Chapitre 20 : Le voyage retour
Assise à la terrasse de son bungalow, Luna regardait la route qui serpentait le long du lac. Une petite troupe y cheminait, montant vers le village. Elle n'en croyait pas ses yeux et, après une première réaction de joie, elle sentait maintenant l'inquiétude grandir en elle. Car elle avait reconnu celui qui menait ces hommes.
C'était Alex.
Si elle avait ressenti de la joie et de la surprise à l'idée de le revoir, elle craignait maintenant les raisons pour lesquelles il se trouvait ici. Il lui avait écrit une courte lettre, dans le courant de l'été, lui souhaitant un bon séjour à Bhimtal, mais n'en avait pas dit plus. Elle ne pensait pas le revoir avant son retour à Lucknow, aussi sentait-elle une certaine impatience l'habiter. Car oui, elle était inquiète : ne venait-il pas lui annoncer de mauvaises nouvelles de son grand-père ?
Il lui fallut cependant attendre deux bonnes heures avant de pouvoir s'entretenir avec le jeune homme. Il avait dû se rendre à son arrivée auprès du représentant anglais de la petite communauté, Monsieur Stoner, qui faisait office de responsable local. Ce ne fut qu'ensuite qu'il demanda à être reçu par Dona Luna.
Elle était seule dans le petit salon de la maison où elle résidait pour cet été. Ameera avait elle aussi aperçu le capitaine et s'était arrangée pour le faire entrer discrètement. A peine avait-il franchi la porte que Luna se précipita dans ses bras.
- Alex ! Je suis heureuse et à la fois inquiète de vous voir…
- Pourquoi inquiète ? demanda-t-il avec un petit sourire après l'avoir embrassée.
- Dites-moi vite… Vous ne m'apportez pas de mauvaises nouvelles ? De mon grand-père ?
- Je l'ai vu avant de quitter Lucknow et je peux vous assurer qu'il se portait bien.
- Vous êtes passé à Lucknow ?
- J'ai beaucoup de choses à vous dire, beaucoup à vous faire part… Il y a eu des changements récents à Lucknow. Sir Henry Lawrence a été nommé comme gouverneur, en remplacement de Lord Outram. Il a demandé à ce que je le rejoigne et j'ai quitté mon poste à Bareli. Cela fait à peine un mois que je me trouve à Lucknow, mais je n'ai guère eu le temps de vous en informer, d'autant que je préférais le faire de vive voix, puisque Sir Lawrence m'a rapidement confié l'organisation et l'escorte du voyage retour des familles depuis Bhimtal.
- Vous êtes à Lucknow ?!
Luna n'en revenait pas. Cela allait signifier qu'ils ne seraient plus séparés par la distance, qu'ils pourraient se voir beaucoup plus souvent…
- Oui, désormais.
Elle ferma les yeux et appuya son front contre son torse. Il l'entoura tendrement de ses bras. Lui aussi était heureux de la revoir et avait souri de ses craintes pour son grand-père. Certes, s'il était arrivé quelque chose à Don Felipe, il aurait autant préféré être présent avec elle, voire lui annoncer la nouvelle. Et il comprenait son émotion et ses réactions.
Il l'écarta doucement de lui, prit son visage entre ses mains et la regarda longuement.
- Allez-vous bien ?
- Oui... Oui, vraiment, sourit-elle en retour.
- Etes-vous... seule ?
- Oui... Russell... avait dit qu'il viendrait me rejoindre, mais a finalement changé d'avis. Je vous avoue que j'aime autant...
Alex hocha la tête. Ils pourraient profiter des quelques moments que le voyage allait leur accorder. Il lui sourit et l'embrassa plus longuement. Il désirait ardemment la retrouver plus intimement, mais il savait aussi que ce ne serait peut-être pas possible avant qu'ils reprennent la route. Et encore, il leur faudrait prendre certaines précautions, se montrer discrets...
**
L'arrivée de l'escorte menée par Alex signifia pour les familles la fin du séjour à Bhimtal. Beaucoup étaient heureuses de retrouver maris et proches, de rentrer à Lucknow ou dans les environs. Alex s'était entretenu avec Monsieur Stoner, ainsi qu'avec quelques hommes présents, dont Rodrigo. S'il n'avait tenu qu'à lui, il aurait préféré que les familles demeurassent à Bhimtal, car la situation à Lucknow n'était pas facile et Sir Lawrence devait faire face à de nombreux défis. Néanmoins, l'annonce de sa nomination avait fait baisser d'un cran la tension dans la province. Il avait ouvert les portes de la Résidence à tout plaignant, qu'il soit noble ou simple paysan. Et le défilé avait commencé. Petits propriétaires spoliés, chefs de familles inquiets, nobles plaintifs. Il s'efforçait aussi de tempérer les ardeurs de ceux que son prédécesseur avait qualifiés de "rapaces" et avait, temporairement du moins, annoncé le gel des spoliations. De même que la Compagnie avait annexé toute la province, les marchands souhaitaient s'emparer des biens et des terres par le même procédé : les hommes n'ayant pas d'héritier mâle devraient laisser leurs terres à la Compagnie.
Si Sir Lawrence ne connaissait pas bien la province d'Oudh, en revanche, il avait des années de vie aux Indes, une carrière militaire exemplaire et la pacification du Pendjab à son actif. Il avait laissé là-bas des hommes capables de tenir la grande province du nord-ouest et de protéger les Indes d'une invasion russe. Des hommes comme son jeune frère et comme John Nicholson tout autant admiré que lui-même, si ce n'était plus. Bien qu'à peine âgé de trente-quatre ans, ce dernier faisait déjà figure de héros, parmi tous les corps d'armée de la Compagnie, que les soldats soient britanniques, hindous, musulmans ou sikhs. Servir Sir Lawrence était un honneur, servir John Nicholson une consécration.
Sir Lawrence avait très vite saisi la situation d'Oudh, bien avant d'arriver à Lucknow et même d'être nommé gouverneur de la province. Il avait donc décidé de s'entourer d'hommes qu'il connaissait, en qui il avait toute confiance et qui étaient plus que capables. Alex faisait partie de ces hommes, de même que le neveu de sa femme, de deux ans le cadet d'Alex, et qui avait servi avec lui au Pendjab. Arthur Robinson connaissait bien Alex et les deux hommes allaient vite s'entendre à merveille pour seconder Sir Lawrence. Si ce dernier se voyait plutôt confier les missions dans les petites villes et villages, Arthur quant à lui faisait son possible pour maintenir l'ordre en ville.
C'était à tout cela qu'Alex songeait alors qu'il avait donné le signal du départ. Ils n'avaient pu prendre la route qu'après quelques jours, le temps que les familles préparent affaires, malles, montures et voitures. Les soldats qui faisaient partie de l'escorte étaient pour moitié britanniques et pour moitié hindous. Et Nagib était avec lui.
Le voyage allait durer une dizaine de jours. Il espérait bien pouvoir passer un peu de temps avec Luna au cours de ces journées, mais ils se devaient d'être très prudents s'ils voulaient éviter tout soupçon et tout commérage. Aussi s'était-il borné à profiter d'une seule soirée en sa compagnie et en celle de Rodrigo et de sa femme. Et il avait dormi chaque soir chez Monsieur Stoner.
Ce fut seulement le troisième soir de leur voyage qu'il put faire en sorte que sa chambre soit voisine de celle de Luna. Après le dîner, et comme il en avait l'habitude, Alex fit le tour du dâk-bungalow où ils se trouvaient. Il avait choisi les étapes avec soin, s'arrêtant dans les villages qui offraient suffisamment de possibilités d'hébergements pour toutes les familles et leur escorte. Nagib était parti en reconnaissance dans le village, discutant avec les uns et les autres, en profitant pour sonder les esprits, savoir comment était ressentie l'annexion dans cette partie de la province.
Les soirées étaient plus fraîches, maintenant que la mousson était passée et qu'une sorte d'automne indien s'installait. Néanmoins, en gagnant la plaine, on perdait l'air agréablement frais de la montagne. Alex fit le tour du jardin, puis regagna sa chambre. Tout était calme. Il passa dans la véranda qui pouvait aisément communiquer avec la chambre voisine, celle de Luna. Elle se glissa près de lui, comme si elle l'avait attendu et guetté.
Pour éviter d'être vus de l'extérieur, même s'il y avait peu de risques compte tenu de la configuration de la maison, Alex l'entraîna bien vite dans la chambre. Ils s'embrassèrent avec ferveur, heureux de se retrouver enfin seuls.
- J'ai bien cru ne pas pouvoir vous rejoindre... fit Luna le souffle rendu un peu court par les baisers d'Alex.
- Soyez sans crainte... De ce que j'ai repéré lors du voyage aller, nous devrions pouvoir nous retrouver encore au moins une fois, voire deux.
Elle lui sourit et il reprit ses lèvres avec passion. Et, tout en l'embrassant, il commença à lui ôter son sari.
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