Chapitre 46 : De l'individu aux foules, bases de la manipulation

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Passent cinq jours. Louis vient me prendre Arthur comme d’habitude le vendredi soir à dix-huit heures. Aussitôt que je suis assise sur le canapé, mon téléphone sonne !
A dix-huit heures trois. Je décroche. C’est Heinrich. Il n’appelle jamais.
Oh-la-la, je sens que quelque chose cloche :
« - Patricia, ça s’est bien passé la semaine dernière ? »
« - Ah, j’étais en retard. Je te présente mes excuses, Heinrich, je suis désolée… » (Explication : d’ordinaire je ne m’excuse jamais, ce sont toujours les autres qui s’excusent auprès de moi. Mais là je sens que c’est du lourd +++.)
« - Pourquoi Arthur pleurait-il ainsi samedi soir dernier ? Pourquoi as-tu jeté son toto par la fenêtre de ta portière ?? »
Mais comment sait-il ça, ce Diable ? Ah oui, je sais : il s'agit de la bonne femme à l'allure super-market/sacs en plastique qui a déblatéré ! En quoi cela a-t-il a de l’importance ? Tout s’est très bien passé avec l’invitée… Pourquoi m’appeler spécialement pour me ressortir cela ?? Je réponds, imperturbable :
« - Il a fallu mettre certaines choses au point avec lui… »
« - Quelles choses t’a-t’il fallu mettre au point avec un petit enfant de juste quatre ans et demi, Patricia ??? Il t'a agressé dans une ruelle ? »
Mais il est pire que Louis, celui-là. Je n’ai pas divorcé pour qu’un deuxième mec vienne me dire comment élever mon fils à moi, et un vieil homo parfumé en plus !
« - En quoi ça te regarde ? »
« - Attention, ma petite, maintenant que tu travailles pour nous, tout me regarde. C’est à moi de décider ce qui me regarde, pas à toi ! Je suis assez clair ? »
Ce nouveau ton me souffle tellement que je ne trouve rien à répliquer, sinon :
« - Oui… ne t’énerves pas, Heinrich, je ne savais pas que c’était si important… »
« - Car ce n’est pas important que tout le monde se sente bien ? Ce n’est pas important pour toi que ton propre fils se sente bien avec toi ? Qu’est-ce que tu feras si Arthur ne se sent pas bien avec le fait de venir au Château ? Je suis indigné, indigné ! Tes vingt bâtons par mois, tu sais où tu vas bientôt pouvoir te les carrer ? Alors démerdes-toi pour être super-gentille avec ton gamin : il met à l’aise les mômes, c’est très important pour nous. »
Jamais on ne m’a parlé comme ça.
Je ne suis pas indignée : je suis époustoufflée, presque admirative.
Et qui est ce « Nous » ? Se prend-t-il pour le Roi de France, désormais, parle-t-il de lui à la troisième personne ?

Heinrich continue :
« - Je t’ai fait confiance car je te connais d’enfance. Donc pourquoi as-tu fait visiter ton appartement à ton ex-mari ?? »
Mais comment sait-il ça ? Mais comment ? Il était là sous une cape d’invisibilité, ou quoi ? Quoi, il m'a fait espionner ?? Tout comme la mémé d'Andrée avait été espionnée avant d'être braquée ? On m'a changé d'univers sans me le dire, ou quoi ?
Soudain, je suis glacée de terreur !

Ma voix chevrotte :
« - Mais comment je saurais que je ne devais pas le lui faire visiter ? »
« - Comment qu’elle saurait qu’elle ne peut pas faire visiter son appart à son fouille-merde d’ancien mari ?? Comment saurait-elle qu’elle peut penser par elle-même une fois tous les quinze mois ? Comment saurait-elle qu’on ne retire pas son toto à son môme en la jetant par la portière ?? Et comment je me suis pas aperçu que tu étais conne à ce point… »
Je me mets à pleurer.
« - Et voilà qu’elle pleure, c’est la meilleure de l’année !! Là, maintenant, Louis a bien ton gamin chez lui ! »
« - Ben oui et alors ! »
« - ‘‘ Ben oui et alors ! ’’ qu’elle dit la petite conne ! ‘‘ Ben oui ’’ qu’il va cuisiner ton p’tiet… ‘‘ " Et tu vas où avec Maman le soir ’’… ‘‘ Un château ! Mais où ça ? Avec des enfants ’’… ‘‘ Ils prennent leur bain avant de partir, mais avec toi ? Et pourquoi ? ’’ Oui, car je la connais aussi l’histoire du bain avec le petit pervers de ta meilleure-amie-pour-la-vie-de-Paris, cette super-conne de Jennifer !! C’est pas un sur vingt qu’elle mérite celle-là, c’est moins quarante sur vingt. Tu as désormais interdiction de la fréquenter ! Je suis clair ? L’autre ordre, c’est que tu te mets à penser et surtout à réfléchir… Tiens, je te donne un exemple : tu ne le sais pas, mais comme vous avez la même Trésorerie pour les Impôts, ton ex et toi… Ton ex qui, entre parenthèses et je l'ai découvert, habite à dix rues de toi - et n'est pas en dépression chez Papa-Maman, ou sous les ponts... Bref, ce fouille-merde peut tout à fait demander à consulter tes revenus… D’ailleurs, il a appelé cette semaine les Impôts pour savoir si cela pouvait se faire ! ... Non, il n'est pas sous écoute, mais je l'ai su autrement... Tu vois déjà ce qu’il va me falloir faire pour t’empêcher d’avoir un contrôle fiscal… ? Ou t’es trop conne ? »
« - Les Impôts… mais je savais pas que Louis pouvait être comme ça… Et, pour le Château, Arthur sait que c'est notre secret... »
« - " Notre secret "... Parce qu'il n'y a aucun biais pour cuisiner un enfant.... Tu sais pas comment Louis peut être ! Tu le connais depuis quinze ans, tu ne sais pas comment il peut être ?? Tu as passé trois ans à lui mentir, tu as même essayé de lui faire croire que tu n’allais jamais aux chiottes ! Lui, bien sûr, il ne s’est douté de rien… Non, en fait, il ne t’a jamais traité de ‘‘ menteuse pathologique ’’ ! Je rêve, là, ou quoi… ? »
Je pleure à chaudes larmes. C’est affreux, je n’ai pas pensé à tout ça, moi :
« - Mais pourquoi c’est si grave ? Ce château c’est quoi ? »
« - Si on te le demande, tu diras que tu ne t’es jamais posé la question : d’un côté, certes c’est ton charme, d’un autre c’est la preuve que tu es une catastrophe ambulante ! Mais bien habillée et bien maquillée, là il n’y a rien à redire. Un emballage-cadeau avec que du vent dedans !! »
« - Mais qu’est-ce que je peux faire, qu’est-ce que je peux faire ? »
« - Toi, rien ! »
Je repleure de plus belle.

Heinrich reprend, plus doucement, presque tendrement :
« - Tu dois mieux apprendre à lire les émotions des autres : c’est la base du métier. Sans ça, tu ne peux rien faire. Zéro seconde tu dois laisser soupçonner que tu n’éprouves rien pour les gens. Tu dois apprendre à faire tous les gestes qu’ils attendent de toi, et les bons gestes. Tu dois être INSOUPCONNABLE. Si t’es dans une société de bouseux, tu fais comme eux, tu parles comme eux. Si t’es dans une société où la famille est importante, tu montes une famille. Tu dois faire semblant tout le temps. Pas une seconde on doit pouvoir te soupçonner… Tu ne dois pas aller contre les émotions des gens, tu dois aller avec elles, les pousser pour qu’elles se retournent contre eux de façon à ce que tu prennes l’avantage… pour toute leur vie… Si quelqu’un est généreux tu dois le pousser à donner davantage, et toi tu dois donner un peu… au début... de là il se dit que tu es comme lui, qu’il peut donc te faire confiance. Alors, doucement, tu dois l’amener à penser qu’il sera généreux avec les autres en étant toujours plus généreux avec toi… Pour ça, il faut l’amener à penser que tu représentes tous les autres. Il croira ne pas avoir changé, alors qu’il aura changé complètement, qu’il sera à ton service.
Quelqu'un porte-t-il de la peur en lui-même ? Comme Louis, quand tu l'as connu ? Tu dois utiliser cette peur, d'abord en le rassurant - pour l'avoir - puis, ensuite, en lui faisant peur, pour qu'il s'accroche à toi encore plus - mais tu devras prendre garde, à partir d'un certain seuil, de le réassurer. C'est un dosage très subtil... Avec Louis, tu n'as pas su doser... Et il y a aussi qu'il a voulu tout mettre à plat avec le professeur Avicennes - on l'a dans le blair, celui-là, en plus un ancien Résistant qui avait fait sortir quelqu'un de très important pour nous de la prison de la Santé... Il y a aussi que Louis a considéré que tu resteras toujours inculte : je pense personnellement que c'est faux. Après tout, tu parles parfaitement l'allemand, tu as intégré la culture que je vous ai donné lors de mes cours, tu est devenue une bonne praticienne médicale et, de ton propre chef, tu as une certaine culture littéraire... On a considéré qu'avec un mentorat tu continueras à progresser...
Quelqu'un est-il en colère ? Tu donneras à sa colère une explication rationnelle, et tu lui proposeras une solution pour l'exprimer : comment crois-tu que nous avons conquis le pouvoir en 1933. Si, à cela, tu ajoutes le déclassement social, tu pourras faire croire aux gens n'importe quoi - le tout étant de rester collé à l'époque, de prendre un truc dans les adversaires, de l'amplifier pour faire comprendre aux gens que là est l'ennemi à combattre. Les ayant embrigadé, il n'y a plus qu'à les diriger.
Est-ce que tu comprends mieux, ma petite Patricia ? »
« - Oui, oui, un peu, mais pas tout… Tu me dis tellement de choses à la fois, tout d'un coup... Mais des fois, oui, je me sens tellement-tellement énervée qu’il faut que ça sorte ! Je tuerais presque, alors... Sauf que je ne le fais pas car j'ai peur de la loi, je peux pas la changer... »
« - Nous avons déjà cette compétence de changer le cadre légal... Dans ce cas de ta colère - pour l'instant - défoules-toi sur un autre truc qu’un un bébé de quatre ans et demi ! Fais jongler Jennifer, par exemple. Tiens, entraînes-toi avec elle : on sait que c’est une grande gueule, qu’elle est hyper frustrée car elle croit que tout le monde est plus con qu’elle… Elle essaie de dominer les dentistes, c’est pour ça qu’elle ramenait des filles à Césario… elle veut se la jouer votre égale. Pousse-la à croire que non seulement elle est votre égale, mais que c’est si vrai qu’elle peut faire jeu égal avec la Dentiste-chef… Amène-là à prendre la tête des assistantes, pousse-là à demander un rendez-vous au maire, amène-la à imaginer qu’elle peut faire virer la Dentiste-chef et devenir cheftaine. Joue avec elle, de manière à ce qu’elle se fasse virer. Mais ne révèle jamais à quiconque comme tu l’as manipulée, surtout pas à elle ! Prends ton pied en secret avec ça, rejoue-toi dans ta tête ce qu’il s’est passé ensuite, pour le plaisir. Oui, défoules-toi comme ça, sur les faibles, des choses inoffensives, des animaux... Joues cette carte là pour être parfaite avec tes cibles. Laves-toi comme ça de tes colères. Apprends à lire les émotions pour t’en servir. Tu comprends mieux ? »
« - … oui, oui, tu as raison… »
« - J’ai eu beaucoup d’expérience, j’ai connu l’effondrement de tout un pays… Vois maintenant où j’évolue ! Je mange une fois par mois avec le Président, il sait ce qu’il doit à notre réseau. Dans notre branche, on pèse un tiers du CA de notre secteur, niveau mondial s’entend. On a travaillé la firme de l’intérieur, les gens de l’intérieur, sur des dizaines d’années. Pourtant, mon titre n’apparaît pas dans l’organigramme… À notre niveau, nous pouvons nous payer n’importe qui : députés, ministres, présidents, tous nous montrent leurs culs !
A des anciens Nazis, à ceux qu'ils ont sélectionné sur leurs critères, puis formé en recopiant le management au combat, sous le feu... Donc, pour nous, nous n'avons jamais perdu la guerre : en 45, en revenant sur les causes de la défaite, nous avons décidé de changer la définition de la guerre... de la prolonger autrement... De persévérer dans ce que certains appellent notre " délire ", en l'actualisant et en la réactualisant chaque fois sous les formes contemporaines - pour le " délire " devienne la norme...
Ce que je te dis, c'est qu'on a recentré sur les esprits afin de convaincre chacun de nos valeurs, de manière à ce que, lorsque les choses basculeront, il n'y ait plus aucune profondeur stratégique - car nous avions perdu la guerre par manque de profondeur stratégique... En effet, si Américains et Anglais avaient partagé nos valeurs, nous nous étendions jusqu'au Kamtchaka. Et nous y serions encore !
Si j'en reviens à toi, pour ta chance et, au passage, ton information, Malinka a pensé comme moi, qu’avec quelques années de plus, tu pourras jouer un certain rôle, plus important… Ou différent… Elle m'a reconvaincu que tu pouvais y arriver... Car je n'en étais plus du tout sûr !
Mais j'en ai conclu que tu dois désormais être parfaite pour prouver que tu en es digne. »
« - Avec Louis, donc ? Je peux peut-être me remettre avec lui… »
« - Mais laisses Louis de côté, à la fin ! Tu continues à rien piger : Louis t’a comprise, c’est fini… Quand bien même vous recoucheriez, il n’attendrait de ça que de pouvoir te gérer par rapport à Arthur. Arthur est tout son monde, il passe avant sa carrière. Il est une mère pour lui… »
« - Ah, merde, mais quelle galère ce type : c’est moi sa mère, t’entends, c’est moi ! … »
Heinrich reprend :
« - Silence ! Dans l’immédiat, nous attendons de voir ce qui va se passer en réduisant la voilure. Nous avons été trop vite. Tu auras un invité la semaine prochaine, de deux ans environ… Laisse Arthur à son père… Il faut voir comment la situation évolue avec ton ex… Ne t’inquiète pas : il ne pourra pas te coller un contrôle fiscal, quand bien même serait-il l’amant du contrôleur en chef ! »

J’éclate de rire en imaginant Louis sous les coups de rein du bonhomme, que j’imagine sec et toujours habillé en gris, genre complexé, émanant une sueur aigre, se marrant jamais, et à lunettes + calvitie précoce.
« - Bon, ça fait du bien de t’entendre rire. Allez, je t’embrasse, ma petite Patricia ! Tout ça me fatigue, j’ai eu quatre-vingt et un ans la semaine passée… »
« - On te donne dans les cinquante-huit... »
« - Me fatigue plus ! Me fatigue plus ! Un gros conseil ! »

Et, sans un « Au revoir », il me raccroche au nez ! Non sans m’avoir dit :
« - La chance de ta vie c’est que Malinka a parlé en ta faveur ! Mais moi pas ! C'est pourquoi j'ai rechecké toute ta vie, pour valider les infos un peu disparates quand même que tu donnais - disparates, pour ne pas dire mensongères par omission... L'autre règle, c'est que tu dis tout à une seule personne : moi, pour le moment. Il n'y a qu'avec moi que tu dois être à cent pour cent honnête... Mais sache que j'ai apprécié ta discrétion me concernant : tu as un potentiel énorme, mais là tu l'as quasimment foutu par terre... Andrée m'a déjà mis dans un terrible porte-à-faux, alors toi n'en rajoutes pas derrière : déjà, on est en train de répandre que je serais devenu sentimental, parce que j'ai vieilli ! Moi, sentimental ? Tu vois un peu... »
Quoi qu'en dise Heinrich, j'ai été quasi trahie ! Il m'a faite espionner !
Je suis d'abord liquéfiée de colère - mais aussi de trouille. Sans compter toutes mes interrogations : par exemple, que vient foutre Malinka là-dedans ? Mes mains se mettent à trembler... Pour la première fois, depuis des mois, je reprends un Lexomil !

Et, comme toutes les fois où je lance mes questions dans le vide, mon Goblieu les attrape dans son nuage, les triture dans ses volutes gris et cendreux, puis me les renvoie :
« - Refléchis, Patricia... »
« - Mais à quoi... ? »
« - Tout d'abord, de qui Heinrich t'a t'il parlé ?... »
« - De moi... »
« - Mais comment ?... »
« - En m'insultant, en me traitant plus bas que terre... »
Et, soudain, je comprends, tout devient clair : Heinrich m'a mise au pinacle puis, à un moment, il m'a rabaissé pour prendre l'avantage moral... Il a achevé de me déstabiliser totalement en me faisant prendre conscience que j'avais été surveillée... Sa méthode est la suivante : tu subjugues les gens en leur disant qu'ils sont au top ; ils te croient, puis, soudain, vient un moment où tu les rabaisses, les jette : t'ayant cru des années et des années, s'étant fondés sur toi - pour les enfants -, ou refondés sur tes dires - pour les adultes -, ils croient que ton jugement est le plus sûr au monde - car ils sont incapables de le remettre en cause, puisque tes valeurs sont devenues les leurs.
Du sommet de tes montagnes russes, tu les domines par tes hauts et tes bas de soie.
« - Mais encore... »
Par conséquent, oui, en faisant cela, Heinrich m'avait fait comprendre que j'étais intégrée dans une grosse organisation... « politico-économico-criminelle », aurait dit ce niaiseux Louis... Et, dans cette organisation, il était mon chef, il me commandait par la terreur... J'étais tombée dans le piège et ne pouvais plus en sortir...
« - Ensuite... »
Ensuite, Heinrich m'avait expliqué les principes du travail...

Et le but du travail ! La domination...

Et je pouvais accepté d'être dominée puisque, si je me livrais complètement à leurs désirs, viendrait un temps où je les dominerai tous... N'ai-je pas, depuis mes seize ans, toujours ainsi procédé avec mes hommes de passage - ou non ?
« - Et tu as le droit de dominer les autres que si tu comprends qu'ils sont des choses... que tu as droit d'utiliser à ton gré, par privilège spécial... »
Par privilège spécial ? Mais lequel ?
« - Le privilège d'avoir été choisie par un Seigneur, selon ta race, tes origines, ta nation... »
.... Ainsi, Heinrich m'avait fait comprendre que, comme chef, il serait impitoyable, me jeterai dans je ne sais quoi - mais que je supposais être l'horreur pure -, si je n'appliquais pas ses ordres à la lettre, n'étais pas digne... de mon rang. Il avait aussi voulu montrer qu'il était objectif, comme aurait dit Louis, que son affection passait après la bonne exécution des ordres... Cela signifiait, logiquement, qu'à son modèle, je devais être désormais sans aucune pitié... Soudain, je me sentis fière.
Jamais, non plus, de toute ma vie - de toute ma vie ! -, je n'avais pensé de manière aussi claire, « abstraite », « analytique » - aurait encore dit Louis.
J'ai dû envoyer ma question vers lui, car mon Goblieu répond :
« - C'est parce que désormais je pense en toi, et que toi, tu penses en moi. Tu as compris quelle merveilleuse compréhension je pouvais t'offrir - en plus du reste... »

Oui, cela se passe comme si mes émotions dessinent des figures merveilleuses sur l'intelligence de mon Goblieu - que je devine très haute, presque surhumaine... En lui, mes débuts de pensées, qui s'achevaient par des colères, des gestes de malédictions, des vociférations, des proférations, des profanations, se trouvent comme prolongés vers un monde que j'entrevois énorme, totalement nouveau. Et cela est comme si les paysages de ce monde traversent les immeubles, les villes, le monde terrestre. Et c'est ce monde qui est réel... Oui, le flou brumeux de mon Goblieu est ce qui est réel, tangible... Il est plus certain que les angles droits en pierre de mes murs, que les Dix-Commandements, que les églises semées partout - dont le bout des clochers n'émerge plus qu'à peine dans le déluge qui monte, monte ! Vous pouvez battre le tocsin, nul ne l'entendra désormais sous le déluge des feux d'artillerie... Petits juges, petits prêtres, petits députés alcoolos...


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