La princesse - 2° partie

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Meublée d’un lit rudimentaire, d’une petite table, d’un coffre et de deux chaises, la pièce n’égalait en rien l’opulence des habitats princiers. Un environnement spartiate qui ne me dérangeait guère. Krys et ses soignantes me déposèrent sur la table recouverte d’une serviette et de coussins. Je saisis l’intérêt à la vue de la cruche d’eau bouillante.

— Voici Tamara, Guenièvre et Olga, présenta Krys. Des soldats aguerris et soignantes compétentes. Elles vont vous préparer pour les soins.

Je saluais les trois jeunes femmes. Allégées de leurs protections, elles portaient des vêtements légers d’une grande simplicité. Près d’elles, un ensemble de fioles et de bocaux posés à même le coffre attira mon attention. Un bouquet d’agréables senteurs naturelles parvint à mes narines.

— Après cela, je reviendrai inspecter vos blessures et adapter les soins. Pour le moment, nous, les hommes, nous nous sauvons.

Il sortit, emmenant avec lui Jérôme et Antony. J’appréciai le geste. Lui-même n’y était pas obligé. Les soignantes me présentèrent une tisane bien chaude que je parvins à boire grâce à une position légèrement inclinée. Elle délivra dans mon palais une palette de saveurs que je ne reconnus pas vraiment.

— La tisane fait-elle partie des soins ?

— Oui, répondit Tamara. Il s’agit d’un mélange de plantes apaisantes dont certaines atténuent la douleur. Nous en appliquerons d’autres sur vos plaies.

Elles ne perdirent pas de temps. Je n’avais pas terminé le breuvage qu’elles entreprirent de me déshabiller. La tâche s’avérait ardue. Heureusement, elles disposaient de ciseaux performants.

— D’où viennent ces ciseaux ? Vous attaquez le métal avec ?

— Tant qu’il n’est pas trop épais, oui. Ils viennent de notre fabrique.

— Vous vous êtes sauvés du pays des Galiens et vous y possédiez une fabrique ?

— Nous avons campé assez longtemps au même endroit dans le désert, répondit Tamara. Nous sommes nombreux. Cent-cinquante-trois bouches à nourrir ! Il fallait nous installer.

— On s’attendait tous les jours à combattre, ajouta Olga. Nous avions besoin d’armes performantes. Nous avons construit une fonderie, et nous nous sommes entraînés tous les jours avec des armes bien meilleures que celles que nous avions emmenées.

— Mais comment votre armement est-il devenu si performant ?

— Krys, celui qui vous a amenée ici. Il sait beaucoup de choses.

Je commençais à m’en douter.

— Avez-vous remarqué qu’à part moi, aucune femme ne combat parmi nous ?

Elles me dévisagèrent. Olga réagit la première.

— Sont-elles… sont-elles toutes tombées au combat ?

— Non. Disons que… C’est impensable chez nous.

— Impensable ?

Les trois soignantes cessèrent toute activité. Je ne désirais pas m’étendre sur le sujet.

— Comment nos hommes réagissent-ils à votre présence ?

Elles se regardèrent, le sourire aux lèvres.

— Ils nous observent tout le temps… consentit à reconnaître Guenièvre.

— Ce n’est pas étonnant, c’est nouveau pour eux.

— Nous jugent-ils ?

Tamara avait posé la question tout en opérant avec précaution, cherchant à séparer cuir et ferraille de la blessure. La douleur m’empêcha de répondre sur le moment.

— Non, vous leur sauvez la vie. Pour autant, ils ne sont pas habitués à la présence d’autant de femmes parmi eux. C’est la raison pour laquelle ils vous observent. À mon avis, ils sont impressionnés.

— Impressionnés par quoi ? s’enquit Olga.

— Vous avez tenu le choc. Ils pensent que la guerre n’est pas faite pour les femmes. Vous venez de leur prouver le contraire ! Si je ne me trompe, ils sont épatés. Surpris et épatés.

J’inspectai les ingrédients répartis dans la chambre.

— À quoi servent les fioles et les feuilles que je vois, là ?

— Les fioles contiennent des potions issues de plantes que nous concoctons. Les feuilles viennent juste d’être récoltées. Elles vont servir à confectionner compresses et extraits.

— Les garçons devraient amener du miel frais et de la propolis, ajouta Olga.

— De la propolis ?

— Oui, les abeilles entourent leurs ruches de cette substance pour éloigner les germes. C’est très puissant. Nous en répandrons sur vos blessures.

— Mieux vaut que Jérôme, notre soignant, ne voie pas tout cela. Il utilise d’autres méthodes.

— Sont-elles efficaces ? demanda Guenièvre, intéressée.

— Ce sont celles que nous utilisons.

De nombreuses questions me vinrent à l’esprit mais je ne savais par où commencer. Entre deux gémissements étouffés, je me lançai.

— Ainsi vous demeuriez dans le Grand Sud ?

— Oui, vous connaissez ?

— Une région à l'extrême sud-est, dit-on, je ne la connais que de nom.

— Les terres aboutissent à une côte escarpée, hostile. Balayée par les embruns et les vents violents, la végétation y est sporadique, l'habitat rude. Dans la montagne attenante, nous avons trouvé refuge dans des grottes.

Après avoir péniblement enlevé le dernier lambeau de vêtement et de cuirasse, elles me lavèrent. L’eau bouillante avait déjà perdu de son mordant.

Affairées autour de moi, elles révélaient une belle assurance dans leurs gestes. Je commençais toutefois à douter de mes choix. En quoi un ancien esclave et ses amies pouvaient posséder une science supérieure à la nôtre ?

— Et vous avez appris la médecine chez les Galiens ?

Je cherchais à évaluer leurs connaissances, mais aussi à mieux connaître ce groupe si organisé. Leur récit me fascinait, je buvais leurs paroles tout en profitant de leurs soins.

Leur condition d’esclave ne leur avait pas permis d’évoluer. Tamara et Olga étaient danseuses, Guenièvre, ménagère. Les garçons, gladiateurs ou au service de riches marchands. Une bonne part de ce qu’ils connaissaient provenait de Krys lors de l’année qui suivit leur fuite.

Alors qu’elles détaillaient cette période de leur existence, j’allais de surprise en surprise. Tacticien hors-pair, Krys possédait en outre une solide expertise en médecine comme dans bien d’autres domaines. Dans ces moments difficiles, je devinais combien sa science pourrait nous être utile.

Les méthodes particulières utilisées en médecine en faisaient partie. Qu’il s’agisse de plantes médicinales, de résines, de champignons ou d’algues de toutes sortes, il semblait capable d’identifier les substances utiles aux soins, au tissage de vêtements, à la couleur ou aux savons. Toutes ces connaissances, il les avait transmises aux volontaires, domaine par domaine.

— Je vous ai vues combattre aussi.

— Krys désirait que nous acquérions tous plusieurs qualifications. Une d’entre elles était obligatoire : apprendre à se battre. Une bonne partie de la journée était occupée à nous entraîner.

— Ceci explique pourquoi vous visez si juste ?

L’entraînement avait été difficile. La satisfaction qui en découlait s’en trouvait d’autant plus importante. Je les jaugeais. Comme moi, elles savaient se battre. Comme moi, elles se mouvaient au sein de la gente masculine sans crainte ni contrainte. Peut-être arriverais-je à m’en faire des amies après la guerre. Fréquenter d’anciennes esclaves ! Cela pourrait faire jaser… Je me moquais éperdument des règles imbéciles.

Au sein de leur minuscule société, les connaissances de chacun avaient été partagées. Parmi l’ensemble des maîtres d’apprentissage, Krys en fut le principal. Je me demandais comment un groupe aussi jeune avait pu accepter de se plier à une telle discipline. Olga répondit.

— Krys répétait que, si nous n’étions pas si occupés, nous passerions notre temps à nous chamailler. Notre communauté se serait désagrégée.

Surprise, j’intégrai cet élément dans ce que j’imaginais de leur vie, de leurs commencements.

— Il m’impressionne, remarquai-je. Déjà un grand sage et pourtant il est de nos âges.

Les trois amies se lancèrent des regards complices. Elles précisèrent qu’elles lui devaient la liberté. Krys, Thomas, Hector et Markus encadraient la troupe. Ces quatre-là, et d’autres avec eux, avaient planifié leur fuite.

— Pas de femmes pour encadrer ? Comme les femmes combattent chez vous, je me suis dit…

— Oui, il y a Korynn. Elle était avec nous au palais du gouverneur.

— Un Oupale ?

— Oui.

Chaque fois que j’essayais de me représenter un Oupale, j’imaginais une sorte de créature géante mi-lézard, mi-serpent. De tous les Galiens, il s’agissait de la race qui ressemblait le moins aux hommes. Peu nombreux, ils compensaient leur faible nombre par une longévité dépassant parfois deux siècles. Intelligents, vifs, ces personnages retors au long cou et longue queue dominaient la civilisation galienne.

— Et comment faites-vous pour réussir à soulever un marteau morcan ?

— Seul Krys en est capable, répondit Tamara en jetant un regard amusé à ses amies. Et encore, c’est la première fois qu’on assiste à ça. Bon, avec lui, plus rien ne nous étonne.

Olga se retroussa une manche pour éviter de tacher sa tunique de mon sang. Pour ma part, je décidai de tirer au clair, un jour, l’histoire qui venait de m’être racontée.

— Si les femmes ne peuvent pas… se perdit Tamara, vous, comment avez-vous appris le maniement des armes ?

— Je suppose que j’ai rendu la vie si difficile à mon père qu’il a fini par lâcher bride.

— Cela veut-il dire que, si nous survivons à cette bataille, on va nous faire entrer… dans un carcan ? Votre société… c’est un monde d’hommes ?

Je me rendis compte que, dans leur fuite, loin de tout, ces jeunes personnes avaient bâti leur propre univers, parfois à l’opposé de nos codes et obligations. Leur monde me semblait mystérieux. Leur liberté m’attirait.

— Oui, fis-je simplement, ne sachant comment réagir. » Et, alors qu’elles se dévisageaient, décontenancées : « Mais pour le moment vous avez apporté votre concours à cette guerre, et je peux vous le dire, vous êtes terriblement efficaces, aussi efficaces que ces messieurs. Tout le monde vous en sera reconnaissant.

Elles me portèrent jusqu’au lit. Je remarquai combien elles étaient toniques.

— Bon ! Tout est prêt. Allons chercher Krys, proposa Olga.

Olga et Guenièvre étaient à peine sorties que, par la porte entrouverte, je les entendis chuchoter : « Qu’est-ce qu’elle est belle ! Heureusement qu’on l’a rhabillée, sinon Krys serait mort sur place ! ». Tamara remarqua à l’expression de mon visage que je les avais entendues. Elle sourit.

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