Il est l'Heure de Rentrer (4/5 ; 2024)
La planque, plongée dans la lumière du crépuscule, apparut. Maissenç, couvert d’un épais manteau simili-cuir, sirotait un whisky en scrutant l’extérieur depuis la fenêtre. À l’extérieur, on pouvait apercevoir les silhouettes menaçantes des pics nus.
“T’es enfin réveillé ? fit Maissenç.
- Ouais, c’est bon. Merci.
- Bon, je te fais le topo : on sort de ce trou à rats, on pète tout sur notre passage, on arrive au bout du village, on plonge dans la vallée et on arrive au QG des terroristes. T’es prêt ?
- Et on risque pas de se faire attaquer par en haut ?
- Non, non, t’inquiète pas. Bastien a posté des drones un peu partout sur le chemin, il les torpillera si besoin.”
Almaric soupira, sentit les contours de son flingue dans la poche ventrale de sa combi. Léché par le crépuscule, l’objet générait en lui la même sensation qu’un porte-bonheur. Un peu partout, en petits caractères holographiques, figuraient des statistiques, des mots en gascon, anglais et parfois mandarin. Au-dessus de la lunette de visée, le chargeur était marqué comme plein.
En se retournant, Maissenç révéla sa cicatrice de la Bataille de Bilbao, celle qui naissait du côté droit de sa mâchoire, serpentait le long de sa joue, et s’arrêtait au niveau de l’arcade sourcilière. Rafistolée à la hâte, même Doc Gustavo avait été incapable de la faire disparaître. Dans le métier, les cicatrices correspondaient au prix le plus élémentaire à payer pour s’assurer que les putains de terroristes finissent chacun dans les caniveaux avec une balle dans la nuque.
Prêt à dégainer une clope, Almaric se fit choper par le bras. Maissenç lui ordonna de se lever.
Il approcha de la porte, l’ouvrit d’un mouvement délicat, oublia comme à son habitude de passer d’abord par la caméra manchière, inspecta l’extérieur, et lui fit un signe de main.
Le camp d’Allos tenait plus de la favela basque qu’autre chose. Les bâtiments, recouverts de plaques de tôle et de bois accrochées à la hâte, étaient organisés en file indienne entre deux masses rocheuses.
Maissenç, en l’espace d’un éclair, flanqua une balle dans le crâne d’un terroriste attablé devant un joint et un café. D’un mouvement sec, Almaric éclata celle de l'autre terroriste dans la tasse à son tour.
“Beau tir, on y va.
- Merci, t’as pas perdu non plus.”
Pas le temps de reprendre son souffle, Maissenç était déjà parti dans l’artère principale du camp et déchaînait son QSZ sur quiconque lui barrait la route. Même s’il n’était pas le tireur le plus précis, il avait su se tirer de situations plus compliquées par le passé grâce à ses réflexes phénoménaux. D’un pas discret, Almaric se planqua derrière une grosse caisse, navigua à travers l’interface et régla la force de frappe sur 17,3. Il sortit ensuite de sa planque et abattit un salopard à la recherche d’une couverture.
Son ami lui lança un clin d’œil. Quand Maissenç jouait aux beaux gosses tout droit sortis d’un film, il avait juste envie de lui mettre deux baffes, lui remémorer l’Opération Fébus, histoire de le rappeler à l’ordre.
Les Gasqués arrosèrent généreusement les ennemis de balles plasmiques. Finalement, après avoir consommé deux chargeurs dans un combat qui lui avait semblé durer quelques minutes à peine, Almaric put rengainer.
Après l’orgie de sang, de cris et de fumée, Allos était retombé dans le silence. L’esprit embrumé, le Gasqué se rappela enfin l’objectif principal de l’opé. Il voulut demander à Maissenç si des frappes aériennes étaient prévues, mais ce dernier, après avoir fouillé la baraque des chefs – on les reconnaissait parce que c’étaient toujours les seuls à avoir des murs en pierre –, étouffa ses doutes d’un mouvement de tête et d’une canette de KleineMädchen.
Maissenç avala la sienne d’une traite, et désigna ensuite le bout du village : un escarpement qui donnait à admirer toute la vallée. Tandis qu’Almaric sirotait sa canette – depuis son voyage de noces en Grande Bavière, il était persuadé que les Bavarois avaient la production de bière dans le sang –, Maissenç sortit une paire d’Optikos, scruta les environs, et déclara :“Je vois le QG, trois quarts-d'heure, à moins d’un kilomètre cinq devant nous.”
Il dézippa une grande poche taillée le long de son manteau et laissa sa wingsuit épouser les contours de ses jambes. Il aida son allié à faire de même, envoya valser la canette dans les montagnes, se redressa et déclara, regard perdu dans le lointain :“Almaric, quand je dirai “qu'ei l'òra de tornar”, tu sautes avec moi, d’accord ?
- Ce qui correspond à ?
- Allons, j’aurais pensé que tu savais. Ça veut dire qu’“Il est l’heure de rentrer””
Almaric pensa que son collègue le prenait vraiment pour un idiot, impression confirmée par le sourire qu’il lui lança. Enfin, derrière l’ironie se cachait cette douceur qui lui avait tant manqué. Lorsqu’il vit les yeux de Maissenç se mouiller, au moment où ils se posèrent sur les siens, Almaric ne put penser qu’un jour, les rats d’informatique puissent recréer un tel sentiment de fraternité.
Son ami l’aida à se relever, prit une profonde inspiration, et déclara : “Qu'ei l'òra de tornar.”
Alors une immense bourrasque balaya Almaric, l’envoya voler à travers les montagnes. Une lumière éblouissante s’éleva au-dessus de lui, enveloppa chacun de ses membres, jusqu’à ce que tout le décor disparaisse. Enfin, le courant d’air faiblit, et le Gasqué apparut, gravé en énormes lettres sur l’horizon, le message suivant :
“Execucion deu programa escaduda. Sortida de la simulacion."
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