L'enlèvement - 6° partie
Le couteau contre ma chair, je demeurai immobile, tendue. Mes compagnes terminaient de se préparer. La porte s’ouvrit. Le vent s’engouffra dans la maison. La porte claqua. Et puis plus rien. Seul subsistait le son étouffé de la tempête. Mon agresseur, comme s’il retenait sa respiration jusque-là, expira bruyamment.
— Quelle pagaille ! clama-t-il.
La lame continuait à presser ma gorge dangereusement. « Mais quelle pagaille ! répéta-t-il, énervé. » Et il se mit à cogner le sol de son talon, comme pour exorciser un mal survenu de nulle part.
— Comment t’y es-tu prise ? » Il repositionna sa lame, pour la rendre encore plus menaçante. « Comment… Comment tu as fait ?
— La durée de vie des brigands comme toi est courte, dis-je avec difficulté. Cela t’étonne ? Tu en connais qui vivent longtemps ? » Il ne répondit pas. « Soit ils meurent en plein méfaits, comme aujourd’hui, soit leurs chefs se met à douter de la sincérité de l’un d’entre eux et se débarrassent du lot qui les entoure d’un seul tenant.
Sa lame se fit plus menaçante.
— Mais comment ? s’énerva-t-il encore.
— Tu aurais préféré que je me laisse faire ?
— Évidemment ! explosa-t-il. Comme elles font toutes !
Il se reprit. La peur le quitta peu à peu et il ricana. Sa main libre se réveilla. Elle se mit à parcourir lentement mon corps, des cuisses jusqu‘à la poitrine. De ferme, elle devint violente. J’étouffai un cri. Il se vengeait, et cette fois, je ne pouvais rien faire pour l’en empêcher.
Soudain, des doigts étreignirent mon entrejambe. Ils pénétrèrent et écartèrent mes chairs. Je réprimai un cri, ne laissant entendre qu’un gémissement étouffé. « Tu n’es qu’une femme, comment tu as fait ? cria-t-il à mes oreilles, comme s’il pouvait en douter. » Il déposa son arme à terre et ses deux mains remontèrent le long de mon ventre, les doigts tendus, se dirigeant vers mes seins. Il les étreignit, les pétrit, entoura mes mamelons de ses doigts, les pinça et tira. Mon corps suivait ses mouvements, tentant d’échapper au mal. « Tu vois, où que j’aille, une seule chose m’apparait. Tu n’es qu’une femme. » Ses mains redescendirent et investirent à nouveau mon entrejambe. Je me tendis en espérant m’éloigner mais ses doigts pénétrèrent plus profond encore. Je ne savais si je criais ou pleurais. Si j’implorais ou le maudissais. Il répéta : « Une femme ! Rien d’autre ! ». Ses mains remontèrent le long de mon ventre et écrasèrent mes seins. « Alors comment as-tu fait ? » Je me recroquevillai et m’affalai.
— Bon, ce n’est pas tout, tu as réveillé en moi quelques démons. On va tout reprendre à zéro et chercher à faire connaissance, tu veux bien ?
Je savais ce que cela voulait dire. Mes larmes s’accumulaient sur le sol. Je devais me reprendre. Par-dessus tout, je devais éviter de m’effondrer. Il se dégagea et se leva.
— On va voir si tu parviens à me résister. Tu as réussi à avoir les autres, je ne sais comment, mais tu ne m’auras pas, moi. Je vais nous barricader, qu’on soit bien tranquilles toi et moi. Nous ferons la fête en attendant les autres. Quand ils seront là, tu me trouveras très gentil, eu égard à ce qu’ils vont te faire. Après tout, c’est leurs petits copains que tu as tués. » Son regard se riva dans le mien et se fit menaçant. « Tu m’attends ici. Avec une jambe folle et les mains attachées derrière le dos, je ne vois pas très bien comment tu pourrais rééditer l’exploit de tout à l’heure.
Il s’apprêtait à quitter la chambre quand, soudain, il se ravisa, se tourna vers moi, hésita, et me rejoignit.
— C’est idiot, mais je n’ai pas confiance. N’ayant pas idée de la manière dont tu t’y es prise pour te débarrasser des camarades, je vais t’attacher. Tu ne pourras que m’attendre. Qui plus est, je vais te positionner pour que tu sois toute prête rien que pour moi.
Il me rapprocha du lit, découpa un bout de ficelle, lia mon bras droit au pied du lit, défit les liens qui enserraient mes poignets, m’obligea à m’étendre sur le matelas, attacha mon poignet gauche au pied opposé, libéra mon bras droit et attacha le poignet devenu libre. Il fit de même avec la jambe valide. Au vu des précautions dont il s’entourait, il m’apparut évident qu’il me craignait. Il ne me laissait aucune chance.
— Voilà, tu es prête, dit-il en me détaillant copieusement dans une expression salace.
Mais ce regard ne lui suffit pas et ses mains glissèrent une fois de plus le long de mon corps.
Le bandit se détourna enfin. Il saisit le balafré par un bras et le traîna en dehors de la chambre. Il fit de même avec le borgne. Les deux cadavres réunis, il entreprit de les éloigner encore. Leur vue le gênait sans doute pour ce qu’il s’apprêtait à faire.
J’étais seule. Seule face à mes peurs. Mon destin m’avait échappé. Cette fois, quand ils seront de retour, les ravisseurs allaient se méfier de moi, me surveiller et m’ôter toute once de liberté.
Et, surtout, ils allaient se venger…
J’avais dit à Allie ce qu’elle avait besoin d’entendre. Que j’étais heureuse pour elle. En réalité, je me sentais terriblement seule. Seule face à ce qui m’attendait. Sans aucun moyen d’y échapper. Trois de mes membres étaient attachés aux barreaux du lit et le quatrième était invalide. Je testais les attaches. Elles semblaient solides. Je me regardai. J’étais étendue sur le lit, les bras en arrière, complètement nue. Offerte.
Et si cela durait toute la vie ?
Les mois passés me revinrent à l’esprit. Un Morcan me projette à terre en me blessant grièvement. S’ensuivent de longues semaines de convalescence. Mon père est assassiné. Clément, mon propre frère, me trahit. Et, comme si ça ne suffisait pas, je finirais esclave d’un groupe de tortionnaires avides de plaisirs et de gains faciles. Quel cauchemar…
Ma vie allait-elle se résumer à cela ? À la frontière de mes vingt ans, tout serait déjà perdu ? Quel moyen d’échapper à ce sort me restait-il ? Je n’eus pas le temps de m’appesantir sur mon avenir qu’un claquement sourd se fraya un chemin jusqu’à mes oreilles. La tempête ne parvenait pas à masquer totalement les bruits en provenance de la pièce principale.
Mes ravisseurs étaient de retour !
Ce n’est plus un, mais tous qui risquaient de se prendre à moi. Pour se venger, ils prendraient tout leur temps, un par un. Leurs regards sur mon corps me dégoûtaient déjà.
Mon tortionnaire allait devoir partager. Ils risquaient même de le mettre de côté. Mais… Quelle situation cocasse ! Ses compagnons morts, voilà que le seul survivant se préparait au dessert… Croiront-ils en sa version ? Croiront-ils de faibles femmes, dont une handicapée, nue et entravée, capables de vaincre quatre hommes aguerris ?
J’en oubliai temporairement ma peine !
Ils l’avaient surpris en train d’évacuer les corps après avoir préparé une prisonnière. Qui les avait tués ? Lui, évidemment ! Ce serait sans doute la fin pour lui. Ils le croiront complice des meurtriers. Pour enfoncer le clou, il leur faudrait un mobile. Je réfléchissais à toute vitesse. Y-aurait-il là un début de solution ? Et si, juste avant que tous me découvrent, je criais : « Alors ! Tu me libères oui ou non ? » Plus personne ne douterait de sa trahison ! Et je terminerais par : « Dépêche-toi, les autres vont arriver ! ». J’en riais ! Si je parvenais à clamer cela au bon moment, il était fini. J’aurais semé la zizanie parmi eux. Chez les malfaiteurs, suspicion est synonyme de mort. Qui plus est, ses amis risquaient de ne pas apprécier sa mise à l’écart. Ou son exécution. Ou seraient eux-mêmes suspectés. Quant aux autres, un tel imbroglio leur enlèverait tout goût à la fête. Peut-être une chance pour moi. Au pire, j’aurais gagné 24 heures de tranquillité. Au mieux, qui sait ?
Il aura beau m’accuser de la tuerie, qui le croira ? J’étais attachée, qu’aurais-je bien pu faire ? Le survivant avait tout manigancé. Le pauvre ! Toutes les vérités qu’il clamerait apparaîtront comme les mensonges d’un traître et d’un lâche. Comment n’avait-il pas entrevu cette éventualité ? Son désir allait causer définitivement sa perte.
Ma stratégie possédait une faille. Si je le condamnais définitivement, je révélais être au courant de l’imposture. Les autres risquaient de me torturer afin de connaître le fond de l’affaire. Que dire alors ? Différentes options m’apparurent. Le faire passer pour un infiltré ? L’infiltré d’un groupe de ravisseurs qui aurait fait main basse sur le butin et qui venait de s’envoler avec ? La suspicion parmi eux atteindrait son comble. Ils se demanderaient si d’autres, ailleurs ou ici même faisaient partie du complot. Il me suffirait d’accuser quelques complices supplémentaires et cela les affaiblirait encore !
Alors que je réfléchissais aux failles de mon raisonnement, Allie apparut au pas de la porte. Une réaction d’abattement et d’impuissance m’envahit. C’était trop beau ! Les brigands avaient récupéré mes amies ! Quelle désillusion… Mais ? Elle découpait mes liens ! Emma entra également. Puis Cassy.
— Allie ? Emma ? Que s’est-il passé ?
— C’était un piège, répondit Allie. Nous avons attendu qu’il s’éloigne le plus possible du couloir et nous nous sommes ruées sur lui !
L’énergie revenait en moi. Je les félicitai et m’habillai, puis demandai :
— On peut quitter les lieux immédiatement ?
— Tout est prêt, dit Cassy. Le brancard aussi.
— Il faut regrouper toutes les armes qu’on peut trouver. Avez-vous aperçu un arc ?
— Oui, on en a un ! Et voici tes coupe-jarrets.
Je cachai les crans d’arrêt dans mon attelle. Si nous étions reprises, ce serait par des gens qui ignoraient tout de ce qui s’était passé en ces lieux !
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