s'étaient posés sur mon épaule recouverte par la soie de ma robe. Vertige d’émotions...
C'est alors que j’entends une petite voix.
C’est Arthur, derrière. Je l’avais complètement oublié, celui-là.
« - Je l’aime pas la dame. »
« - Toi la ferme ! »
Fort heureusement, celle-ci est déjà repartie et n'a pu m'entendre.
J’en ai le souffle court.
Je repars. Quand je sors du porche pour prendre à droite, je remarque la voiture d’une accompagnatrice, arrêtée. Une femme se tient debout - quarante ans. Elle est en tenue, comme moi, mais on sent qu’elle est d’ordinaire habillée super-market - soit en sacs plastiques. À grands pas, elle vient auprès de ma vitre :
« - Sale petite cochonne, faire exprès d’arriver en retard ! Si tu crois que j’ai pas compris que tu cherchais à faire monter les enchères ! »
Là, elle me plante pour remonter dans sa bagnole, tout en trouvant le moyen de me regarder tout le temps - alors qu’elle marche en me tournant le dos. Je redeviens folle, ou quoi ? Je n’y comprends rien : de quelles enchères parle-t-elle ? Ce qui est certain, c’est qu'il s'agit d'une concurrente : mais qui me concurrence, pourquoi et comment ?
Puis, crotte de flûte ! Je m’en fous.
J’aurais l’enveloppe lundi matin quand je partirais au Centre. Je la mettrai dans mon sac à main Channel, passerai ostensiblement devant le bureau toujours ouvert de la Dentiste-chef, comme pour lui dire :
« - Tu m'as fait la charité d'un jour et demi de vacations, mais je t’écrase à présent ! »
Derrière, dans son siège-bébé, Louis fait :
« - Elle est méchante la dame ! »
« - M’énerves pas davantage, toi ! »
Je me retourne et lui arrache d’un coup sec sa toto humide, que je jette dehors, sur le macadam. Il se met à hurler. Je le laisse faire car, maintenant, cela m’amuse. Puis, avant qu’il ne commence à m’horripiler, je me retourne et lui dis :
« - Tu auras plus jamais de toto. Tu dois grandir ! Je sais que ton père aimerait que tu la gardes à vie, mais maintenant c’est fini. »
Comme il redouble de pleurs, je me mets à hurler à mon tour - bien forcée ! - :
« - Si tu pleures encore une seconde, je te laisse au Château ! »
Là, fin des larmes. Net de Chez-net.
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