L’action se passe entre 00h00 et 01h00 à Paris

— Sergueï, Sergueï !

Le gars s'égosille dans le téléphone. Je mets l'ampli et nous sommes tous les trois, moi, Gréta, Günther, à fixer l'appareil comme trois gorilles écoutant Mireille Mathieu sur une cassette au milieu de la jungle. Le papy dort très profondément, dans un rêve éthylique entre cépages millésimés et vendanges tardives.

Et encore le phone :

— To jsem jà, Adrian !

Günther me l'arrache des mains en me disant que c'est du russe et qu'il le parle couramment. Je le crois sur parole vu ses antécédents avec ses potes du KGB. Il prononce à peine deux mots qu'un bip bip international compréhensible de tout le monde clôt la conversation.

Günther reste confus et dit qu'il a peut être confondu avec du Tchèque. J'ai encore l'arme dans les mains et deux cent mètres de nerfs dans mon corps ont tissé un filin capable d’arrimer un Rafale ce qui m'empêche de rompre les accords de Schengen sur la libre circulation des Günthers et de lui tirer une balle dum-dum de bienvenue dans la tête. Mes nerfs ont repris leurs formes initiales au bout de deux longues minutes et Gréta m'enlève délicatement le flingue des mains avec la précaution d'un démineur.

Günther est en train d'examiner le mort et remarque un tatouage sur la cheville.

— Ce gars est du KGB ! s'exclame t-il.

— Russe ou Tchèque ! je lui réponds.

Comme il a le sens de l'humour d'une crevette, il continue ses investigations pour conclure : C'est un agent des forces spéciales Tchétchènes. Je reconnais le logo tatoué : Un trèfle bleu à tête de loup.

— Et alors ?

— Et alors, cet homme est un assassin professionnel, un mercenaire, capable de tuer une mouche en plein vol avec une aiguille à tricoter.

— Et ça nous mène où, ta mouche en mohair ?

Gunther se met la main sous le menton pour réfléchir se qui me fait penser à une tête de veau sur un étalage de boucherie. Et pour la énième fois, c'est quand tu t'y attends le moins que le miracle se produit.

— Il a un numéro à côté du trèfle, je vais savoir qui il est, d'où il vient, le rôle qu'il joue dans cette histoire, le moindre détail sur sa vie.

Je me repens d'avoir douté de ses capacités, c'est vrai que c'est un professionnel de la Stasi avec un fichier souterrain sur des tonnes de gens. J'ai envie de le prendre dans mes bras pour le féliciter. Je le vois s'éloigner avec son smartbraun et je lui demande :

— Que fais-tu Gunther ?

Il se retourne et lève le bras avec le smart au bout des doigts et dit:

Je sors, je reçois rien ici, j'arrive pas à me connecter sur Google.