Il est l'Heure de Rentrer (2/5 ; 2024)
Une lumière apparut au bout du lobby. Diego l’emprunta et se retrouva dans une petite pièce, plongée dans la lumière du crépuscule. Une montagne humaine, couverte d’un épais manteau simili-cuir, sirotait un whisky en scrutant l’extérieur depuis la fenêtre. Pas d’indicateur au-dessus de sa tête, rien que la présence sombre, ses contours que le créateur de la simu n’avait pas jugé bon d’éclaircir un peu. Dehors, Diego remarqua les silhouettes menaçantes des pics nus.
“Dieg0mégaZZ, fit l’homme en prononçant ça comme Dieg-zéro-méga-zède-zède, t’es enfin réveillé ?
- Ouais… mon… pote, tu peux me rappeler ton nom ?
- Bon, je te fais le topo : on sort de ce trou à rats (au même moment, Diego vit une famille de rongeurs se faufiler sous son lit), on pète tout sur notre passage, on arrive au bout du village, on plonge dans la vallée et on arrive au QG des terroristes. T’es prêt ?
- Vachement dynamique, le PNJ. On lui pose une question et…
- Non, non, t’inquiète pas. Bastien a posté des drones un peu partout sur le chemin, il les torpillera si besoin.”
Diego soupira, sentit les contours d’un flingue dans la poche de son armure, le dégaina. Léché par les dernières coulées de lumière, l’objet était d’une complexité effarante. Un peu partout, en petits caractères holographiques, figuraient des statistiques, des mots en gascon, anglais et parfois chinois. À part un gros 21/21 pour noter les munitions, au-dessus de la lunette de visée, le pêcheur ne comprenait rien à l’objet qu’il tenait.“Eh, Rodric, t’aurais pas pu me filer la notice ? Comment je m’en sers, moi, de ce truc ?
- Bon, on y va.”
Chauve, barbe rasée de près, le mec en imper arborait une cicatrice qui naissait du côté droit de sa mâchoire, serpentait le long de sa joue, et s’arrêtait au niveau de l’arcade sourcilière. Rafistolée à la hâte, Diego était incapable de croire que ça n’était pas intentionnel de la part du médecin. Même s’il ne l’avait jamais compris, il avait déjà croisé des soldats qui préféraient garder cet air mutilé plutôt que se faire une beauté même bon marché. Il avait envie de vanner le Gasqué en lui donnant l’adresse d’un chirurgien du fond de la Sous-Ville, mais le militaire lui coupa l’herbe sous le pied en le chopant par le bras :
“Allez, lève-toi.”
Il approcha de la porte, l’ouvrit d’un mouvement délicat, parfaitement maîtrisé, inspecta l’extérieur, et lui fit un signe de main. Diego se résigna à le suivre.
Le village des terroristes tenait plus du bidonville qu’autre chose. Les bâtiments, recouverts de plaques de tôle et de bois accrochées à la hâte, étaient organisés en file indienne entre deux masses rocheuses.
Le Gasqué, en l’espace d’un éclair, flanqua une balle dans le crâne d’un terroriste attablé devant un joint et un café. Son collègue, au même instant, vit son crâne exploser et laissa tomber son pilon dans la tasse.
“Beau tir, on y va.
- Alors, moi, je n’ai rien fait, mais merci”.
Au-dessus du pistolet, pourtant, l’hologramme disait : 20/21. Pas le temps de râler, le Gasqué était déjà parti dans l’artère du camp et déchaînait le feu sur quiconque lui barrait la route.
Diego le suivit d’un pas maladroit, planqué derrière son allié, testa les différentes options de son arme, tenta à travers l’avalanche de sinogrammes et de mots roastbeefs de savoir quel bouton correspondait à quoi, puis, perdant patience, il sortit de sa planque et envoya un tir dans la tête d’un terroriste dont le manque de réflexe confinait au ridicule.
Le Gasqué lui lança un clin d’œil. En fait, le pêcheur trouva que sa cicatrice lui allait bien, qu’elle lui conférait un physique d’acteur. Finalement, le développeur n’avait pas fait un si mauvais choix. Dans un moment d’accalmie, il remarqua, brodé sous la poche avant de son imper, un patch sur lequel était écrit “Maissenç Prades”, soutenu par quatre étoiles argentées.
On arrosa généreusement les ennemis de balles plasmiques – enfin, Maissenç arrosa, pendant que le pêcheur cherchait à augmenter la puissance de ses tirs. Finalement, après ce qui lui avait semblé durer quelques minutes à peine, il put rengainer.
Après l’orgie de sang, de cris et de fumée, le camp retomba dans le silence. Diego en profita pour envoyer une note vocale à Rodric : la simu avait beau être d’un réalisme saisissant, la programmation des IA et PNJ laissait à désirer.
Maissenç, après avoir fouillé la seule baraque aux murs de pierre, envoya une bière à son co-équipier et avala la sienne d’une traite. Il désigna ensuite le bout du village, un escarpement qui donnait à admirer toute la vallée. Tandis que Diego sirotait sa canette – le rendu gustatif était franchement à couper le souffle –, le Gasqué sortit une paire de lunettes-jumelles, scruta les environs, et déclara :“Je vois le QG, à une heure, à moins d’un kilomètre cinq devant nous.”
Il dézippa une grande poche taillée le long de son manteau et laissa sortir une longue toile jusqu’à ses jambes. Il aida son allié à faire de même, envoya valser la canette dans les montagnes, se redressa et déclara, regard perdu dans le lointain :
“Almaric, quand je dirai “qu'ei l'òra de tornar”, tu sautes avec moi, d’accord ?
- Mais, qu’est-ce que ça veut dire ? bredouilla Diego, encore loin d’avoir fini sa bière.
- Allons, j’aurais pensé que tu savais. Ça veut dire qu’“Il est l’heure de rentrer””
Une douce chaleur émanait du sourire de Maissenç. Lorsque le pêcheur vit ses yeux se mouiller, au moment où ils se posèrent sur les siens, il ne put penser qu’un quelconque développeur, aussi talentueux soit-il, put imiter aussi bien l’âme humaine.
Le Gasqué l’aida à se relever, prit une profonde inspiration, et déclara : “Qu'ei l'òra de tornar.”
Alors une immense bourrasque balaya un Diego terrorisé, l’envoya voler à travers les montagnes. Une lumière éblouissante s’éleva au-dessus de lui, enveloppa chacun de ses membres, jusqu’à ce que tout le décor disparaisse. Enfin, le courant d’air faiblit, et le pêcheur aperçut, gravé en énormes lettres sur l’horizon, le message suivant :
"Error a la lectura deu fichèr "HQarea_OP-SPE0805.bcg" lo programa que's va tornar cargar en esperar ua solucion complementària. Contactatz l'administrator tad ua ajuda adaptada."
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