Chapitre 62 : Vous êtes ma vie

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Don Felipe et Brenda apprirent la nouvelle avec une certaine philosophie. Cela ne les empêcha pas d'exprimer plus ouvertement leur inquiétude pour Alex et William. Malgré la demande de Pedro de demeurer avec les soldats, Don Felipe la refusa : le jeune adolescent avait pris suffisamment de risques au cours des mois passés, il voulait le ramener sain et sauf à ses parents. Isabella ne lui pardonnerait jamais s'il arrivait quelque chose à Pedro.

Les quelques jours les séparant de l'arrivée de la troupe du général Campbell furent mis à profit pour préparer au mieux l'évacuation des familles et surtout des blessés. Si des troupes demeurèrent mobilisées pour surveiller les mouvements des rebelles, voire mener quelques attaques, la plupart des hommes valides furent mis à contribution pour organiser cette évacuation. Il fallait préparer des chariots, prendre soin des chevaux, prévoir aussi les armes et les munitions en quantité suffisante pour les soldats de l'escorte, du moins, ceux qui quitteraient la Résidence. Ils seraient remplacés par des hommes de Campbell.

Alex et William furent en partie détachés de leurs obligations d'officiers par Sir Lawrence, afin qu'ils puissent profiter au mieux de quelques moments avec leurs épouses et enfants. Le lendemain de l'annonce de leur départ, Alex put passer une petite heure avec Luna. Il était venu la rejoindre sous la tente, Myriam s'était endormie après sa tétée du soir. Ils avaient aussi tous pris leur repas et elle pouvait s'octroyer un moment de tranquillité. Il la mena au-delà du palais de la Begum, à un endroit où les jardins avaient été épargnés par les combats. Disons qu'il en restait des vestiges, contrairement à ceux se trouvant entre le palais et la Résidence et qui n'étaient plus qu'un vaste campement militaire.

Il lui avait offert son bras et ils marchèrent un moment en silence, jusqu'à ce qu'ils eurent dépassé le palais. Il était un des rares bâtiments du quartier à avoir été pratiquement épargné par les tirs et les destructions et pouvait encore remplir son rôle d'abri pour les familles. Mais Luna ne pouvait s'empêcher de songer aussi qu'il avait été un effroyable mouroir. Elle n'avait eu que vent de ce qui s'y était passé, de ces morts qu'on trouvait par dizaines chaque jour quand le choléra avait sévi. Ils avaient eu de la chance, son grand-père, Sophie, Brenda, Ameera, Satya et elle. Oui, ils avaient eu beaucoup de chance d'avoir pu demeurer à l'abri de ce fléau. Elle en reprit pleinement conscience alors qu'ils faisaient le tour du bâtiment, Alex et elle.

Le jeune homme ne s'arrêta pas au palais et poursuivit leur promenade dans ce qui était donc encore des jardins. On y voyait toujours des arbres, de nombreux fruitiers notamment, dont les fruits avaient offert un apport non négligeable aux ressources alimentaires des réfugiés.

- Alex, demanda-t-elle alors qu'ils faisaient quelques pas dans une allée arborée et presque exempte des marques du siège, est-ce que vous serez vraiment en sécurité ici ?

- Autant que possible, oui. Et bien plus qu'au cours des derniers mois, je peux vous l'assurer.

- Comment cela serait-il possible ? La plupart des bâtiments ont été touchés, la Résidence est en ruine, vos baraquements ne valent guère mieux...

- Certes, mais cela n'a pas grande importance, dit-il. N'oubliez pas que, désormais, la Résidence n'est quasiment plus touchée par les tirs des rebelles, hormis au nord et au sud. Le fait d'avoir pu occuper les palais voisins a permis d'agrandir la zone que nous contrôlons, mais aussi la protection de ce quartier. De plus, le général Campbell va arriver avec des troupes en nombre important, plus nombreuses encore que celles que le général Havelock a pu mener jusqu'ici. Nous pourrons tenir dans de bien meilleures conditions, avec des armes et des provisions en quantité. Et nous ne serons plus que des soldats.

- Vous n'aurez plus à vous préoccuper de femmes et d'enfants, de malades...

- Oui, répondit-il avec sérieux. Et cela changera considérablement la donne. Mais je ne veux pas que vous pensiez avoir été une charge pour nous. Sans vous, nous n'aurions peut-être pas pu résister au découragement et vous nous avez été d'une aide précieuse aussi pour organiser le siège, permettre qu'il se tienne dans des conditions quand même... humaines. Une femme aussi organisée que Lady Honoria nous manquera. Des femmes aussi généreuses et désintéressées qu'Ameera ou vous nous manqueront aussi. Mais vous ne pouvez pas rester.

- Je l'ai bien compris, dit-elle en s'arrêtant pour le regarder. Mais vous ne pourrez pas empêcher l'inquiétude de nous dévorer.

Il lui rendit son regard et la prit doucement contre lui.

- Je sais, dit-il. Et je demeurerai inquiet pour vous, moi aussi. Mais je me rassurerai en vous sachant à Calcutta, une ville sûre, avec des proches. Rodrigo et Isabella seront soulagés de vous revoir tous, et prendront soin de vous, de même que votre grand-père. Et je peux vous assurer que le siège ne durera plus, désormais. Nous avons repris le contrôle du pays, des concessions de la Compagnie des Indes. Une nouvelle organisation va se mettre en place ; de ce que nous avons entendu dire, la Reine elle-même y veille très sérieusement et c'est une question qui la préoccupe grandement.

Luna hocha la tête. Elle croyait ce que lui disait Alex, mais elle avait du mal à le réaliser, à se projeter au-delà de l'évacuation. Elle ne parvenait pas à imaginer la vie qu'ils mèneraient, eux les réfugiés de la Casa de los Naranjos, quand ils seraient à Calcutta. Elle ne parvenait pas à imaginer qu'elle pourrait reprendre, d'ici une à deux semaines, une vie normale.

Alex la serra un peu plus étroitement contre lui et reprit :

- Ne perdez pas confiance, mon aimée. Veillez sur notre fille, soutenez Sophie et acceptez son soutien quand l'une ou l'autre flanchera. Votre vie à tous ne sera plus en danger et cela n'a pas de prix pour moi. Cette idée sera mon réconfort.

- Oui, bien sûr, sourit-elle doucement comme pour s'encourager mutuellement. Et je sais que Nagib et William seront à vos côtés. Cela sera notre réconfort, à Sophie et moi-même.

- Vous pouvez sans limite vous raccrocher à cette idée, lui sourit Alex en retour.

Puis il se pencha vers elle et l'embrassa longuement, tendrement.

- Je vous aime, lui souffla-t-il. Vous êtes ma vie.

Trop émue, Luna ne put lui répondre, mais elle se blottit plus étroitement contre lui. Et eut alors le sentiment d'une fusion plus étroite encore que les circonstances ne pouvaient le leur permettre.

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