Neavia - 3.1
La nuit fut courte et Neavia ne trouva que peu le sommeil.
Le doute avait assailli ses pensées, les événements du Külan jouaient en boucle dans sa tête avec bien sûr le refus des anciens ainsi que de la majorité des membres du clan. Mais le plus dur fut surtout le silence de son père. Comment un pareil chasseur, un tel homme, pouvait-il abandonner l’un de ses enfants ?
Était-il devenu faible avec l’âge !?
Non… se convainc-t-elle. Non…
La jeune femme ouvrit alors les yeux en sursaut, arraché à sa difficile nuit. Son regard toujours trouble dévoilait la maison légèrement éclairée qui l’entourait, son foyer. C’était une petite salle creusée dans la roche bordant le centre du village et son dôme. Une pièce à l'agencement réfléchi pour optimiser la moindre place offerte à ses occupants. S’étirant tel un félin encore groggy et fatigué, Neavia se mit debout.
Les bruits de l’extérieur résonnaient avec faiblesse dans la demeure. Le hameau se réveillait lui aussi et la pluie semblait s’abattre en exerçant un lent clapotis contre les murs et les protections des fenêtres. C’était comme une cacophonie de doux bruits uniquement hachés par le distant orage qui grondait. La jeune chasseresse se vêtit péniblement de ses habits qui reposaient non loin de sa couche sommaire. Le feu mourant au centre de la pièce les avait séchés, chauffés durant la nuit, et ceux-ci finirent de réveiller Neavia lors de leur contact contre sa peau.
Dalbör, son père, avait tout de même passé la soirée à parlementer avec les anciens. Échangeant sur la meilleure marche à suivre. Mais Neavia connaissait la décision finale, elle savait que Kïron allait être abandonné à son sort, les vieux décideurs avaient fait leur choix, ils traçaient le chemin du clan.
Un chemin différent de celui de Neavia.
Dalbör semblait absent de la demeure et la jeune chasseresse se dépêcha. Elle en profitait pour finir de préparer ses affaires en vue du voyage plus que long qui s’annonçait. Son sac de cuir fut vite rempli de divers objets allant des munitions aux simples réserves de nourriture et ceci fait, elle se décida à quitter sa maison.
Elle s’arrêta proche du mur de l’entrée et vit les armes de la famille reposer sur leurs supports. L’un d’eux était d’ailleurs orphelin de son occupant. Neavia saisit son arbalète, vérifia son mécanisme à levier et s’accorda un dernier regard en arrière avant de se lancer dans l’inconnu. Mais alors qu’elle s’apprêtait à ouvrir la porte, ce fut son père qui en franchit le seuil .
—Hé bien jeune fille ! commença-t-il d'un air étonné. Tu t’en allais sans même me dire au revoir !?
— Il y a une bonne raison pour cela…
— Toujours en colère à cause du rassemblement à ce que je vois.
— Les vieux croulants ont fait leur choix, la lâcheté.
— Un peu de respect, dit cette fois Dalbör en rabrouant sa fille. C’est l’expérience qui les fait choisir. Ils en ont plus que toi ou moi, sache-le.
— C’est l’expérience qui te fait fléchir aussi facilement pour abandonner Kïron !? Tu avais promis à mère pourtant, tu lui avais dit…
— Tu crois que je ne m’en souviens pas ! répondit cette fois Dalbör en élevant la voix le visage crispé. Ha… et moi qui voulais seulement te souhaiter bonne chance, regarde comme tu me pousses à bout en parlant de sujet blessant.
— Me souhaiter bonne chance ? s’exclama-t-elle. Je pensais que tu tenterais tout pour m’en dissuader.
— On ne peut aller contre la nature des choses. On ne peut garder un oiseau de proie en cage. Si je fais tout pour que tu restes ici, tu trouveras bien un moment pour me fausser compagnie. Pour fuir à pas de loups durant la nuit. Ou plutôt au petit matin comme aujourd’hui. Tu es ma fille, je sais très bien que tu ne pourrais rester là sans rien faire. Alors je préfère te souhaiter bonne chance que t’enchaîner au village. Quoique l’idée ne me serait plus si étrangère à bien y réfléchir…
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que Neavia s’était jetée vers lui pour le serrer fort.
— Doucement là, qu'y a-t-il donc ? fit Dalbör en caressant le dos de Neavia.
— Je pensais à mal… Que le sort de Kïron ne t’importait peu.
Une larme coulait sur sa joue de la jeune chasseresse.
— Chut voyons, sèche ses larmes, il n’y en a nul besoin. Te voir partir sans t’accompagner me brise le cœur, mais j’ai juré de protéger ce village, je dois y rester, c’est mon devoir. Je savais que tu allais probablement disparaître ce matin, je voulais donc simplement te donner ça avant que tu ne te lances dans ton voyage.
Il défit face à Neavia un tissu qui renfermait un ancien Tcepeş. Lorsqu’elle le prit dans ses mains, Neavia reconnut sa forme, ses décorations. C’était celui de sa mère. Elle fixait les yeux de son père, il n’y avait nul besoin de parler à ce stade.
— Ainsi, c'est comme si nous étions tous les deux avec toi… allez maintenant pars. Il y a des personnes qui t’attendent.
Le regard d’incompréhension que lançait Neavia à son père disparu quand elle ouvrit à son tour la porte pour apercevoir les quelques guerriers qui patientaient face à la demeure.
Une dizaine de formes se tenaient protégées de la pluie qui tombait sur le village. Les longs habits de cuir et de tissus qu’ils arboraient étaient agrémentés de lourds sacs comparables à celui de la chasseresse. Masque, armes, outils couvraient leurs nombreux ceinturons et leurs capuches cachaient la plupart de leurs têtes sauf une que Neavia reconnut immédiatement.
— Tu ne pensais quand même pas partir toute seule !? se permit Druïg à la grande surprise de Neavia.
— Ce n’est pas toi qui disais que Kïron et les autres étaient morts.
— Croire et espérer sont deux choses bien différentes, se défendit Druig.
— Tes mots semblent avoir trouvé leur chemin, dirait-on, lança Dalbör derrière Neavia.
— Familles, amis, résuma Druïg. Beaucoup de disparus nous importent. Tu n’es pas la seule à vouloir les sauver.
— Les anciens ne sont pas nous. Le clan est encore libre et nous avons le choix d’agir, dit un des chasseurs présents.
— Ou tout du moins nous le prendrons. Car quel possibilité a-t-on vraiment face à l’Empire ? Si on recule devant un ennemi aussi dangereux, c’est qu’on baisse déjà les armes par faiblesse, qu’on le laisse gagner. Chaque minute qu’on perd rapproche les prisonniers de la mort. Les chasseurs n’auraient jamais eu confiance en toi, en ta jeunesse. Mais moi… oui.
Druïg était respecté, Neavia le voyait bien.
— On part tous avec toi.
—Si on restait là, on ne pourrait plus se regarder dans une glace, fit un autre.
— Une tâche impossible et une chance minime de succès, pourquoi me tenir à l’écart ? demanda un des hommes en donnant une accolade à Druïg.
Souriant face à cet assemblé uni en un but commun, Neavia reprit la parole.
— Alors, ne perdons pas plus de temps !
Tandis que les chasseurs quittaient la demeure de Neavia. Cette dernière, qui les suivait, se retourna vers son père, lui chuchotant un simple « merci » qu’il comprit bien facilement.
Les larmes coulaient sur ses joues et la jeune femme se cachait le visage sous le couvert de sa capuche. Elle imaginait bien Dalbör à présent, fier et fort comme un roc, sûrement dans un état comparable au sien.
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