Sous cloche - 2° partie
Le lendemain, j'avais attendu Krys avec impatience. Ses projets me permettaient par moment d’oublier les exigences du roi. Pendant qu’il répandait le contenu d’une fiole sur une compresse, je le questionnais au sujet de son entrevue. Il déclara être satisfait mais en attente d’un certain nombre de réponses.
Après les soins, il s’apprêtait à me quitter. Je m’empressai de l’inviter à rester, ce qu’il accepta. Je lui indiquai l’emplacement d’une carafe de jus de fruits et il nous servit un verre.
— Tu aimes ? lui demandai-je.
— Beaucoup. Il s’agit d’un mélange. Qu’y a-t-il là-dedans ?
— Tu ne reconnais pas ?
Il secoua la tête.
— C’est normal, il y a beaucoup de saveurs différentes : lilikoi, mangue, noni, hala et peut-être d’autres encore.
— Maintenant que tu le dis, la mangue semble dominante. Est-ce que tu as déjà vu un hala ouvert ?
— C’est très beau. Une écorce verte, une chair rouge et un gros noyau blanc. On a du mal à en trouver. J’étais petite quand on en a ouvert un devant moi. Ça m’a fait penser à…
— Du quartz ?
— Oui, c’est ça, avec toutes ses branches colorées qui partent dans toutes les directions.
— Vu de l’intérieur, c’est un fruit magnifique.
— Je ne voulais pas qu’on le prépare, j’avais envie de le garder pour moi toute seule tellement il était beau.
Il m’expliqua que sa petite troupe en avait trouvé un certain nombre lors de ses pérégrinations. Leur vie n’avait pas seulement été peuplée de craintes mais aussi de découvertes et d’expériences riches de toutes sortes. Ils avaient découvert la liberté tardivement et étaient parvenus à la décorer du meilleur d’eux-mêmes. Son histoire me fascinait. Lorsqu’il eut terminé, après un court silence, je demandai :
— Quelles sont tes occupations pour la matinée ?
Je cherchais tout autant à connaître ses projets pour l’avenir que me représenter de quoi il composait ses journées.
— Maintenant que nous commençons à trouver nos marques, il reste fort à faire. Il faut tout organiser et penser à la cohésion du groupe. Nous avons beaucoup échangé sur ces sujets. J’ai déclaré que, dorénavant, chacun était libre d’agir comme bon lui semblait, que nous ne devions rien à personne. Mais qu’il était préférable de rester ensemble. Nous avons démontré lors de la bataille que, lorsque nous restons soudés, nous représentons une force. Maintenant que nous nous apprêtons à disposer de beaucoup plus de ressources, nous pouvons entreprendre de plus grandes choses encore. En résultat de quoi… » Il fit une pause puis hocha la tête. « J’ai le sentiment que nous allons demeurer aussi soudés qu’à nos débuts.
— De plus grandes choses encore… répétai-je dans un souffle.
En quelques mots seulement, il venait d’établir un nouveau plan de bataille. J’aurais voulu échanger mon statut de princesse contre celui de simple membre de son groupe. Un coup de tête dont j’avais le secret.
— Si je le pouvais, je chercherais à vous aider avec tous les moyens disponibles. Ton programme me plait !
Je ne m’en étais pas rendu compte mais ma tristesse s’était évaporée. Sa présence et l’énergie qui émanait de ses paroles me remettaient petit à petit en selle.
— Et moi, si je pouvais te guérir immédiatement, je le ferais.
Nous nous dévisageâmes dans le plus grand silence. J’eus l’impression que son regard me traversait. Qu’il me comprenait. Me connaissait-il assez pour m’apprécier ? J’avais le sentiment de le connaître mieux qu’il ne me connaissait.
Toutefois, ce moment magique fut brisé par quelques coups donnés sur la porte. C’était mon frère. Il entra, nous aperçut et s’excusa. Krys en profita pour prendre congé. Clément tourna en rond un moment, puis s’assit sur la chaise occupée par l’ancien gladiateur.
— Il a mis plus longtemps à te soigner que d’habitude.
— Nous parlions de ses projets.
— Père m’en a parlé aussi.
— Qu’en pense-t-il ?
— Il ne lui fait pas… confiance. C’est gênant d’avoir besoin de quelqu’un sans pouvoir s’appuyer totalement sur lui.
— Sans pouvoir s’appuyer sur lui ? Qu’est-ce à dire ?
Il évita la question et continua.
— Cela dit, si les différents souverains nous portent assistance et votent la formation d’une grande armée sur nos terres, suffisante pour prévenir toute nouvelle invasion galienne, nous n’avons plus besoin de lui.
— C’est donc cela que père recherche en les réunissant tous ? Il n’aura jamais ce qu’il demande. Et il est impossible d’estimer par avance de quelles forces disposeront les Galiens.
— Nous estimons qu’ils ne pourront réunir plus de vingt-cinq mille combattants. Leur dernière armée en faisait moins de dix mille et c’était déjà une grande armée. On table sur le fait que, cette fois, ils vont… faire de gros efforts.
— Admettons.
— Si chacun des dix royaumes fournit mille cinq cents soldats, protégés comme nous le sommes par les fortifications, nous ne risquons rien.
— Admettons. Mais en quoi sa présence est si gênante ?
— Un jour nous serons capables de reproduire tout ce qu’il fait.
— Cela n’explique pas pourquoi il vous indispose.
— C’est un homme sans attache ! Et qui te dit qu’il n’est pas en train de t’utiliser comme porte d’entrée vers le roi ?
— Mais… Tu divagues !
— Peut-être. Peut-être pas. En attendant, il se fait de plus en plus d’ennemis. Savais-tu qu’il était sans foi ni loi ?
— Que veux-tu dire ? C’est un incroyant ?
— Oui. Un athée. Pas mieux qu’un hérétique.
Je sentis mon cœur se serrer dans ma poitrine. Les portes que j’espérais entrouvertes se refermaient petit à petit.
— Je vois à ta mine que tu ne le savais pas.
— Et alors ? Cela ne regarde que lui.
— Pas chez nous, tu le sais. De plus, les informations qu’il distille un peu partout choquent nos prêtres et nos meilleurs médecins. Lui et les siens transgressent nos règles. Nos concitoyens se plaignent jusque chez le roi.
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