Trahison - 1° partie

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La tempête s’annonçait mémorable. La cime des arbres ployait déjà sous les assauts des premières rafales. Les vents s’engouffraient dans les terres entre les vallons, présage funèbre des heures à venir. La puissance des bourrasques ne tarderait pas à s’abattre sur nos contrées afin d’y imposer sa loi. Le souffle sinistre atteignait nos cités, nos foyers, notre forteresse.

Pourtant, j’aimais ces instants hors du temps où nos existences semblaient suspendues, prisonnières de la volonté de forces supérieures. Entourés des siens, au seuil de l’âtre protecteur, les familles garderaient espoir tandis que nous songerions à tous ceux luttant au cœur des embruns.

Mais la tempête qui grondait entre nos murs augurait de plus profonds bouleversements. Les hommes étaient capables d’initier de plus grandes violences encore que la tourmente des éléments.

Un matin, Allie entra dans ma chambre presque nue, vêtue uniquement de quelques pièces affriolantes.

— La préparation de mon petit déjeuner t'a donné chaud, on dirait ?

Malgré le ton léger employé, Allie ne répondit pas. Elle baissa les yeux, honteuse, faisant même grise mine. Son attitude, inhabituelle, m'inquiéta.

Elle plaça mon petit déjeuner devant moi et disparut, murée dans son silence. Alors qu’elle récupérait le plateau un peu plus tard, je lui saisis le poignet. « Qui t’oblige à t’habiller ainsi ? » Devant son mutisme, je précisai : « J’ai entendu du bruit à côté. Mon frère est-il de retour ? C’est lui ? »

Elle opina du chef en regardant le sol.

Mon frère ! Qu’est-ce qui lui prend tout à coup…

— Et Emma ?

— Même chose.

— Clément devient fou ? Et les autres servantes ?

— C’est… C’est pire.

— Pire ?

— Oui. Elles le servent toutes nues. Nous, nous pouvons juste nous habiller parce que nous sommes à votre service.

Ça alors ! Quel mouche pique Clément ?

— Je ne veux pas que tu lui obéisses. À partir de maintenant, tu t’habilles comme tu désires. Et s’il n’est pas content, tu me l’envoies.

— Il dit qu’il est le nouveau souverain et que nous sommes maintenant sous son autorité. Il a abandonné ses quartiers et a pris possession des appartements du roi.

— Tu peux l’appeler pour moi ?

— Il ne voudra pas vous voir. Il ne vous laissera pas entrer.

Je regardai Allie. Comme nombre de nos servantes, elle était jeune et jolie et avait été choisie pour cette raison par mon père. Mais même lui, avec tout le pouvoir dont il disposait, n’avait jamais agi de la sorte.

Plus tard, en m’approchant, j'entendis, comme étouffé, des cris de femmes provenant des pièces voisines. J'eus beau frapper, interpeller, personne ne m'ouvrit. Cet après-midi-là, alors que je me trouvais dans mon lit, une jeune femme traversa ma chambre en courant. Elle vint se cacher derrière mon lit, pressant un linge contre son corps pour dissimuler sa nudité. Je demandai :

— Qui êtes-vous ? Que se passe-t-il ?

Affolée, elle m’ignora, drapée dans un silence protecteur.

Clément entra à son tour, titubant, un fouet à la main et à moitié nu. Je l’interpelai la première.

— Enfin, depuis le temps que je cherche à te voir. Peux-tu me dire…

— Cassy, ici, tout de suite ! me coupa-t-il en fouettant violemment le parquet.

Elle se fit encore plus petite. Clément fonça droit sur elle, le front bas, le regard droit, décidé à châtier la fugitive. Je m’approchai du bord et réussis à attraper la main qui tenait le fouet.

— Clément, qu’est-ce qui t’arrive, tu es devenu fou ?

— Pas du tout, ma sœur, je ne me suis jamais senti aussi bien, susurra-t-il, un sourire narquois aux lèvres.

— Je me trompe ou tu fouettes des femmes ?

— Ça ne leur fait pas si mal. C’est juste pour s’amuser.

Je regardai Cassy qui, entretemps, était passée sur ma gauche, espérant s’éloigner du danger. À cette vue, je m’emportai :

— Tu es fou ? Son dos est couvert de marques !

— C'est superficiel ! C'est impressionnant, c'est tout ! Demain, il n’y paraîtra plus.

Son regard encore pétillant se figea lorsqu’il remarqua les traits de colère qu’exprimait mon visage.

— On s’amuse ma sœur. Une affaire d’hommes. Tu ne peux pas comprendre.

— C’est ton oisiveté qui t’amène à donner libre cours à tes instincts les plus bas !

— Il faut bien s’occuper.

— Qui te donne le droit d’agir ainsi ?

— Je suis le nouveau roi ! s’énerva-t-il. J’ai tous les droits !

— Tu n’es rien du tout. Dois-je te rappeler que Krys a pris le pouvoir ? Il suffit qu’il passe pour tout arrêter. Tu crois que tu vas t’en sortir comme ça ?

D’un geste, je tentais de saisir son fouet. La rage s’empara de lui. Il le jeta à mes pieds, grimpa sur le lit, saisit mes poignets et les tira en arrière. Outrée, je crachais :

— C’est ça que tu leur fais, hein ? Tu les attaches, tu les fouettes et tu abuses d’elles ? Et maintenant, tu vas abuser de ta propre sœur ?

— Je ne te toucherai pas, mais ne me menace pas. La pression du pouvoir, tu ne sais pas ce que c’est. Je ne fais que me détendre. Laisse-moi faire et je ne prendrai aucune mesure contre toi.

— La pression du pouvoir ? lançai-je moqueuse. C’est Krys qui est au pouvoir. Il va l’apprendre et vite y mettre un terme.

— Pas du tout. Premièrement, il ne passe jamais par ici. Deuxièmement, je nous ai enfermés. Le roi, c’est moi !

Ses yeux rivés dans les miens, il se calma. Des rides d’amusement apparurent au coin de ses paupières.

— Tu n'as toujours pas compris, fanfaronna-t-il. » Il secoua la tête, hilare. « Tu n’as toujours pas compris ! Depuis le début il se sert de toi pour atteindre le trône ! Tu n'es rien pour lui, Il ne viendra pas parce qu’il n'a plus besoin de toi !

— Tu me fais mal. Éloigne-toi, tu vas empêcher ma jambe de guérir.

— Bien ! Je vais te lâcher. N’essaie plus d’intervenir.

— Je suis une femme et je mesure l’ampleur de tes actes. Combien sont-elles chez toi ? Il y a déjà les trois servantes de père. Mais qui est Cassy ? D’où vient-elle ?

— Elle et deux autres ont été amenées par des amis.

— Parce que tu n’es pas le seul tortionnaire ? Combien êtes-vous ?

— Ils ne sont que deux.

— Vous êtes trois là-bas à commettre impunément vos méfaits ?

— Méfie-toi ! Tu me dois le respect !

— Quand Krys saura ça, il sera fou de rage et je te conseille de ne pas te trouver dans les environs. Ce n’est pas un faible, je ne serais pas surprise qu’il te prive de ce qui fait ta fierté...

— Tais-toi !!! hurla-t-il dans mes oreilles.

— Et je ne te défendrai pas !

— Puisque c’est comme ça, tu l’auras voulu.

Il déchira mon chemisier avant de le jeter à terre avec une grande violence. Ses mouvements me firent mal. Je criai et tentai de l’arrêter. Il quitta mon lit puis se plaça devant moi.

— Je vais faire enlever tous les vêtements que tu as chez toi. Tu seras traitée comme les autres !

— Tu vas me violer, toi mon propre frère ?

— Non. Je vais seulement te donner en pâture à mes amis.

— Si père était encore là, il te chasserait.

— Tu ne sais pas ce qu’il faisait. Tu ne sais pas ce que le roi Henry fait. Tu ne sais pas ce que les princes font. Vous, les princesses, vous grandissez dans votre bulle, vous ne vous rendez jamais compte de rien !

J’étais abasourdie. Ces choses se passaient-elles vraiment chez nous ?

— Nous avons le pouvoir ! hurla-t-il. Et bien le droit d’en profiter ! Si ça ne vous plaît pas à vous, les princesses, alors restez dans votre bulle ! On ne vous demande rien ! Moi, je n’ai que les appartements de père pour m’amuser. Les autres, ils s’amusent où ils veulent, loin des oreilles chastes.

— Mais… Tu ne peux pas…

— Vraiment, tu ne comprends pas !!! enragea-t-il.

Il retira le drap avec lequel je m’étais recouverte et l’emporta avec lui ainsi que la chaise roulante.

— Je fais tout enlever chez toi et te donne à mes amis. Cassy, tu viens, sinon je ne réponds plus de rien.

Devant ces menaces, Cassy le suivit. Je restai seule, sans rien sur moi avec la jambe qui me lançait. Allait-il vraiment me donner à ses amis ?

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