- Elle est infiniment courageuse, dit Don Felipe alors qu'ils demeuraient sur le seuil, Luna et lui, après que le roulement de la voiture de Lady Honoria s'était tu.

- Oui, souffla Luna, la gorge serrée. Je ne sais pas... Si je pourrais être aussi forte qu'elle.

Son grand-père tourna son visage vers elle et la regarda avec inquiétude.

- Luna... Ma chérie... Alex est jeune et en pleine santé. Il est bien entouré aussi. Tu n'as pas de crainte à avoir...

- Ce que vous dites est vrai, grand-père, mais...

- Allons, mon enfant... Rentrons. Il n'est pas bon que tu restes trop longtemps debout. Et ces dernières journées ont quand même été éprouvantes. Il faut que tu te reposes avant que nous ne partions pour Bhimtal.

Luna ne résista pas et se blottit entre les bras du vieil homme. Un peu maladroitement, tant à cause de sa propre émotion que parce que ses mains tordues ne pouvaient lui permettre de gestes précis, il lui caressa le dos et les épaules.

- Luna... Un deuil est toujours un moment terrible à affronter. On se sent comme... Comme privé d'une partie de nous-mêmes. Mais on se doit de regarder devant nous, surtout quand nous avons des responsabilités et des enfants, des proches qui comptent sur nous. Nous nous appuyons aussi sur eux. Quand... Quand ton père est mort, après sa mère, ça a été une épreuve terrible pour moi. Ta mère, puis ma femme, puis mon fils... Tant de départs en si peu de temps... Mais tu étais là. Je ne pouvais pas flancher et m'écrouler parce que tu étais là. Dieu voulait que je demeure en vie, je ne pouvais pas les rejoindre, pas encore, parce que tu étais là... Et aujourd'hui... Aujourd'hui, j'aspire à demeurer en ce monde le plus longtemps possible pour être toujours à tes côtés, mais aussi pour Myriam et pour l'enfant que tu portes. J'ai confiance en Alex. Il sera toujours auprès de toi.

Les mots tout autant que l'étreinte du vieil homme apaisèrent Luna. Elle finit par s'écarter lentement de lui.

- Vous avez raison, grand-père. Je vais aller me reposer un peu.

**

- Elle se repose, Alex.

Il fixait sa mère avec inquiétude. Elle tenta de le rassurer, d'une voix réconfortante :

- La visite de Lady Honoria l'a beaucoup touchée et émue, mais aussi fatiguée. Luna a préféré s'allonger. Ameera m'a dit il y a quelques minutes qu'elle dormait encore. Nous avons décidé de la laisser tranquille et de commencer le dîner sans elle. Et sans vous, ne sachant pas à quelle heure vous alliez rentrer.

- Vous avez bien fait, soupira-t-il.

Alex était rentré plus tardivement que d'habitude ce jour-là, comme cela se produisait parfois, et il lui arrivait de prendre le repas en cours. Il s'assit aux côtés de sa mère, alors que Nadja lui apportait un premier plat, maintenu au chaud en cuisine. Il la remercia avec chaleur.

- Comment va Lady Honoria ? demanda-t-il d'emblée.

- Elle tient bon, répondit Don Felipe. Elle est très courageuse, comme nous le savions déjà. Elle nous a fait part de son souhait de retourner désormais en Angleterre, pour être auprès de ses enfants et petits-enfants. Elle sera bien entourée.

- C'est certain. Elle fait bien, dit Alex.

- Elle a tenu aussi à vous encourager, mon fils, vous et William, et tous ceux qui partagent votre vision. De continuer à agir comme vous l'avez toujours fait, comme Sir Henry le faisait, dit Sonya.

- Et elle a ajouté que ce serait le plus bel hommage que vous pourriez lui rendre, Alex, compléta Don Felipe.

Le jeune homme hocha la tête, puis s'absorba dans son repas. Il n'avait pas tellement envie de parler, et se doutait des propos que Lady Honoria avait pu tenir. Sans doute que ses proches les lui rapporteraient plus en détails plus tard. L'essentiel, pour lui, était de retrouver rapidement Luna, si elle ne les rejoignait pas d'ici peu.

Ils finirent de dîner dans un silence recueilli. Mais pour une fois, Alex s'abstint d'aller faire sa petite promenade dans les jardins pour fumer et gagna la chambre sans s'attarder.

Il y retrouva Luna endormie et demeura un moment à la regarder. Comme lorsque Myriam était bébé et même encore maintenant, quand il lui arrivait de profiter de son sommeil pour s'emplir de sa sérénité, il savoura la vision apaisante que lui offrait sa femme.

"Qu'il est étrange", songea-t-il, "de savoir que nous nous sommes connus si jeunes et que le sentiment amical et fraternel que nous partagions alors soit devenu si fort... Mon amour, mon cher amour... En ces heures douloureuses, vous êtes ma paix et mon réconfort. Je vous aime. Oh comme je vous aime !"