Chapitre 60 : Pedro sera mon frère
Henry Havelock et James Outram avaient laissé des troupes à l'extérieur de la ville, au fort d'Alam Bagh. Ils espéraient que l'armée britannique le tenait toujours, mais il leur était impossible d'établir un contact sûr avec elle. Il fut alors décidé d'envoyer des volontaires jusqu'au fort pour organiser les opérations à venir et, notamment, l'évacuation des familles et des blessés.
Alex se porta volontaire pour cette mission, mais cela fut refusé au titre qu'il était officier et qu'en cas d'échec, il ne fallait pas priver les assiégés de commandement. Nagib demanda alors à faire partie de cette expédition et ce fut Pedro qui l'accompagna. Ils pouvaient passer pour deux frères et se vêtir à l'indienne, comme deux jeunes Hindous. Ils convinrent entre eux d'une fable à raconter si on leur posait des questions. Tous deux connaissaient parfaitement la ville et s'ils étaient amenés à se séparer, ils pourraient soit gagner Alam Bagh, soit revenir à la Résidence. Mais la consigne était qu'ils ne se séparent qu'en cas d'extrême nécessité.
Alex et William avaient décidé de taire cette mission à leurs épouses, ainsi qu'à Brenda pour ne pas les effrayer, mais le jeune capitaine mit cependant Don Felipe au courant. Leur entrevue demeura secrète et Don Felipe donna finalement son accord. Un temps, on avait pensé à envoyer avec Nagib l'un des élèves de la Martinière ou même le fils d'un des autres officiers, mais aucun ne parlait aussi bien hindi que Pedro et ils avaient aussi la peau claire, ce qui pourrait alerter les gens qu'ils croiseraient. Alors que, en tant que jeune Espagnol, Pedro pouvait très bien passer pour un Indien, pour peu qu'il soit vêtu comme tel. De plus, il connaissait bien les coutumes et avait parcouru la ville en tous sens, il saurait s'y repérer sans difficulté. Le jeune adolescent n'avait pas peur et avec Nagib à ses côtés, il était certain de réussir sa dangereuse mission. C'était en effet lui qui porterait le message au commandant d'Alam Bagh, car Sir Lawrence avait estimé que ce serait moins risqué. : s'ils étaient arrêtés, les soupçons se porteraient d'emblée sur Nagib, en tant qu'adulte, alors qu'on prêterait moins cas d'un adolescent.
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- Soyez prudents, dit William alors qu'ils se trouvaient tous près de la porte Bailey qui allait être entrouverte pour permettre aux deux messagers de sortir de l'enceinte de la Résidence.
- Je veillerai sur Pedro, il reviendra sans une égratignure, dit Nagib alors qu'un mince sourire éclairait son visage.
Ils quittaient la Résidence à l'aube, alors que le jour se levait à peine. Si leur parcours se déroulait sans encombre, ils devraient pouvoir atteindre Alam Bagh dans la journée, au plus tard, en milieu d'après-midi, de ce qu'ils avaient tous évalué. L'une des difficultés qu'ils rencontreraient serait aussi de ne pas être inquiétés par les troupes britanniques quand ils arriveraient dans les alentours du fort. Aucun des deux n'était armé, hormis d'un couteau, et Nagib en portait à son flanc un népalais du nom de kukri, qui pouvait être tout autant une arme qu'un couteau d'usage quotidien. Beaucoup d'Hindous de la région en portaient un, car les échanges avec le Népal étaient courants.
Si Alex et William se trouvaient là en compagnie de quatre soldats chargés d'ouvrir la porte et d'assurer la sécurité de la sortie des deux messagers, Sir Lawrence aussi était présent.
- Nagib, Pedro, pas d'héroïsme superflu. Fondez-vous dans la population, faites-vous oublier et soyez discrets. Je sais que je peux compter sur vous.
- Pedro sera mon frère, dit simplement Nagib.
Et cela fut suffisant comme paroles pour les trois hommes pour les laisser partir en toute confiance. Sir Lawrence donna alors l'ordre d'ouvrir la porte, Nagib suivi de Pedro se glissèrent par l'entrebâillement et se coulèrent dans les ombres du petit matin. Bientôt, seuls leurs pas furent perceptibles et encore, durant quelques instants seulement, aux oreilles de leurs amis.
Mais Sir Lawrence, Alex et William demeurèrent un long moment près de la porte Bailey, comme incapables de s'en éloigner alors que leurs amis partaient pour une des missions les plus dangereuses que le siège les obligeait à mener.
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- J'y vais.
La voix d'Alex fit se retourner William. Depuis la fin de la matinée, le capitaine avait rejoint son ami qui avait en charge le secteur sud de la Résidence. William n'avait pas quitté son poste d'observation et surveillait la ville, guettant un signe de Nagib ou de Pedro, mais en espérant toutefois ne pas en recevoir trop vite, ce qui signifierait leur échec.
William eut tout le juste le temps de se retourner qu'il vit qu'Alex était déjà en bas de l'escalier, puis traversait les jardins en direction de la Résidence. Du haut de la tour, la vue pouvait porter assez loin et un sémaphore rudimentaire était en cours d'installation. C'était un des éléments que Nagib et Pedro devaient porter à la connaissance du commandement à Alam Bagh, afin qu'ils ne soient plus, désormais, coupés du monde et qu'ils puissent organiser la suite des opérations militaires plus aisément et conjointement entre les troupes tenant la Résidence et celles se trouvant à l'extérieur de la ville.
Rapidement, Alex gagna le haut de la tour. Bien que très touchée par les tirs, bien que ses murs portassent la marque de nombreux coups de canon, elle tenait encore debout et allait leur être très précieuse pour envoyer des messages. Il croisa plusieurs élèves de la Martinière qui avaient conçu le sémaphore et en installaient les éléments depuis quelques jours. L'un deux lui fit savoir qu'ils étaient presque prêts.
Il s'approcha du sémaphore, observant les jeunes gens en train de réaliser les derniers ajustements. Puis son regard se porta plein sud, en direction d'Alam Bagh. Si tout s'était bien passé pour Nagib et Pedro, à l'heure qu'il était, ils devaient être en approche du fort.
- Nous allons pouvoir procéder à un essai.
La voix d'un des élèves, parmi les plus âgés et qu'Alex avait même vu combattre certains jours de septembre, se fit entendre et le tira de ses réflexions. Il assista alors aux diverses manipulations. Il pouvait percevoir l'attente et l'impatience des jeunes gens, qui guettaient un retour depuis Alam Bagh. Enfin, un signal fut perçu et il en soupira de soulagement : Nagib et Pedro avaient réussi leur mission.
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