Chapitre 45 : Paulo déballe (presque) tout sur Heinrich

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Un mercredi, Paulo nous invite le dimanche à sa caserne, Arthur et moi.

Si le quartier où il habite est le plus chic de Paris, son appartement est le plus petit au monde. On dirait une boîte, parmi des centaines d'autres pareilles contenant ces armoires à glace que sont les gardes de la République. Le femme de mon-meilleur-ami-pour-la-vie vient de la campagne, comme nous. Ils se sont rencontrés au lycée. Leurs enfants ont à peu près l’âge d’Arthur. Ils jouent au-dessus de nos têtes, sur un lit-mezzanine. D'une porte ouverte, on voit sa chambre : un lit double, avec un édredon rouge, tient toute la place.

Après que nous ayons mangé à la paysanne - énormément -, sa femme part faire visiter aux petits les écuries, les manèges et les « carrières » - des esplanades recouvertes de sable, où tournent sans but chevaux et cavaliers.

Je me retrouve seule avec mon ami. Il prend l’air grave :
« - Andrée m'a dit qu'elle avait demandé à Heinrich de te donner du travail ? »
« - ... Oui, je lui rends quelques services... »
« - Quel genre de service, Patou ? » (c’est le surnom qu’il utilise afin de m'amadouer).
« - J’accueille des parents et leurs enfants un week-end par mois. Il y a un problème ? »
« - Ça s’arrête là, Pat’ ? Tu ne lui rends pas d’autres services ? »
« - Non, pourquoi ? » Je ne vais pas lui dire que je suis passée accompagnatrice. « C’est quoi, ces questions, il y a un problème ? Je reçois les invités, les loge, les nourris, les blanchis. Ils repartent le dimanche… Ça c’est toujours bien passés, ils sont très bien élevés. »
« - Merde... Tu est sûre de ne rien faire d’autre pour Heinrich ?? »
« - Non… »
« - Arthur est là quand ils viennent ? »
« - Non, jamais… Heinrich m’a bien dit de le laisser à Louis et à ses grands-parents… »
« - Heinrich ne voit pas les choses comme les gens normaux... C'est un dingue !
Mais il n'est pas tout seul... Ils ont mis au point une sorte de stratégie... ils ont tissé un réseau, dès 46, un réseau économique, à partir d'Anciens de la guerre.... Dans les grandes entreprises, leur méthodes sont hyper efficaces, ce sont de grands organisateurs, d'énormes stratèges... En face, une personne normale, tu la mets à jouer aux échecs, elle anticipe deux-trois coups... Eux, ils jouent la même partie mais, en premier lieu, avec vingt coups d'avance... et, en deuxième lieu, au dos de l'échiquier, ils déplacent des pièces invisibles, ils en font apparaître des nouvelles sous ton nez en t'expliquant que tu t'e trompée sur les règles....
" Pour l'instant, nous margeons au minimum trois fois : Nos pesticides filent le cancer, nos médicaments les soignent, et notre bouffe qui rend malade fait tenir le bonhomme juste assez pour qu'il paie ", dit-il.
Merde de saloperie !
Ils cherchent à transformer les gens en lapins, à ce qu'ils achètent leurs bombes anti-moustiques, se fassent faire des prise de sang par leurs labos... Puis, pour se remettre de tout ça, qu'ils se fassent des grillade de porcs de batteries, cette barbaque satanique bourrée de leurs métaux lourds, nourrie avec leur bouffe industrielle, soignés avec leurs médocs et leurs vaccins.... Et ils s'y connaissent en rations alimentaires, depuis les camps de travail !
Là, ils veulent se payer des médias... Pour " occuper le temps de cerveau disponible "...
Ils veulent travailler les têtes elles-mêmes, à coups de piqûres d'idéologie, pour qu'elles deviennent accros...
Ce sont plus des télés, ce sont des bocaux, où les lapins sont mis à mariner...
Nom de Dieu, pour ça ils ont même naufragé l'ORTF du Général de Gaulle ! Merde !
Nous, ici, on aime la bonne bouffe à la française ! Et on voulait une seule chaîne de télé, pas plus. Et la veillée, avec le père-le-Tambour, la mère Julia, le père Lecornu !! On voulait jouer dehors, être tout le temps dehors, que les gosses soient dehors... On voulait pas d'Internet ! On voulait garder nos lettres, nos cartes postales, nos terres, nos jardins. On voulait pas de leurs mails ! Bordel, si t'avais pas le téléphone, t'avais des jambes pour aller voir des potes, et t'avais le bistrot ! Merde !! La tradition villageoise, les voisins, on se les ai fait chourrer... Ils reviendront jamais, jamais.... Ils ont été exterminés, mais à petit feu... On a rien pigé, on s'est fait avoir. Merde, il fallait défendre Vinneuf, fallait défendre le village, la communauté, les familles, le travail au noir, les cartes d'identité à l'ancienne, les bagnoles sans contrôle technique... Et pourquoi pas faire le contrôle technique des motos, pendant qu'on y est ? Et des presse-purées, des ciseaux et des pointes Bic ! Enculés ! Et pourquoi pas, finalement, inventer une firme genre Heinrich qui saurait, de minute en minute, ce que tu fais, pour te vendre ses breloques, t'apprendre à penser correct, te donner une note si tu jactes pas à la parisienne ??? Alors, en 70, on était libre de foutre une bonne baffe, de boire un canon avec le baffé, l'instit pouvait flanquer une fessée à un môme, et de retour le père lui disait qu'il avait bien eu raison !
Qu'est-ce t'as foutu de mon Vinneuf, sale putain d'enfoiré d'Heinrich !!
T'as joué au Monopoly avec mon enfance et, à chaque fois que tu gagnais une carte, tu me prenais une personne que j'aimais !! Je le hais, mais que je le hais...
Et, maintenant, c'est trop tard !
On nous a fait croire que la liberté c'était d'être tout seul, car c'était seulement ainsi que tu faisais ce que tu voulais, mais c'était la nouvelle façon d'obéir : et c'est en Garde républicain que je te parle. On nous a pris les gens que nous aimions pour les vendre avec leurs terres, les placer en Ephabs, en disant que c'était pour leur bien. Mais c'était pour leurs biens ! Ils se remboursent sur leurs maisons quand, hier, la mémé mourrait dans son lit en gardant les Petits jusqu'à la fin. Ca ne nous coûtait que l'amour qu'on leur avait ! On nous a même chourravé le sens des mots. Enculés ! »

Mon bon gros et grand Paulo a des larmes dans les yeux. Moi, je suis toute grave :
« - A ce train, arrive un moment, c'est même la réalité qu'ils brouillent...
Tu sais plus qui t'es... Tiens, t'aurais une porte qui apparaîtrait soudain dans ton mur et, derrière, tu trouverais une chambre à gaz, une batterie industrielle de poulets, une chambre stérile pour faire des vaccins à la chaîne - que ça ne m'étonnerait même plus.... Ils ont créé une sorte de confrérie - va-t-on dire -, disons ésotérique, païenne, chrétienne, néo-spirituelle, ultra-friquée, avec des rites sexuels, leur propre rue dans Paris... Ils ont pas de limites. Quand t'as trop de blé, que t'es un obsédé du cul, que tu t'es habitué pendant la guerre à tuer pour un rien, que tu as multiplié les coups fumants après, ta seule limite c'est ton imagination !
Nom de Dieu, pourvu qu'Andrée tomble pas là-dedans... Je sais qu'elle se cherche, qu'elle donne dans la spirualité, depuis que ses cocos l'ont éjecté... Toi, heureusement, t'es athée. »

Puis, après m'avoir émue, mon Paulo se met à me faire souverainement chier. Je n'y comprends plus rien, ne veux rien y comprendre - à partir du moment ou je comprends instantanément que ce serait inutile. En effet, emporté par son sujet, il continue :
« - En résumé, ils ont pas digérés la capitulation de 45... Ca ressemble à une histoire de grands-pères et d'anciens combattants, mais c'est actuel... Ils recrutent des jeunes... Pour eux, la guerre ne n'est pas arrêtée, ils la continuent d'une autre manière. Le jour où t'as cinquante millions de gens qui décident que 45 n'a pas eu lieu, contre quarante qui croient le contraire... leur masse l'emporte : c'est Retour vers le futur... Il cherche à me faire entrer là-dedans... Il répète : " Je planifie le temps long, je travaille pour les années 2030. Et 2030, c'est déjà 2050. " Ca fait cinq fois que je décline ses offres de déjeuner...
Faut pas déconner ! je suis pas maboule !! Je lui fais des bons sourires, mais que je le hais !
Écoutes-moi bien : cherches tout de suite un vrai boulot et ne mêles jamais-jamais Arthur à ça. En attendant que tu en ai trouvé un, ne l’emmènes jamais nulle part et veille bien à ce qu’il ne voie pas ces enfants et ceux qui l’accompagnent ! Et si Heinrich te propose d'autres prestations, dit que tu ne peux pas... Invente n'importe quel prétexte... Sinon, tu vas devenir à ton tour une carte de Monopoly, et tu nous seras enlevée, comme Francis... »

J’ai peur, tout d’un coup. Et mes vingt-mille Balles ? Sans eux, c'est ma faillite assurée.
Comme Paulo voit mon visage se figer, il m'imagine attendre plus d'explications...
Sinistre erreur !
« - Bon, je vais mieux t’expliquer… »
Je sens que cela va être ennuyeux et j’ai la banque au cul moi - en plus de mon problème de vacations. Il commence son speech : comme je fais mon regard-de-par-derrière, ne vois que ses lèvres remuer. Soudain, je m’aperçois que je suis capable, également, de faire des oreilles-de-par-en-arrière et de ne plus rien plus entendre - alors qu’il me parle face à face. Je pense à des tas de choses, « à la con » - tu vas me dire P’tite Gueule...
« - Patou, tu n’as rien écouté du tout. Et depuis le début ! Tu faisais ta tête des cours de maths… »
« - Je suis fatiguée, j’ai envie de faire la sieste… »
« - Bon, va t’allonger sur notre lit… Tiens, voilà une couverture si tu as froid… Je vais regarder le Grand prix de Formule 1 mais je mettrai le son tout bas. Ma femme et les enfants ne rentreront pas avant une heure, surtout s’ils font un tour sur les poneys à dispo des familles. »

Je te dis pas, P’tite Gueule : sur cet énorme édredon rouge qui bouffe tout autour de moi en grosse vagues, comme celui de Mémé, j'entre au Paradis. Depuis quand ai-je été aussi détendue ? Me suis-je sentie autant en sécurité ? Je m’endors aussitôt.

De retour vers Saint-Mandé, j'annonce à mon fils la bonne nouvelle :
« - Ce week-end tu seras chez Maman mais tu auras aussi un enfant avec toi. Tu pourras t’en servir comme copain ! Et il y aura aussi de nouveaux joujoux. »
Il éclate de joie !
« - Tu sais, mon chéri, je fais tout pour que tu sois aussi heureux chez moi que chez Papy-Mamie. Tu es heureux, alors ? Alors mon chéri, qu’est-ce que tu dis à ta Maman qu’elle aime tant entendre ? »
« - Que j’aime ma Maman, que j’aime ma Maman !! »
« - Et que ne faut-il jamais dire à Papa, ou à Papy-Mamie ? »
« - Qu'on va au Château ! »
Puis il se met-il à chanter jusqu’à ce que nous soyons arrivés. En mode automatique. Tu donnes à un gosse des joujoux + des enfants-de-jeux, tu lui partage ton secret en lui disant que sa Maman cessera de l'aimer s'il le dévoile : et le bonheur accourt.

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