Chapitre 49 : Patricia pose un gros problème à Heinrich
Heinrich s’assied sur la table basse. Face à moi.
« - Alors, comme ça, cette nuit Louis t’as appelé deux fois ? »
Je flaire le piège.
« - Je ne sais pas, je ne me souviens plus bien… »
« - Ne serait-ce pas plutôt toi qui l’aurait appelé au secours… ? »
« - Ah non !... Moi, appeler Louis au secours ! »
Je ris, pour faire bien comprendre le sous-entendu.
« - Tu sais comment on va s’en assurer ? On va l’appeler chez lui et tu vas lui demander si c’est lui qui t’a appelé tout à l'heure. S’il répond ‘‘ Non ’’ tu vas lui dire : ‘‘ Alors tu prétends que c’est moi qui t’ai appelé cette nuit peut-être ? ’’ On va répéter ça jusqu’à ce que tu sois parfaite. Capito ? »
Dix minutes passent à répéter. Quand c’est clair, j’appelle chez Louis. Pourvu qu’il ne dorme pas chez ses parents... Tout cela commence à m’angoisser. Par chance, il décroche. Ils sont dans son minable deux-pièces, lui et Arthur. D’une voix toute ensommeillée, il me demande qui je suis (!).
Sans répondre, je dis aussi sec :
« - Dis-moi, tu m’as appelé tout à l'heure ? »
« - Ah… Patricia, mais tu as vu l’heure… Il est cinq heures ! »
« - Tu m’as appelé cette nuit ? »
« - Cette nuit ?? T’es pas folle ? Si tu veux le savoir, j’en ai plus rien à foutre de toi… »
« - Alors tu prétends que c’est moi qui t’aie appelée, peut-être ? »
« - Ah, nom d’un chien… Pourquoi tu m’aurais appelé… tout d’un coup ? En plus la nuit... Tu as changé d’avis et tu voudrais venir me repourrir la vie ? Tiens, t’as l’air bourrée… »
Je raccroche, tandis qu’il commence à ricaner.
« - Voilà, tu es content ? », je fais à Heinrich.
Je te jure, P’tite Gueule, celui-ci a son visage à dix centimètres du mien.
« - Là, comment tu te sens ? »
« - Comme l’enfant en train de téter. À l’aise Blaise… »
« - Est-ce que tu as tenté de tuer ton invité parce qu’il pleurait trop fort ? »
« - Jamais d'la vie : je lui ai soigné le trou du cul, rapport à ce que vous lui avez fait là-bas… »
« - Fais attention de ne pas employer ce ton-là avec moi ! »
Puis il appelle :
« - Toubib ! »
Le type arrive (je le vois remettre à Malinka la poche de sang, dans la chambre).
« - À ton avis est-ce qu’il y a eu tentative d’homicide sur le gamin ? »
« - Tout à fait. On lui a enfoncé l’oreiller sur le visage. Il a dix marques d’ongles autour… »
Il me prend les mains :
« - C’est la même taille : c’est elle ! »
Heinrich fait :
« - Le gamin est-il transportable ? »
« - J’attendrais quarante-huit heures pour en être certain… »
« - Ok : tu restes donc chez Patricia jusqu’à mardi matin, avec Malinka. Malinka, tu t’occuperas du gamin. Veuillez bien à ce que Patricia ne le touche pas... Quant à toi, Patricia, tu te feras porter pâle lundi et mardi… Toubib t’établiras un certificat… »
Têtes de Malinka et de Toubib quand ils comprennent qu’ils vont devoir rester deux jours coincés ici. Je dois faire une drôle de tête, aussi… Heinrich reprend :
« - Dis-moi Patricia est-il vrai que samedi après-midi à l’Aquarium de la Porte-Dorée tu allais voir les gens pour leur montrer ton invité ? »
Gros Dégueulasse lui a tout raconté ! Et il doit être toujours en bas dans sa bagnole...
« - Les gens se sont rués sur lui... J'ai du gérer... Dès que j'ai pu, je me suis cachée dans le bassin au crocodile. Et, ensuite, je suis repartie aussi vite que possible... »
« - Pourquoi n'êtes-vous revenus qu'à dix-huit heures ? »
« - Parce que nous avons fait le tour du Lac... Ensuite celui du Zoo où je me suis perdue dans les allées... Si bien que nous sommes revenus par l'autre côté de la rue... »
Comme Gros Dégueulasse était rentré de sa chiasse probable, il a dû lui dire. D'ailleurs, je lis dans les yeux d'Heinrich qu'il sait que ce dernier détail est vrai, car il cligne des paupières. Il semble que l'autre ne lui ai pas dit que je l'avais reconnu. Cela me semble étrange, mais bon... Il doit aussi flipper qu'on le châtie pour ne pas avoir été là au moment entre le moment où Louis et Arthur entraient dans le musée, tandis que j'en ressortais... La boulette enrobée de sa merde ! Ma chance absolue.
Je demande
« - Je vais pouvoir continuer à avoir la garde d’Arthur ? »
« - On verra ca mardi, je repasserai te dire la décision. En attendant, tu es cloîtrée ici. »
« - Je peux avoir le certificat tout de suite, par rapport à la Dentiste-chef ? »
C’est à Toubib de parler. Il est très-très en colère :
« - Pour qui elle se prend celle-là ? Elle appellera pour dire qu’elle est malade ! Je ne vais pas tout de même pas lui fournir un faux certificat médical ! »
Heinrich part, après un conciliabule avec les deux autres.
À vivre deux jours avec Malinka, ce que je peux dire, P’tite Gueule, est qu’elle sait s’y prendre pour cajoler les enfants : leur faire plaisir, jouer avec eux, leur changer les idées. Mais, en ce qui me concerne, elle ne me regarde même plus. Toubib, lui, s’il ne dit jamais un mot, adore cuisiner. Qu’est-ce que nous bouffons bien !
Le lundi matin, quand j’appelle la Dentiste-chef, elle me jette :
« - Si vous pouviez ne pas revenir la semaine prochaine, Patricia, j’en serais enchantée. »
Je préfère rien dire, je ne la sens pas.
Arrive le mardi : le Petit s’est remis à jouer, il est sous antibiotiques pour éviter une infection, et Toubib lui a donné de quoi rendre ses selles liquides : au début, il y a encore un peu de sang. Puis, très vite, plus du tout. Ni Malinka, ni lui ne me parlent. Mais celle-ci remarque à mon sujet, quand elle voit que l’invité se rétablit à vitesse grand V :
« - Elle a une veine de damnée, celle-là ! »
« - Le mot est faible », répond Toubib.
Mardi matin, je dois rappeler la Dentiste-chef pour lui dire que je ne pourrais pas venir non plus cet après-midi :
« - Vous avez rencontré un millionnaire, j’espère Patricia, car nous ne sommes pas à votre service : j’espère que vous aurez un bon certificat médical… Je n’ai pas souvenir d’avoir vue sa trace. »
Diplomate, je préfère ne rien retoquer.
Avant déjeuner, Malinka vient vers moi :
« - Depuis dimanche soir, le téléphone a sonné quatre fois ! On cherche à t'appeler ? Des amis à toi ? Tu attends quelqu’un ? Tu avais un rendez-vous ? Est-ce que ça a un rapport avec la garde d’Arthur ? Quand Louis doit-il te le ramener ? »
« - ... Il le ramène à la Maternelle ce matin et je dois aller le chercher à seize heures : on ne s’appelle jamais, c’est réglé comme papier-musique ? »
« - ‘‘ Comme du papier ‘‘ à ’’ musique ’’ ! Apprends à parler. »
Toubib arrive à cet instant et lâche :
« - Elle le fait exprès… elle fait sa petite fille pour apitoyer, c’est déplorable. Allez, à table ! »
Après du foie gras sur des toast, Toubib nous sert des sardines farcies à la pâte d’anchois et à l’aïoli, qu’il a préparé en matinée. On a ensuite une fricassée de lotte servie avec de la ratatouille maison. Suivent des mousses de fruit. Sur sa chaise de bébé, l’invité déguste en babillant - tout joyeux. On sonne en bas. Malinka se lève que si on lui allumait un chalumeau sous les fesses.
« - C’est Heinrich ! »
Toubib me jette un regard : vide de chez vide.
De loin, Malinka me regarde pour la première fois depuis quarante-huit heures : je lis comme de la pitié. Je regarde la porte d’entrée avec l’idée de filer.
« - N’y pense même pas », dit Toubib, « C’est fermé à clé et on a les clés. Et tiens, regarde : j’ai même ton passeport ! »
Je suis saisie. Ils ont tout fouillé chez moi, alors que j'étais là : ils auraient pu aussi bien m’étouffer avec un oreiller ! J’angoisse, soudain.
Les deux ou trois minutes que passe Heinrich à monter par l’ascenseur durent pour moi dix heures - je te le jure, P’tite Gueule. Le Petit est mis à faire la sieste dans son lit, tandis que Malinka reste auprès de lui. Toubib me conduit par le coude jusqu’au sofa et me fait asseoir... Mais pourquoi ? Il s’assied auprès de moi : il n’est pas plus grand que moi, OK-d’ac, aussi n’avais-je pas réalisé jusqu’à présent qu’il avait les jambes toutes courtes, mais un torse immense. Avec ses poils de partout, ses favoris et sa tignasse, on dirait un gorille dans un costume sur mesure.
Je suis coincée chez moi, voilà. Heinrich arrive.
Personne ne lui ouvre, puisqu'il a les clés.
Comme il y a deux nuits, il s’assied sur la table de verre, devant moi.
Sans un « bonjour », il tourne la tête vers la chambre d’Arthur.
« - Il dort, Malinka ? »
« - Oui, ça y est : on lui a fait prendre un sédatif dans sa mousse aux fruits. »
Tiens, je n’ai rien vu.
Heinrich commence :
« - Tu sais, Patricia, que tu poses un gros problème… »
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